Interview

Réforme du système éducatif - Bashir Taleb : «L’avenir des collèges privés est menacé»

Bashir Taleb Bashir Taleb

Le président de la Fédération des managers des collèges privés revient à la charge sur le 9-Year Schooling. Selon Bashir Taleb, pour l’heure, il n’y a que des changements cosmétiques et le flou persiste sur plusieurs questions. Il a aussi exprimé sa crainte concernant l’avenir des collèges privés.

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Comment les collèges privés préparent-ils la rentrée 2017 ?
C’est business as usual, puisque les réformes proposées n’auront aucune incidence sur les collèges en 2017, à  l’exception de quelques changements cosmétiques. Mais à partir de 2019, cela pourrait prendre une autre tournure. Pour le moment, il n’y a que le changement d’appellation. La Form I, qui devient Grade 7, et ainsi de suite. Nous attendons maintenant la formation des enseignants sur les nouveaux programmes et, bien sûr,  plus d’informations sur le nouveau système.

Ce nouveau système ne met-il  pas en péril l’avenir de certains collèges ?
Pour les collèges privés, c’est une toute autre question. Leur avenir est menacé. Leur population estudiantine diminue de manière drastique d’année en année. Arrivera un moment où certains collèges se retrouveront en-dessous de la barre des 175 étudiants.

« La finalité doit être le développement holistique de l’enfant. Le CPE ne le faisait pas. »

Et si c’est le cas, la PSSA va demander la fermeture de ces établis­sements. Avec la tendance d’admissions en décroissance, beaucoup de collèges vont souffrir dans deux à quatre ans. Il y a plusieurs facteurs pour expliquer cela. Le nombre d’élèves diminue dans le pays, ce qui fait que l’offre est beaucoup plus grande que la demande.

D’autre part, on a l’impression que les collèges d’état font le plein d’élèves. Il ne reste donc que très peu d’élèves pour le privé. Il y a aussi le fait que les parents sont impressionnés par les infrastructures dans les établissements publics. Ils ne réalisent pas la différence entre les méthodes d’enseignement.

Le privé a une méthode accordant davantage d’intérêt aux élèves qui ont besoin d’une attention particulière. Le privé a également une culture de valeurs et c’est en se basant là-dessus que l’éducation est dispensée. De plus, il y a la tradition. Un enfant, sachant que son père ou son grand-père a étudié dans le collège qu’il fréquente, adopte une meilleure attitude envers les études. Dans le public, les élèves sont beaucoup plus indépendants et les enseignants ont une attention particulière pour les élèves qui ont du potentiel.

Est-ce que les changements annoncés vont vraiment se faire ressentir ?
Comme je le disais plus haut, dans le secondaire, on n’est pas encore prêt en termes de formation pour accueillir  pleinement le 9-Year Schooling. Il y a toujours les départements du prévoc et il y a des zones d’ombre. Quel sera l’avenir de ces enseignants quand disparaîtra le prévoc ? Vont-ils être formés pour intégrer le main stream ? Il y a toujours un flou autour du nouveau système. Certes, le MIE nous a présenté le programme, sur lequel nous avons posé des questions. Or, il reste beaucoup de travail à faire. Concernant les académies, on ne sait pas si elles seront spécialisées. Et la mixité fait débats. Un garçon irait au QEC ou une fille ira au collège Royal ? Comment se fera la sélection ? Cela ne favorisera-t-il pas la compétition à outrance ? On ne sait toujours pas.

Qu’est-ce que cela change au niveau de la pédagogie ?
En principe, le rattrapage se fera dès le primaire. Quand un enfant montre des faiblesses, il sera encadré. Il y aura une mise à niveau. En théorie cela tient la route, mais on ne sait pas ce que cela va donner dans la pratique. Toutefois, il faudra que l’enseignant chargé du rattrapage soit plus qualifié et dévoué, car il faudra changer de pédagogie pour que les slow learners puissent se mettre au diapason.

Les enseignants ont-ils déjà acquis de nouvelles formations ?
Jusqu’ici, il n’y a eu aucune formation pour les enseignants du secondaire. On sait qu’il y a les examens nationaux en Form III et nous travaillons dans ce sens. Sinon, on est en mode wait and watch. Il n’y a que le MIE qui assure la formation. Est-ce que l’Institut a la capacité de former tous ces enseignants en peu de temps ? C’est la grande interrogation. J’estime qu’il fallait implémenter ce nouveau système sur une base pilote. Au fur et à mesure, on aurait vu les difficultés. Et face à ce changement systémique, il faut une surveillance, une évaluation et une re-planification. Pour cela, il faut des inspecteurs.

Est-ce que cela veut dire que la méthode d’enseignement changera ?
Avec l’utilisation de l’IT, il y a une possibilité que la méthode d’enseigne­ment change, que les classes deviennent plus pupil-centered. L’interaction se fera non seulement dans la classe, mais aussi à l’extérieur. Encore faut-il que les enseignants puissent maîtriser cet outil pédagogique... On n’a pas cette culture. Les enseignants sont habitués à enseigner avec un manuel scolaire et un tableau. Il faut aussi que la connectivité soit à haut débit pour éviter toute pagaille. Force est de constater que tous les établissements ne sont pas connectés de façon efficace.

La ministre de l’éducation met beaucoup l’accent sur l’accompa­gnement et le développement holis­tique des élèves. Qu’en pensez-vous ?
En faisant cela, l’apprenant pourra s’épanouir aussi dans les matières non-académiques. Ce qui veut dire moins de bourrage de crâne. Les nouvelles activités proposées, comme la danse et la musique, permettent l’épanouissement des enfants et développent, ainsi, leur créativité. Il y a aussi moins de risques de coller une étiquette sur les enfants en situation d’échec dès leur jeune âge. Par ailleurs, un changement de mentalité des parents est aussi de mise. Il ne faut pas qu’ils soient obnubilés par des A+.

On a aboli le CPE, mais on a quand même le Primary School Achievement Certificate (PSAC), avec la seule différence qu’on a repoussé les examens pour pouvoir accéder à un collège d’élite de trois ans. Qu’en penzez-vous ?
Inévitablement, dans certaines régions, il y a des inégalités au niveau des collèges. Il y a plus de demandes pour certains collèges. Or, il faut que chaque collège ait un quota d’élèves brillant, moyens et des moins bons. On pourra alors faire un travail extraordinaire. Au cas contraire, ce sera de retour à la case départ.

Quel regard jetez-vous sur le nouveau système ?
Depuis le début, je suis optimiste quant à ces changements. La finalité doit être le développement holistique de l’enfant. Le CPE ne le faisait pas. C’était plus le développement académique. Le nouveau système est bien. Sauf que sa mise en opération nécessite plus de soin. Et valeur du jour, je ne suis pas convaincu que c’est le cas.

De quoi a besoin ce système pour être une réussite ?
Il faut tout d’abord de la transparence. Ce nouveau système soulève des questions. Il faut des réponses claires et nettes et il y a des lacunes à ce niveau. Le marketing du 9-Year Schooling n’a pu convaincre. Certes, il y a eu des discussions, mais elles étaient superficielles et sans un réel fondement. Il est toujours possible d’enclencher les débats pour les rendre plus enrichissants. On est encore au début. Donc, ce n’est pas encore trop tard. Aussi, il faut des psychologues et sociologues dans les écoles. C’est même une nécessité. Les enseignants ne sont pas experts en petite enfance et adolescence. Chaque école doit avoir les services d’un sociologue et d’un psychologue. Il faut inciter les jeunes qui veulent entreprendre des études supérieures à poursuivre ces études pour palier le manque de professionnels.

Il y a des non-core subjects, comme la communication et le sport, qui seront pris en considération. Est-ce que les collèges ont toute la logistique et le personnel nécessaire pour leur introduction ?
L’appréhension est surtout au niveau du personnel. La génération d’enseignants que nous avons est le produit d’un système élitiste qu’a été le CPE. Ils ont d’excellentes qualifications, mais manque de passion. Souvenez-vous, l’activity period n’a pas vraiment marché. Il faut donc une formation. Côté logistique, il y a des établissements de certaines régions qui n’ont pas les infrastructures nécessaires. Il faut un audit des infrastructures dans les écoles. Il y a également un manquent d’enseignants de musique et de sports. Il faut encourager les jeunes à prendre ces filières.   

Où en sont les choses concernant la PSSA Act ?
C’est toujours quelque chose qu’on ne digère pas. Nous n’avons guère le choix que de maintenir le dialogue avec le ministère. Il faut qu’on comprenne que ces amendements ne sont pas corrects.

 

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