Interview

Raj Gokhool, formateur de théâtre : «Que les comédiens soient respectés à Maurice !»

Raj Gokhool

Raj Gokhool est plus connu des Mauriciens depuis l’émission ‘Millionnaire’ à la MBC. Ce grand gaillard énergique (grâce à la pratique rigoureuse d’exercices, dit-il) roule sa bosse dans tout le pays avec la troupe qu’il dirige : La comédie mauricienne. Il est animateur, écrivain, formateur, présentateur… Rencontre. 

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Racontez-nous vos origines, voulez-vous ?
Je suis né dans une famille modeste à Résidences Malherbes, Curepipe. Modeste est le mot convenable pour ne pas dire pauvre (rires). Une famille de cinq enfants. Mon père était maçon. Il nous a quittés il y a deux ans.

Il vous manque...
Et comment ! Maçon certes, mais il nous a beaucoup appris. Une manière de vivre : le respect, la courtoisie, la valeur de l’effort.

Et votre mère ?
Elle enseignait le hindi dans la baitka. Nous avions des parents simples qui nous dispensaient des leçons de vie. Par exemple, il fallait vivre en harmonie. Une querelle avec mes cousins risquait de m’attirer des réprimandes. Désobéir aux profs était interdit aussi. Il fallait aller demander pardon. Je n’aimais pas être discipliné par mes parents, mais aujourd’hui, cela me sert. La rigueur, la discipline, les valeurs… Pouvoir prendre des décisions. Cela sert à diriger une compagnie.

Vos études secondaires ?
Au John Kennedy College. C’était une belle aventure dans les années 80. Mon cousin m’a accompagné le premier jour. Je ne savais pas comment m’y rendre. Il n’y avait pas de bus scolaire à l’époque. C’était dur de se lever le matin, surtout en hiver. Mais c’était quelques-unes des plus belles années de ma vie. Les copains, les flâneries, les plaisanteries (son visage s’éclaire).

Aviez-vous un rêve à l’époque ?
Mes parents envisageaient un emploi de gratte-papier dans un bureau pour moi ou à faire de moi un professionnel. Et moi, j’étais un grand passionné de télé et de cinéma. Ma passion : chanter, danser, imiter des gens devant le miroir, gratter une guitare. Ma famille me disait: « Akter ? Pa gagn lavi sa. Teat ? Ki pou fer ar sa ? »

Qu’avez-vous fait après le collège ?
Après les études, j’ai travaillé dans quelques grosses boites. Par exemple, General Construction Ltd, qui m’a beaucoup appris. J’ai su ce que c’était de travailler de huit heures à dix-sept heures. Mais j’étais mal dans ma peau.

Pensiez-vous toujours au théâtre ?
Oui. Tellement que je m’y engageais en parallèle les samedis et les dimanches. Cela pourrait froisser certaines personnes, mais je n’ai eu aucune aide des politiciens, des Mauriciens. Ce sont des étrangers qui m’ont donné ma première chance de suivre des cours à La Réunion. Les mains tendues sont venues de l’extérieur.

Heureusement, je travaillais pour une compagnie et je pouvais me permettre de financer mes projets. J’avais écrit au ministère des Arts et de la Culture pour dire que j’ai obtenu une bourse pour des études et si je pouvais avoir un soutien. Niet.

Bien avant cela, le président Cassam Uteem était venu voir une de mes pièces, basé sur l’immense An Inspector Calls de J. B. Priestley. Après, il vient me féliciter. Une personne comme Cassam Uteem, qui a fait du théâtre, qui vient vous féliciter, c’est quelque chose. Il m’a dit : « Viens me voir si tu as besoin d’aide. » Et puis rien.

Prenez le jeu Millionnaire à la MBC. Le casting a été fait par des étrangers. Si c’était des Mauriciens, je n’aurais pas été choisi.

Et votre passage à La Réunion ?
Comme je n’avais pas beaucoup de moyens, je vivais chez les comédiens de ville en ville. Pas évident. C’était glacial en hiver au pied de la montagne. Mais bon, j’ai obtenu mon diplôme de formateur.

Comment est née La Comédie mauricienne ?
Très naturellement, je dirais. Après avoir joué une pièce : Toofan, les jeunes m’ont demandé : «What next ? » J’ai répondu : « Ben, on fonde notre troupe ! ». On a fondé un atelier. C’était en 1995 à Curepipe, au collège Renaissance.

Je donne des cours de théâtre durant les classes dans plusieurs collèges. Cinq ans après, La Comédie mauricienne prend naissance au Centre culturel français. Je me retrouve avec 80 élèves.

En même temps, je me perfectionnais en Norvège et en Bulgarie, où rien qu’à Sophia, il y avait onze écoles de théâtre qui recevaient des aides du gouvernement. La clientèle là-bas est énorme. J’ai rencontré de véritables maîtres là-bas. À la Réunion aussi. C’était en 2009. J’ai compris alors que j’avais encore beaucoup à apprendre (rires). L’écriture et la mise en scène évoluent toujours.

Un jour, une organisation de l’Afrique du Sud débarque à Maurice pour former, pendant trois jours, les personnes dans le management du théâtre. Et je me suis rendu compte que je mettais déjà en pratique à Maurice tout ce qu’ils disaient. Parce que j’avais acheté des livres sur le casting, le marketing, etc. Vous savez, un formateur a des doutes parfois. Et là, mes doutes se sont dissipés. Et puis, l’émission Millionnaire démarrait aussi à Maurice et plus de gens m’ont connu.

Parmi vos pièces, laquelle préférez-vous ?
La première : Zenfan La Ri. Lors d’un séjour au Mozambique, j’ai vu des enfants vivre et dormir dans les rues. La misère et la précarité m’ont inspiré à écrire cette pièce. Elle me hante toujours. 

Et La Comédie mauricienne aujourd’hui...
Notre entreprise a beaucoup progressé. Elle collabore avec tous les ministères et même avec la police. Pour son code d’éthique, sorti il y a trois mois, la police a fait appel à nous. Nous écrivons des pièces sur les problèmes sociaux, mais avec une dose d’humour.

Nous allons dans les entreprises, les écoles, les lycées. Nous sensibilisons les gens sur la pauvreté à Maurice. Nous travaillons avec des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Tout un programme est appliqué, comme pour les maths ou le français.

En 2008, le groupe Rogers a fait appel à moi et j’ai obtenu mon premier contrat Corporate Social Responsibility. Nous avons écrit alors des pièces sur le Sida. Nous avons donné 300 représentations en une année. Dans les collèges, les centres sociaux… Nos acteurs étaient devenus des salariés.

Puis, l’État a fait appel à nous pour sensibiliser les collégiens sur la sexualité. Pour des spectacles qui ne sont pas vulgaires, indécents, le genre qui pousse les parents à dire, « Pe koz sex avek mo zanfan ». Et maintenant, nous tournons des courts métrages aussi, comme Vinn Dan Mo Loto, sur la sécurité routière. Nous attendons en vain un signe de la Mauritius Broadcasting Corporation pour la diffusion.

Quelles sont les lacunes dans le domaine de la culture à Maurice ?
J’ai l’impression que l’État ne sait pas trop quoi faire au niveau de la culture. Par exemple, il va embaucher n’importe qui provenant de l’étranger. Il a fait du théâtre, donc il est bon. En fait, c’est parce qu’il ne fout rien là-bas qu’il est ici. Et c’est dommage. Un autre constat : la lenteur, la bureaucratie et les difficultés pour trouver de l’aide en général.

Parvenez-vous à vous évader parfois ?
Certainement. Après un gros spectacle, je trouve refuge dans la forêt, la nature. Midlands, où j’habite, est un endroit très tranquille. On y voit des singes et des oiseaux.

Votre endroit préféré à Maurice...
(Sans hésitation) Rodrigues. C’est le lieu antistress par excellence. Dès que vous arrivez à l’aéroport, vous décompressez. J’aime me balader dans les collines, mais aussi sur la côte.

Quel est votre souhait le plus cher ?
Que la troupe fonctionne sans moi. Parce que je ne vivrai pas éternellement. Qu’un plus grand nombre de comédiens puisse toucher un salaire. Que les comédiens soient respectés à Maurice, qu’ils puissent avoir accès à des prêts. Je ne veux plus entendre dire : « Vous êtes comédien, mais que faites-vous à part cela ? Qu’ils puissent dire « Je suis comédien et je gagne ma vie ».

Feroz Saumtally

 

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