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Propositions et analyses des deux alliances pour le secteur éducatif

Om Nath Varma, pédagogue, Jacques Malié, pédagogue, Brian Pitchen, enseignant du système de l’Extended Programme, Michael Atchia, membre de Democracy Watch Mauritius.

Dans le cadre des prochaines élections, l’Alliance Lepep a dévoilé le mercredi 23 octobre dernier son manifeste électoral 2024-2029. Six jours plus tard, ce fut au tour de l’Alliance du Changement. Les différentes propositions faites pour le secteur éducatif sont commentées par divers pédagogues.

Manifeste de l’Alliance Lepep

Dans son manifeste électoral, l’Alliance Lepep a indiqué qu’en cas de victoire, elle va créer un « Pupil Equity Fund » pour soutenir les élèves issus de familles à faible revenu. L’Extended Programme sera remodelé avec une approche professionnelle adaptée aux besoins du marché du travail. Il est aussi prévu d’instaurer un cours préparatoire gratuit permettant à chaque jeune d’accéder aux études universitaires. 

L’Alliance Lepep veut s’assurer que chaque enfant fréquentant une école publique termine son cycle scolaire avec un certificat ou un diplôme de Higher School Certificate (HSC) ou l’équivalent du HSC. Une autre proposition est d’avoir une stratégie nationale pour promouvoir les sciences et les mathématiques au collège. 

Au niveau des enseignants qui ont un rôle clé à jouer, il est proposé de renforcer la formation continue sur des méthodes pédagogiques inclusives et la gestion de classes hétérogènes. En outre, des classes à taille réduite seront encouragées pour un meilleur suivi des élèves. Il est aussi question d’adapter les méthodes d’enseignement aux différents styles d’apprentissages des élèves. 

La méthode d’évaluation différenciée sera introduite dans le cadre du 9-Year Schooling, afin de mieux valoriser les compétences individuelles des élèves, en tenant compte de leurs différents niveaux de performance.

Rôle social et éducatif

L’Extended Programme sera revu, ayant une approche orientée vers la formation professionnelle, pour mieux répondre aux besoins du marché du travail. Les écoles primaires auront un rôle social et éducatif dans chaque quartier. Le soutien financier gouvernemental accordé aux écoles privées et confessionnelles sera augmenté.

Au niveau de l’enseignement supérieur, un « Foundation Course » gratuit sera introduit pour permettre aux jeunes qui le souhaitent d’accéder aux études universitaires. Les programmes d’études offerts par l’Université de Maurice (UoM) seront revus pour mieux répondre au développement du pays. Les complémentarités entre les universités publiques seront explorées afin d’optimiser les ressources académiques disponibles et améliorer l’offre de formation. L’Alliance Lepep parle aussi de la création des parcours hybrides où les diplômes universitaires traditionnels sont complétés par des certificats d’apprentissage pour permettre l’employabilité des jeunes.  Elle souhaite encourager également les universités, les Business Schools, les Medical Colleges, les Polytechniques et les Écoles d’ingénieurs internationaux à s’implanter à Maurice.

Au niveau de l’Enseignement technique, des Chambres des Métiers seront introduites pour soutenir le développement des différentes filières techniques. Un système de points et de crédits dans les programmes d’apprentissage sera introduit en fonction des compétences développées et des expériences pratiques obtenues.

Le pédagogue Om Nath Varma : « L’éducation, ce n'est pas de la politique... »

Le pédagogue Om Nath Varma avance qu’il y a toujours une meilleure façon de faire quelque chose. « Je pense que nous sommes dans une situation où nous devons peaufiner ce que nous avons commencé. Il est vrai que nous avons essayé, mais à chaque fois, nous ne pouvons pas tout détruire et recommencer », dit-il.

Selon lui, l'effort doit résulter d'un partenariat entre les parents, les élèves, les enseignants et l'école elle-même. Il considère qu'il est essentiel que chaque acteur prenne conscience de la nécessité de fournir un effort supplémentaire. « Critiquer et obtenir du soutien est une chose, mais l'éducation, ce n'est pas de la politique. Il existe de nombreuses recherches qui peuvent identifier ce qui fonctionne. Il est grand temps d’adopter une approche fondée sur la recherche pour la prise de décision. Aucune solution n'est facile ni infaillible », ajoute-t-il.

Le secteur éducatif met l’enfant en priorité et le Dr. Om Nath Varma soutient : « J’espère que nous penserons à l'enfant et à la nécessité d’instaurer une culture de l’effort. Nous devons veiller à ne pas tomber dans l'excès de la critique et faire en sorte que les gens pensent que nous avons LA solution. Cependant, il existe des moyens de consolider ce que nous avons acquis et de ne pas promouvoir l’idée du succès sans effort… ».

Jacques Malié : « L’argent ne résout pas tous les problèmes »

Quant au pédagogue Jacques Malié, il affirme « qu’on ne peut acquiescer et accueillir la proposition sur le Pupil Equity Fund. Il existe déjà de nombreuses formes d’aide au-delà de tout ce qui est gratuité en matière de scolarité, de transport, d’assistance basée sur des critères sociaux, etc. ». Toutefois, il insiste qu’au-delà de ces supports, il y a surtout l’accompagnement scolaire, l’attention particulière à y accorder, les sources de motivation à combler, bref un meilleur suivi académique et plus d’humanité. « L’argent ne résout pas tous les problèmes », insiste-t-il. 

Nos institutions tertiaires, principalement académiques, sont déjà saturées"

Au niveau de l’Extended Programme, Jacques Malié affirme que : « s’il existe une certitude, c’est que l’Extended Programme a été un flop, une faillite totale. Il y a eu trop de faiblesses, trop d’indifférence à l’égard de ceux faisant partie de cette catégorie. La promotion automatique au cycle secondaire n'est pas envisageable, tout comme intégrer les élèves dans le système ‘mainstream’ pour qu'ils passent les mêmes examens du National Certificate of Education (NCE). Ces choix sont des erreurs. D’où la nécessité de tout revoir et surtout d’instaurer une continuité, un fil conducteur qui ne dissocie pas le cycle primaire du secondaire. Personnellement, j’ai suggéré en maintes occasions la nécessité de diriger ces élèves en difficulté vers une formation qui leur ouvrirait les portes du marché du travail et qui les guiderait vers un métier à l’avenir ». 

Concernant la proposition d'instaurer des cours préparatoires, Jacques Malié souligne que cela s'apparente à ce que d'autres partis politiques présentent également, à savoir un « foundation course ». « Cela existe dans bien d’autres pays avec des structures déjà bien établies. Il y a de nombreuses questions à ce sujet, car nos institutions tertiaires, principalement académiques, sont déjà saturées, ce qui soulève le besoin de privilégier une approche de formation professionnelle plutôt que des études universitaires », fait-il ressortir. 

Le pédagogue ajoute que cette idée nécessite plus d’éclaircissement et de planification.

Manifeste de l’Alliance du Changement 

Le thème retenu par l’Alliance du Changement pour le secteur éducatif est : « Épanouissement individuel et mieux vivre ensemble ». Dans le manifeste électoral, il est indiqué qu’un système d’éducation qui ne permet qu’à trois élèves sur 10 de poursuivre des études tertiaires, après avoir rejoint le primaire, représente un gaspillage inacceptable de notre potentiel humain.

Selon le constat, il y a un net déclin alarmant du niveau d’éducation, avec un personnel confronté à des situations de plus en plus difficiles. Les managers des collèges privés sont esseulés dans leur combat. Les fléaux menaçants et l’indiscipline grandissante, autant de maux qui rongent notre système éducatif et qui requièrent une attention urgente. L’avenir de nos enfants en dépend. Notre avenir en dépend. Un système d’éducation inclusif s’engage d’abord à soutenir ceux qui sont les moins chanceux, tout en inculquant une culture d’entraide, d’empathie, d’équité et d’engagement. Lorsqu’un système fait exactement le contraire, les conséquences sont dramatiques tant pour la société que pour les familles. 

Nous assistons, en ce moment, à l’échec scolaire, à la marginalisation et à une mobilité sociale réduite. Ces injustices se traduisent par la reproduction des inégalités sociales, privant des milliers de jeunes d’opportunités libératrices et condamnant d’autres à des emplois précaires, vulnérables à l’exploitation par des gens sans scrupules. Le respect, la solidarité et l’entraide sont des valeurs essentielles qui permettent de combattre les incivilités et les comportements anti-sociaux. Elles contribuent énormément à assainir le climat social dans le pays et à apporter plus de sérénité au sein des foyers.

Brian Pitchen propose un cursus de cinq ans pour les élèves de l’Extended Programme 

Brian Pitchen, enseignant du système de l’Extended Programme, s’exprime sur les réformes nécessaires pour améliorer l'expérience éducative des enfants en difficulté. Tout d’abord, il souligne l'importance d’une direction claire pour répondre aux besoins spécifiques des élèves. Selon lui, il est essentiel de clarifier les objectifs et les moyens pour favoriser leur développement.

Il préconise une éducation bilingue, en introduisant le kreol comme langue d’apprentissage initiale, avant de passer à l'anglais, puis au français. « Les examens devraient également être bilingues, avec des questions posées en kreol et en anglais, excepté pour les épreuves spécifiquement d’anglais et de français », suggère-t-il, défendant ainsi une approche plus accessible pour les élèves.

En matière d’évaluation, il propose un système équilibré : 20 % pour l’oral, 50 % pour l’écrit et 30 % pour les projets. Cette répartition, selon lui, encouragerait une progression plus harmonieuse et donnerait à chaque élève davantage de chances de réussite grâce à une évaluation diversifiée.

Face aux récentes discussions politiques évoquant le remplacement de l’Extended Programme, Brian Pitchen appelle à plus de précisions : « Les élèves ont besoin de réponses concrètes. Certains ont déjà terminé le programme, d’autres débuteront cette classe en janvier 2025 après un échec au Primary School Achievement Certificate (PSAC). Il faut des propositions solides, car c’est l’avenir des enfants qui est en jeu ».

Pour enrichir l’Extended Programme, l’enseignant propose un cursus basé sur cinq ans et destiné aux élèves ayant échoué le PSAC. Ce parcours structuré serait composé de plusieurs étapes :

1. 1ère année : une immersion en literacy/numeracy, créativité, sport et technologie.
2. 2e année : consolidation des compétences de la première année avec une initiation aux éléments vocationnels et techniques.
3. 3e année : accompagnement de l’élève dans le choix d'une matière professionnelle.
4. 4e et 5e années : immersion en entreprise via des stages en partenariat avec des employeurs.

Ce modèle, selon lui, pourrait également bénéficier aux élèves du mainstream souhaitant explorer une filière professionnelle.

En ce qui concerne le critère des trois crédits obtenus au niveau du School Certificate (SC) pour accéder au Grade 12, il évoque un besoin d’harmonisation. Ce critère, mis en place sous le mandat de l'ancien ministre de l'Éducation, le Dr. Vasant Bunwaree, n'a pas entraîné de réformes parallèles au niveau du Public Service Commission (PSC) pour favoriser l'accès à l'emploi dans la fonction publique ou dans le secteur privé. « Les autorités doivent harmoniser les conditions d’emploi. En outre, n’oublions pas que pour entrer à l’université, il est nécessaire d’avoir deux ‘A’ Levels », fait-il ressortir.

Michael Atchia : « Vers une vision à long terme… »

Michael Atchia, membre de Democracy Watch Mauritius nous assure qu’ils avaient demandé aux différentes alliances politiques de présenter leurs propositions électorales au moins un mois avant les élections générales. « Ce délai offrirait un espace pour analyser, discuter et commenter les mesures proposées. Bien que les deux alliances aient soumis leurs propositions tardivement, une certaine discussion se développe malgré tout, notamment dans les médias et sur les radios privées », dit-il.  Cependant, il constate qu’il y a un manque de vision à long terme dans les programmes proposés. 

Outre l’éducation, il aborde d’autres défis majeurs qui guettent l’île Maurice.  « Aujourd’hui, nous faisons face à des défis majeurs, notamment le changement climatique et la dépendance aux énergies fossiles. Les prévisions indiquent que le prix du pétrole pourrait grimper entre 300 et 400 dollars le baril, ce qui affectera durement des nations insulaires comme Maurice. Bien que des mesures soient mentionnées au sujet des ressources naturelles, le manque de solutions face à une potentielle crise énergétique reste préoccupant ». 

En tant que scientifique, il propose une réorganisation de la vie dans les villages et les périphéries urbaines, afin que les habitants puissent vivre et travailler localement, sans avoir besoin de longs trajets. De plus, avec le développement du travail en ligne, le besoin de se déplacer devient moins crucial. Ainsi, préparer cette transition est indispensable, et des propositions d’action en ce sens sont urgemment nécessaires.

En cas de victoire, l’Alliance du Changement prend certains engagements. Ce sont :

  • Priorité sera donnée aux enseignants suppléants pour le recrutement aux postes permanents et à pension. 
  • Mise en place d’un programme global de développement des éducateurs. 
  • Mise en place de l’accompagnement des programmes scolaires pour les élèves défavorisés et en difficulté d’apprentissage afin de garantir leur réussite au niveau de l’école primaire et secondaire. 
  • « Redynamiser » les associations de parents d’élèves. 
  • Création d’un Centre de Recherche, de Développement et d’Innovation pour soutenir l’excellence de l’éducation dans les établissements publics et privés par la recherche appliquée. 
  • Création d’une plateforme numérique pour assurer la continuité dans le processus d’enseignement et d’apprentissage. 
  • Fournir des installations d’internet gratuites dans tous les établissements d’enseignement et fournir les moyens de formation nécessaires aux éducateurs afin de populariser l’enseignement en ligne. 
  • Mise en œuvre d’un programme national d’entretien et de réhabilitation de tous les établissements scolaires publics et subventionnés.
  • Au niveau de l’Early Childhood Care & Education, introduction d’un programme alimentaire au niveau de l’Early Childhood Care & Education.  
  • Amélioration du ratio élèves-enseignants pour une meilleure attention personnalisée de l’enfant. 
  • Mise en place d’une cellule de monitoring de santé pour l’Early Childhood Care & Education. 
  • Au niveau de l’enseignement primaire, introduire un programme national visant à assurer l’acquisition des compétences de « basic numeracy and literacy » pour tous les élèves au plus tard en troisième année (Grade 3). 
  • Détection précoce des difficultés d’apprentissage et mise en place de classes de rattrapage. 
  • Enseignement secondaire : la réintroduction du critère d’un minimum de 3 credits aux examens du School Certificate pour être admis aux examens du Higher School Certificate (HSC). 
  • L’Extended Programme sera supprimé et un cursus alternatif sera introduit. 
  • Des tablettes et des livres électroniques seront distribués gratuitement à tous les élèves à partir de la 10e année. 
  • Une commission d’enquête sera mise en place pour faire la lumière sur les malversations dans la fourniture de tablettes aux étudiants. 
  • Le rôle et le fonctionnement de la PSEA seront revus. 
  • La collaboration entre les universités, les écoles polytechniques et l’industrie sera encouragée, afin que les cours offerts soient axés sur la demande et que l’inadéquation des compétences sur le marché du travail soit résolue. 
  • Le secteur du Technical and Vocational Training (TVET) sera révisé et rationalisé.  
  • Suppression des goulots d’étranglement dans le traitement des prêts EWF pour les études supérieures. 
  • Introduction d’un système de crédits pour les performances sportives pour l’admission aux universités, à la Mauritius Institute of Education (MIE) et à Polytechnics Mauritius Ltd. 
  • Subvention de Rs 15 000 pour l’achèvement d’une thèse ou d’un projet de dernière année aux étudiants inscrits à des cours d’Undergraduate et Masters avec des institutions tertiaires. Pour le doctorat, la subvention sera de Rs 30 000. 
  • Octroi de bourses aux sportifs pour leur permettre de poursuivre des études secondaires et supérieures.
 

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