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Quand Maurice veut reprendre : le contrôle sur ses îles éparses

Le bras de fer est engagé entre le gouvernement et Raphael Fishing Company Ltd, détenteur d’un bail permanent sur 13 des 30 iles de l’archipel de St Brandon. Après les Chagos et Tromelin, un troisième combat s’annonce au niveau des iles éparses.

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St Brandon : Longue bataille légale en vue

La semaine dernière, en conférence de presse, le gouvernement a affirmé, par l'entremise de l’Attorney General Maneesh Gobin, vouloir récupérer l'archipel de St Brandon par voie juridique. Raphael Fishing Company Ltd, société qui détient un bail permanent datant de 1901 sur 13 des 30 îles de l’archipel de St Brandon, ne l’entend pas de cette oreille. Elle se prépare pour une longue bataille légale, si besoin est.

Au niveau du conseil d’administration de la compagnie, l’on souligne que le bail permanent a été reconnu est validé par le Privy council en 2008. La sortie en règle de Maneesh Gobin fait face à de l’incompréhension, d’autant plus que la compagnie n’a essuyé aucun reproche sur sa gestion des îles jusqu’ici. 

La direction de Raphael Fishing a précisé, il y a quelques jours, ne pas avoir les pleins pouvoirs sur ces 13 îles. C’est « le gouvernement qui contrôle toutes les activités, incluant les droits de passage sur la mer, dans les airs et bien évidemment la sécurité nationale ». D’ailleurs, précise Raphael Fishing, les autorités mauriciennes ont octroyé des permis de pêche à « beaucoup d’autres compagnies locales de pêche », mais aussi à des sociétés étrangères.

L’archipel de St Brandon, d'une superficie d’environ 1,3 km2, se situe à approximativement 415 km au nord-nord-est de Maurice.  Il est entouré d’eaux s’étalant sur 2 300 km2, certes, peu profondes, mais très poissonneuses et  particulièrement prisées pour la pêche. À noter que Raphael Fishing impose une charte écologique très stricte à ceux qui se rendent sur les iles qu’elle gère afin de protéger un écosystème fragile. La compagnie a, d’ailleurs, établi une réserve de tortues sur l’ile du Nord. Raphael Fishing et Mauritius Wildlife Foundation travaillent en étroite collaboration afin de conserver l’environnement. 

Dans le passé, la Banque Mondiale a proposé au gouvernement de transformer l’archipel en une aire marine protégée. En 2011, dans un rapport, le ministère de l’Environnement a recommandé d’accorder ce statut, mais aucune décision n’a, cependant, été prise par le gouvernement jusqu’ici.

Ile Juan de Nova : L’anecdote

Territoire français de 4,8 km2, revendiqué par Madagascar, Juan de Nova, qui se trouve dans le canal du Mozambique, ne fait logiquement l’objet d’aucune réclamation mauricienne. Une anecdote est que le 10 mars 1952, la France a accordé une concession à la société SOFIM (Société française des iles Malgaches), présidée par le Franco-Mauricien Hector Paturau. Ce dernier est le frère de Maurice Paturau, tribun mauricien, dont l’effigie figure sur les billets de Rs 50. Le 15 juin 1960, son bail sera reconduit pour une durée de 25 ans. 

Pour exploiter le guano et le phosphate que l’on retrouve abondamment sur l’ile, ce sont essentiellement des travailleurs mauriciens qui y œuvrent. Mais lorsque l’exploitation cesse d’être rentable, la SOFIM vide les lieux en 1975. La France reprend la concession contre un versement d’indemnités à Hector Paturau.

Tromelin : Statu quo

Revendiqué par Maurice officiellement depuis le 2 avril 1976, Tromelin, petit bout de terre de 1 700 mètres de long sur 700 de large situé au nord-ouest de Maurice, à environ 500 km de toute terre habitée, reste sous contrôle français.

Le litige entre les deux pays fait sporadiquement surface. Alors qu’il y avait un accord de cogestion déjà négocié et qui avait été précédemment adopté par le Sénat français en 2012, il fut retiré de l’ordre du jour juste avant son passage à l’Assemblée nationale française. Une nouvelle tentative a eu lieu le 17 janvier 2017, avortée également. Depuis, c’est le statu quo.

Le 24 septembre dernier, à l’Assemblée générale des Nations Unies, le Premier ministre, Pravind Jugnauth avait affirmé qu’« en ce qui concerne Tromelin, qui fait aussi partie intégrale du territoire de Maurice, nous demandons une résolution rapide du litige sur l’ile dans l’esprit d’amitié qui caractérise les relations entre Maurice et la France ». Du côté français, c’est l’indifférence totale pour le moment.

Chagos : Enfin le retour ?

Les négociations entre Maurice et le Royaume-Uni pour que cette dernière cède enfin l’archipel des Chagos, comme dicté par l’Assemblée générale des Nations-Unies depuis le 22 mai 2019, vont bon train. Au niveau de Maurice, l’on est encore toujours confiant qu’un accord pourra être trouvé d’ici quelques semaines, voire quelques mois. Les deux pays sont engagés dans un second tour des négociations après celle de novembre dernier.

Agaléga : Le flou total

 De forts doutes persistent par rapport à Agaléga. Si Pravind Jugnauth a affirmé à plusieurs reprises que l’Inde n’a pas obtenu de bail, la Grande Péninsule a pourtant investi Rs 8,8 milliards jusqu’ici pour construire une piste aéroportuaire, plus longue que celle de Rodrigues, et a emménagé également un mini-port. 

De plus, c’est aussi la Grande Péninsule qui a piloté l’ensemble des travaux effectués par la compagnie de construction indienne de son choix. Pourtant, l’ile ne compte que 300 habitants environ et le gouvernement mauricien n’a annoncé aucun projet de développement. Cependant, la presse indienne, généralement très bien informée, parle sans aucune ambiguïté d’une base militaire indienne. Pour leur part, les autorités mauriciennes ont toujours soutenu le contraire. 

Par contre, au Parlement en 2021, Pravind Jugnauth devait concéder que rien n’empêche le Bureau du Premier ministre d’accorder des autorisations d’atterrissage et d’accostage d’avions et de bateaux militaires indiens, « comme on le fait déjà régulièrement pour Maurice ».


Zoom sur Raphael Fishing Company Ltd

Raphael Fishing a été incorporée le 7 juillet 1927. La nature de son business est de faire de « la vente de poissons et de produits de la mer dans les magasins ». Selon le dernier rapport annuel déposé au Registrar of Companies, l’entreprise a enregistré des pertes de Rs 1 683 257 pour l’année financière 2017. À cette époque, ses avoirs étaient estimés à Rs 85 563 532.

Conseil d’administration

Le conseil est composé de huit directeurs, à savoir :

  • Patrick Bouic
  • Bertrand Boulle
  • Charles Jean Lindberg
  • Irène Hoe-Richardson
  • Eddy Tong
  • Jimmy Tong
  • Sybrand Van Der Spuy
  • Ah Vee Li Chun

Les actionnaires

Raphael Fishing a environ 80 actionnaires, dont des personnes privées, mais aussi des compagnies. Le principal actionnaire est Jean Raymond Boulle avec un peu plus de 2,4 millions d’actions des 8 598 307 actions. C’est un homme d’affaires mauricien basé à Monaco. Il est, entre autres, fondateur de quatre sociétés cotées en bourse avec des gisements de nickel, de cobalt, de cuivre, de zinc, de titane et de diamants et un des principaux actionnaires d’Omnicane.

En 2020, c’est son groupe qui a financé l’opération de sauvetage de trois espèces rares de reptiles mauriciens qui étaient en danger d’extinction suite au naufrage du MV Wakashio. Ceux-ci avaient été transférés au Durrell Wildlife Conservation Trust, au Jersey.

Ci-dessous les principaux actionnaires de Raphael Fishing :

  • Jean Raymond Boulle
  • Société de Gestion et d’Investissement
  • Real Racing Co Ltd
  • H.K & D. Nandee Co Ltd
  • Société d’investissement de Pêche Ltée
  • Louis Raoul Harel
  • Marc Hein
  • Jean Marc Harel

Les dessous de ce bail permanent accordé à Raphael Fishing

Si le bail permanent de Raphael Fishing Company Ltd remonte au 11 octobre 1901, elle n’était, cependant, pas la première détentrice du bail. Le « permanent lease » sur 13 des 30 iles de St Brandon avait été accordé au départ par le gouvernement colonial de Maurice à St Brandon Fish and Manure Co Ltd.

Mais avant d’en arriver-la, il faut savoir que d’autres personnes avaient des « jouissances » sur les iles de St Brandon. Cela remonte à 1820, avec Ozile Majestre, Dominique Bétuel, M. Burceret, Mme Veuve Raphael et William Stone qui avaient obtenu chacun une « jouissance exclusive » sur des iles différentes de l’archipel de St Brandon de la part du gouverneur général de Maurice. À savoir qu’Ozile Majestre, avant d’obtenir sa « jouissance », avait déjà acheté un établissement de pêche en 1806 sur les iles St Brandon. Celui-ci avait été formé quelques années auparavant.

Au fil des ans, les « jouissances » ont été transférées. Le 4 septembre 1900, Louis Souchon, devenu détenteur de « jouissances » sur plusieurs iles de l’archipel, les revend à St Brandon Fish & Manure Co Ltd. Cette dernière en rachète d’autres qui appartenaient à The Mauritius Cooperative Engrais Chimiques Co Ltd le 20 septembre 1900. Le gouvernement colonial de l’époque avait été approché pour demander son autorisation à ces ventes. C’est cela qui a mené au bail permanent de 1901.

Mais St Brandon Fish & Manure Co. Ltd ne parvient pas à faire prospérer son business et fait faillite. M. Ulcoq agira en tant que liquidateur pour le compte du gouvernement. En 1928, Raphael Fishing Company Ltd se porte ainsi acquéreur de tous ses avoirs, dont fait partie le bail permanent à Rs 1 par an payable au gouvernement.

Depuis 1928, Raphael Fishing Company Ltd aura occupé et entretenu les 13 iles, comme elle a pu le prouver devant le Privy Council en 2008.

 

 

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