
À 31 ans, Vivek Bhujun incarne cette jeunesse mauricienne qui ose renverser les idées reçues. Diplômé en génie civil, il a délaissé le confort d’un bureau pour travailler la terre familiale. Aujourd’hui, sur 30 arpents, il cultive légumes et espérance, épaulé par sa femme Sweta.
Publicité
Il a les mains rugueuses. Le regard franc. La parole directe. À 31 ans, Vivek Bhujun est un homme heureux de son choix de vie, même si ce chemin n’était pas celui qu’on attendait d’un diplômé universitaire. Un choix, et, plus encore, une vocation. Celle de la terre.
Après avoir obtenu un BSc en génie civil, il avait pourtant pris la voie « normale » : travailler en bureau, viser la sécurité d’un salaire stable. Mais très vite, la réalité de ce métier le désillusionne. « J’ai travaillé comme trainee civil engineer pendant six mois dans le cadre de la construction de la phase 2 de Bagatelle. Mo inn aprann boukou kitsoz laba, me li ti danzere. Ti bizin mont lao batiman a sak fwa ek pena ‘harness’. Pena sekirite lavi ditou », raconte-t-il.
Cette experience, brutale, provoque un déclic. Pourquoi risquer sa vie pour un salaire, alors qu’il avait une passion et une terre qui n’attendaient que lui ? En effet, depuis toujours, Vivek baigne dans l’univers des plantations. Ses parents sont planteurs de père en fils. Son père, 65 ans aujourd’hui, cultive depuis plus de 40 ans. Et malgré son âge, il continue à venir l’aider chaque jour. « Mo papa vinn donn mwa koudmin toulezour. Nou travay ansam. Li ena lexperians ki mwa mo benefisie. »
Mais le passage de témoin n’a rien d’un retour en arrière, ou d’un échec social. Pour Vivek Bhujun, c’est un choix réfléchi et ambitieux. Il n’a jamais voulu juste « reprendre » l’affaire familiale. Il voulait la moderniser, la développer, la professionnaliser.
Une vocation qui s’impose
L’aventure commence modestement en 2012. À l’époque, Vivek Bhujun cultivait à temps partiel, les soirs et week-ends, tout en étudiant et travaillant en bureau. Il essayait, testait, apprenait. Trois ans plus tard, en 2015, il décide de se lancer à plein temps.
Aujourd’hui, il cultive 30 arpents de terre. Son répertoire agricole est impressionnant : carotte, chouchou, laitue, piment cari, courgette, pâtisson, pomme de terre, betterave, gros piment… Un véritable jardin de la diversité.
Il parle des risques sans fard. « Wi plantasion legim si konn fer li bien, li plis rantab ki enn pos dan biro. Me nou expoze a boukou risk. Parfwa nou kapav perdi tou akoz klima pa favorab. » Cyclones, sécheresse, inondations : le climat est un ennemi imprévisible. Mais ce même climat peut parfois offrir des opportunités exceptionnelles.
« Parfwa tou dimounn so karo abime ek move letan. Si mo karo resi sape avek enn bon sistem drenaz, mo rekolt kapav amenn enn jackpot ki kouver tou bann lapert », explique-t-il. Raison pour laquelle il a investi dans de meilleurs systèmes de drainage, des pratiques agricoles raisonnées. Il est conscient qu’en gérant bien son sol, son eau, son calendrier de culture, il peut transformer les aléas en avantages compétitifs.
Un projet de couple
Derrière cette réussite, il y a une équipe soudée. Vivek n’est pas seul. Son épouse, Sweta Bhujun, 29 ans, est à ses côtés dans cette aventure. Ils se sont rencontrés d’une façon toute simple : grâce au père de Sweta, qui fabrique des équipements pour tracteurs et répare des caisses de camion. « Mo inn fer so konesans laba. Li osi li kontan plantasion. »
Depuis leur mariage en 2021, Sweta est omniprésente sur l’exploitation. Elle n’est pas qu’une aide ponctuelle, elle est co-pilote du projet. « Mo madam okip plis kote administrasion. Li fer tou mo bann ‘purchase’ kote intran. Parfwa li vinn sers ek kit mo bann travayer dan karo. Ek kan mo bizin li dan karo, li vinn donn mwa koudmin, sirtou bann jour kot mo pe rekolte legim. »
Sweta se lève chaque jour à 4 h 30 du matin pour préparer le repas de son mari avant qu’il ne parte aux champs. Son soutien est inébranlable, et même si le couple n’a pas encore d’enfant, son projet familial est déjà bien vivant : il pousse au rythme des saisons, des sillons et des récoltes.
Ce parcours est emblématique d’une jeunesse qui ne craint plus de redonner ses lettres de noblesse au métier de planteur. Trop longtemps vu comme un « dernier recours » pour ceux qui n’avaient pas fait d’études, l’agriculture attire aujourd’hui des diplômés comme Vivek Bhujun, prêts à innover, à investir, à moderniser.
Son bagage en génie civil n’est pas perdu. Il l’applique sur son exploitation : systèmes de drainage, optimisation des surfaces, planification des cultures. Il est convaincu que la professionnalisation est la clé pour rendre la filière attractive et économiquement viable.
Pour Vivek Bhujun, la réussite n’est pas dans un bureau climatisé, mais sur la terre chaude de son île. Ce qu’il cultive, ce n’est pas seulement des légumes, c’est une certaine vision de la liberté, de l’indépendance et de fidélité à ses racines. Et quand il parle de l’avenir, c’est avec confiance et humilité : « Mo bien kontan mo swa. Mo ‘well settled’. Ena boukou risk, me ena osi boukou satisfaksion. »
Dans le sillon tracé par son père, il a trouvé sa voie. Et il sait qu’il y aura toujours des lendemains à planter.
Ajagen Koomalen Rungen / Azeem Khodabux

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !