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Ancien patron de la défunte SST - Ashik Jagai : itinéraire d’un intouchable d’hier aux méthodes contestées 

Ashik Jagai est connu pour ses coups de filet spectaculaires autant que pour les polémiques entourant ses méthodes.
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Ashik Jagai a longtemps inspiré la crainte chez les caïds de drogue. Ses méthodes à la tête de la Special Striking Team (SST), entachées par des accusations répétées de « drug planting », ont aussi créé un climat de peur au pays. Celui qui rêvait un jour de diriger l’Adsu a fini à l’ombre, laissant derrière lui une réputation mêlant exploits et polémiques. 

C’est sous l’ère Dip que le mythe Jagai prend forme. Avec 33 années de service au sein des différentes unités de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu), Ashik Jagai, 57 ans, s’est juré de traquer caïds et gros bonnets de la drogue. 

« Pann fer dominer ar ti dimounn, ti droge e ti trafikan. Ou kone kifer mo ena sikse ? Parski dimounn fer mwa konfians. Si ou get mo karier, monn trap zis sa bann group mafia la. Dan mo karier inn ena milie arestasion, avek ‘successful prosecution’, sezi miliar roupi ladrog », se targue-t-il lors d’un entretien accordé dans la presse en 2023.

Né à Vallée-Pitot et ayant grandi entre Plaine-Verte et ses ruelles étroites, il dit avoir vu, de ses propres yeux, les ravages de la drogue : « Dan bann lane 80-82, ladrog ti pe partaze gratwitman. »

En 1989, après ses études secondaires au collège John Kennedy, il rejoint la force policière. Il passe la majeure partie de sa carrière dans les unités antidrogue, côtoyant le défunt chef inspecteur Hamza Goolamgouse au sein de la Flying Squad. 

Prises spectaculaires

Par la suite, il est appelé à diriger d’autres unités : une unité conjointe au port avec la douane, Adsu du port, ainsi que des escouades basées à Port-Louis, Plaine-Verte, Rose-Hill et Curepipe.

Au fil de sa carrière, Ashik Jagai accumule des prises spectaculaires. Son équipe fait tomber des figures notoires du trafic : la famille Omarsaiib (« La Tête »), Siddick Islam dit Ner, Ricardo Agathe, Issoop Tole, Hassen Jeewooth et Gro Derek, entre autres…

Le 7 février 2005, il est nommé inspecteur de police. En 2014, il est promu chef inspecteur. Féru d’arts martiaux, il décroche sa sixième Dan en taekwondo en 2023. Au sein de l’Adsu, il gagne un surnom évocateur : « l’Iron Man ». 

« Li ena enn lespri konbatif. Li pa kile ek li pa per trafikan. Li touletan motiv so bann zom », explique un agent qui a longuement travaillé à ses côtés. Celui-ci raconte : « Si enn lekip inn fer enn loperasion ek inn gagn kout ros, li pou reorganiz enn ‘crackdown’. Lerla li pran plizir lekip li retourne pour anpes ki ena ‘no go area’. »

En 2019, lors d’un meeting à Plaine-Verte dans le cadre de la campagne électorale, Navin Ramgoolam fustige publiquement le transfert du chef inspecteur Jagai : « Ki sann la kinn dekouver 135 kilo leroinn dan bonbonn gaz ? Sef inspekter Ashik Jagai. Dan li vinn ranplase, li dir bizin ouver. Bann la dir li abitie vini sa. Li dir bizin ouver. Letan ouver, li ramas 135 kilo leroinn. Kinn ariv Jagai ? Transfer Jagai. Ala rezilta kan ou fer ou travay bien dan Maurice. »

Sous l’ère Bhojoo, Ashik Jagai prend la tête de l’Adsu de Rose-Hill. Là, il multiplie les opérations dans des régions comme Barkly ou Kennedy. Souvent, il sort de sa division pour frapper ailleurs, notamment à Baie-du-Tombeau, Roche-Bois et Cité La Cure. 

Bruneau Laurette avait, lors de son arrestation le 4 novembre 2022, dénoncé les méthodes d’Ashik Jagai et de son équipe.
Bruneau Laurette avait, lors de son arrestation le 4 novembre 2022, dénoncé les méthodes d’Ashik Jagai et de son équipe. 

Incursions hors de sa division 

« Dan Cité Florida, Baie-du-Tombeau, nou ti rant dan kamion marsandiz pou resi sezi ladrog. Enn fwa li ti met enn gro deplwaman dan Cité Roche-Bois kot pandan plizir lerd tan ladrog pa ti pe kapav vande », témoigne un de ses limiers. 

Mais ces incursions hors de sa division irritent le quartier général de l’Adsu à Port-Louis. Selon certains, ses interventions rendaient le terrain plus difficile pour les équipes locales : « Dan Port-Louis, bann la dir ki kan li pe desann dan Roche-Bois/Baie-du-Tombeau, li pe fer terin vinn difisil pou lekip Port-Louis. Lerla li gagn transfer pou al Adsu Curepipe. » 

C’est fort de sa force de frappe sur le terrain qu’Ashik Jagai se fait remarquer par Anil Kumar Dip, alors Assistant commissaire de police (ACP) et Commanding Officer de la Western Division. Lorsque ce dernier devient Commissaire de police (CP) en 2021, il crée, en août 2022, la Special Striking Team (SST). Il place Ashik Jagai à la tête de cette unité, en lui offrant deux promotions sous son ère, le hissant au rang de Surintendant de police (SP). 

« So lobzektif sete vinn enn zour Deputy Commisioner of Police (DCP) ek vinn an sarz l’Adsu », raconte un limier de carrière de la brigade antidrogue. Pour lui, Ashik Jagai a été chanceux : « Kouma inspekter li ti sorti trwaziem. Zordi sekinn sorti premie ek segon zot ankor Assistant Surintendant. »

Pour Ashik Jagai, sa nomination à la tête de la SST est amplement justifiée : « Komiser inn bizin trouv mo Track Record, des milliers d’arrestations, avec Successfull Prosecution, sezi miliar roupi ladrog. Si ou get mo karier, monn trap zis sa bann group mafia la. » 

Premières polémiques 

En mars 2022, avant même la création de la SST, le chanteur Raquel Jolicœur, auteur du clip « Polico Crapo », accuse Ashik Jagai d’avoir piégé (« drug planting ») son frère dans une affaire de drogue. Deux mois plus tard, Raquel est arrêté à son domicile à Roche-Bois pour possession de drogue et dynamite par une escouade de la DCIU Northern. Il dépose une plainte et accuse Ashik Jagai et deux de ses hommes de l’époque d’avoir orchestré ce « complot ». Ce que nie catégoriquement le haut gradé.

Si durant ses nombreuses années passées au sein de l’Adsu, Ashik Jagai a opéré incognito, c’est lors de son passage à la SST qu’il est propulsé sous le feu des projecteurs. En sus des multiples saisies de drogue réalisées au sein de la SST, c’est surtout l’arrestation de figures publiques qui hanteront à jamais l’image de cette unité. 

Peu après sa mise en opération, la première personnalité à tomber dans les griffes de l’escouade de Jagai est l’avocat Akil Bissessur. Ce dernier est arrêté pour trafic présumé de drogue de synthèse. Une accusation provisoire qui sera rayée en mars 2023. 

Lors de cette descente à Palma, l’homme de loi déclenche un « live » Facebook et accuse l’équipe d’Ashik Jagai de « drug planting ». La réplique ne se fera pas attendre. Une vidéo de l’opération policière sera partagée sur les réseaux sociaux. Elle montre l’avocat, sac en main, refusant de laisser les policiers accéder à sa demeure. 

Dès lors, la guerre est ouverte entre Akil Bissessur et l’équipe d’Ashik Jagai. En juin 2023, l’opération « Facteur » est montée. Un policier déguisé en facteur tente de livrer un colis suspect, censé contenir de la drogue de synthèse (de la MDMA d’une valeur de Rs 2 millions selon la police), au domicile d’Akil Bissessur. L’avocat refuse de réceptionner le colis.

Akil Bissessur sera tout de même arrêté une nouvelle fois. L’opération est vivement critiquée et qualifiée de « mal ficelée » par ses avocats et d’autres observateurs, qui ont soulevé des doutes sur la conformité de la procédure. L’homme, ayant filmé la scène, accuse la SST de complot. 

Jamais deux sans trois, en 2024, l’avocat est de nouveau arrêté par l’unité. Cette fois pour possession d’un bien volé, soit un téléphone portable saisi lors d’une opération antidrogue.

Anil Kumar Dip et Ashik Jagai face à la presse en octobre 2022 pour détailler la saisie de 100 kilos de cannabis évalués à Rs 150 M.
Anil Kumar Dip et Ashik Jagai face à la presse en octobre 2022 pour détailler la saisie de 100 kilos de cannabis évalués à Rs 150 M.

Sentiment de frayeur 

Peu à peu, la crainte que suscite la SST s’installe au sein de la population. En octobre 2022, l’activiste Bruneau Laurette lance un message publiquement à l’égard d’Ashik Jagai lors d’un rassemblement : « Ki misie Jagai ti al fer 15 zour de sela lor lakot Rivière-Noire, kan enn ti group lapolis ti pe amenn rol Los Zetas ? Se mo devwar vinn denonse. Mo pou gard bann misie la zot lamone sanze. Zour zot kalkil vinn fer mazik ar mwa, mo met tou dosie lao. » 

Début novembre 2022, coup de tonnerre : la SST arrête Bruneau Laurette après la saisie présumée de Rs 230 millions de drogue dans le coffre de sa voiture. Ce jour-là, Ashik Jagai et son équipe imposent leur loi aux Casernes centrales, repoussant avec force des avocats de l’activiste. 

En mai 2023, Vimen Sabapati, membre de la garde rapprochée de Navin Ramgoolam, alors dans l’opposition extraparlementaire, est arrêté pour trafic présumé de 10 kilos d’héroïne. Il accuse lui aussi la SST de « drug planting », tout en menant une croisade contre l’escouade d’Ashik Jagai. Mais le haut gradé se défend : « ‘Drug Planting’ se ‘last resort’ ki enn dimounn ena pou li diskilpe li. » 

L’arrestation de Vimen Sabapati entraîne une cascade de dénonciations à l’encontre de la SST, dont des allégations formulées dans les « Vimen Leaks ». Paul Bérenger, alors dans l’opposition, réclame le démantèlement de cette unité de police. 

Peu après, toujours en mai 2023, l’avocat Rama Valayen est arrêté, à son tour, par la SST pour « conspiracy to pervert the course of justice ». Cela concerne des propos tenus au sujet d’une enquête policière lors d’une émission radiophonique. Le journaliste Harish Chundunsing est également arrêté par la SST pour avoir publié une vidéo alléguant une manipulation sur le 4x4 de Vimen Sabapati quelques heures avant son arrestation.

Défense politique et fin de parcours 

Rien ne freine pourtant l’ardeur de l’équipe d’Ashik Jagai. La liste des personnalités arrêtées s’allonge. Sherry Singh, ex-Chief Executive Officer de Mauritius Telecom – connu pour avoir fait éclater l’affaire « Sniffing » visant l’ancien Premier ministre Pravind Jugnauth et son camp – est arrêté plusieurs fois par la SST. Notamment dans l’affaire de saisie de cuivre, puis dans le dossier des « Moustass Leaks », à la veille des dernières élections générales. 

L’ancien numéro un de Mauritius Telecom et farouche opposant de Pravind Jugnauth accuse la SST de représailles politiques, allant jusqu’à parler de vengeance politique à son encontre. 

Face aux méthodes fortement contestées de la SST, Pravind Jugnauth, alors Premier ministre, est interpellé à l’Assemblée nationale sur le sujet. Il défend les policiers concernés : « Ce sont ceux qui ne respectent pas la loi qui ont peur de la SST. » 

Mais lors de la dernière campagne électorale, les méthodes de la SST deviennent un sujet central. Après sa victoire, l’Alliance du Changement tient sa promesse électorale : l’unité de police tant controversée est dissoute et Ashik Jagai est muté à la police régulière. Ainsi s’achève le parcours d’un policier passé de l’ombre à la lumière… puis au cœur de la tempête. 
 

 

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