Interview

Rajiv Servansingh, Chairman de MindAfrica : «Le monde des affaires souhaite plus que tout autre chose, la stabilité politique»

Le chairman de MindAfrica, Rajiv Servansingh, comme d’autres observateurs et hommes d’affaires, estime que la croissance est possible en 2017, à condition que le gouvernement jette les bases pour une stabilité économique et politique durable.

Publicité

Quelle lecture faites-vous des deux premières années du règne du nouveau gouvernement ?
Selon ma lecture, qui est aussi partagée par des membres du gouvernement, cette période n’a pas été à la hauteur des attentes soulevées par les élections de 2014.

« À la rentrée du Parlement, à la fin de mars, le MSM pourrait devenir le plus grand parti au Parlement avec une majorité simple »

Le facteur principal, qui explique cette défaillance, c’est que cette Alliance ne s’était pas préparée à une victoire massive à l’issue de ce scrutin. Le résultat a été qu’une fois au pouvoir, il y a eu une espèce de patchwork au Parlement entre les divers partis au gouvernement. Ce dernier, en deux ans, n’a pas réussi à dégager une stratégie sur le plan économique et social pour faire face aux grands défis qui, aujourd’hui, menacent notre pays.

Quel était le plus grand défi en 2014 ?
C’était la croissance économique, et ça reste notre plus grand défi. Dans un environnement global extrêmement volatile et imprévisible et comportant des menaces directes pour notre économie, Maurice connaîtra la fin des quotas sucriers issus du protocole sucre et l’émergence de nouveaux concurrents sur le marché européen et sans oublier les séquelles de la crise financière de 2008 sur le tourisme.

Est-ce que l’Alliance Lepep n’aurait-elle pas placé la barre trop haute, en termes de promesses, durant la campagne électorale de 2014 ?
Cette Alliance avait fait les promesses les plus folles. Une des preuves en est la fourniture d’eau, dont elle nous assurait qu’elle serait disponible tous les jours, puis celle d’un deuxième miracle économique. Certaines de ces promesses ont été respectées, dont l’augmentation immédiate de la pension universelle qui, dans une certaine mesure, a contribué à maintenir un déficit budgétaire relativement fort.  

Quel a été l’impact de l’affaire BAI sur l’économie ?
À la lumière de cette affaire, on peut comprendre les agissements du gouvernement dans les mois qui ont suivi la prise du pouvoir, et en l’absence d’un programme de travail pour la relance de l’économie et pour s’attaquer aux différents problèmes sociaux comme la drogue, le law and order. Dans l’urgence de faire quelque chose, le gouvernement a surtout privilégié la chasse aux sorcières en prenant des décisions probablement justifiées, mais qui ont été exécutées d’une manière quasiment irresponsable. Ajoutons à ce tableau, une instabilité politique découlant, d’une part, des circonstances et, d’autre part, de certaines faiblesses institutionnelles qui ont marqué ce gouvernement dès le début. Nous avons vu l’installation d’un gouvernement bicéphale, avec un pouvoir partagé entre le Sun Trust durant toute la période où Pravind Jugnauth s’est retrouvé hors du Cabinet, et  le siège du pouvoir au Treasury Building avec sir Anerood Jugnauth (SAJ) comme Premier ministre. SAJ était un homme presque ‘sans parti’ et cela a provoqué une crise permanente, d’où les différends entre Lutchmeenaraidoo et Bhadain, entre autres. C’est cette instabilité institutionnelle qui a aussi provoqué le départ du PMSD du gouvernement.

Est-ce que durant ces deux années, la politique n’a-t-elle pas pris le dessus sur l’économie ?
Il est difficile de faire la distinction entre la politique et l’économie. L’instabilité politique a été probablement un des facteurs-clés qui explique l’insuccès du gouvernement à mettre en place un plan de relance économique cohérente.

Est-ce que le gouvernement à été pas affaibli par le départ du PMSD ?
Pas nécessairement. Ce qui est certain, ce que Xavier-Luc Duval, en tant que ministre du Tourisme et partenaire de l’alliance, avait le soutien du secteur privé, le PMSD ayant été un parti qui a toujours favorisé une politique économique libérale. Ce départ va laisser un vide, mais cependant et assez paradoxalement, il ouvre la voie au MSM - la politique étant ce qu’elle est à Maurice -, pour ‘recruter’ un certain nombre de députés. À la rentrée du Parlement, à la fin de mars, le MSM pourrait devenir le plus grand parti à l'Assemblée nationale avec une majorité simple, cette nouvelle configuration pouvant créer les conditions d’une plus grande cohérence et de stabilité.  Mais cette perspective reste conditionnée par l’attribution des ministères et autres privilèges sans générer de frustration.

Comment le monde des affaires voit-elle une telle situation ?
Le monde des affaires souhaite plus que tout autre chose la stabilité politique. Disons les choses telles qu’elles sont : ça fait longtemps que le secteur privé mauricien s’est rendu compte que les partis politiques à Maurice, surtout ceux qui aspirent à prendre le pouvoir, c’est du blanc bonnet, bonnet blanc. Le secteur privé maintient les relations avec la classe politique afin de s’assurer que les conditions favorables à ses affaires soient créées et maintenues indépendamment de qui est au pouvoir.

Quels seront les grands défis auxquels le pays sera confronté en 2017 ?
Une chose m’a frappé en ce début d’année : celui du nombre d’enfants inscrits dans nos écoles. Savez-vous déjà qu’en 2016, ce nombre était de 13 000 et ce matin (le lundi 9 janvier 2017), il n’y avait que 12 000 admis dans le primaire, et selon cette même source, 15 000 jeunes entreront au secondaire. Je suis estomaqué que personne ne se rende compte des conséquences extrêmement graves de ce qui préfigure un véritable  défi démographique pour le pays dans les prochains dix ans. Le deuxième challenge est lié à la croissance qui, depuis presqu’une dizaine d’années, stagne autour de 3,3 % annuellement. La disparité sociale et économique s’est accentuée de manière exponentielle et la croissance de 3,5 % a surtout été une compensation du gros capital à la stagnation du pouvoir d’achat de la classe moyenne et de la classe ouvrière. Le troisième défi est la nécessité de créer les conditions de stabilité économique sans laquelle l’investissement privé, la croissance et la création d’emplois ne sont pas envisageables. Malheureusement, en 2016 comme en 2015, les prévisions ont été revues à la baisse. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’indépendamment de l’action du gouvernement, on peut discerner quelques premiers prémices positifs pour 2017 : le tourisme continue à croître, de même que, modérément, le secteur de la construction et du développement foncier, si les projets annoncés sont mis en chantier. Ensuite, malgré la renégociation de notre accord de DTAA avec l’Inde, tout indique que le global financial sector maintiendra son développement. Toutefois, les menaces viendront surtout de la montée vertigineuse du dollar, qui résultera en une inflation de nos produits importés, surtout l’alimentaire tandis que la faiblesse de l’euro aura un impact négatif sur nos importations, dont le textile, sur l’Europe.

Faut-il remettre en question notre politique de pension, comme le préconise le FMI ?
C’est un vrai problème, surtout lié au vieillissement de la population, mais ce qui m’ennuie, c’est cette obsession de certains à vouloir démanteler notre État-Providence. Le déficit budgétaire est un problème d’économie globale et la solution est souvent décidée par notre position politique, voire idéologique sur notre modèle de développement. Ce choix a résulté en un laisser-aller découlant d’une politique libérale. C’est seulement la volonté politique d’un gouvernement à prendre des mesures correctives qui permettra d’équilibrer la richesse créée. Mais encore faut-il qu’il y a cette vision de la part du gouvernement.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !