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Pravind Jugnauth a obtenu la libération sous caution dans une affaire de blanchiment d’argent, soulevant des débats sur l’égalité judiciaire. L’ex-juge Vinod Boolell défend l’indépendance de la magistrature et rappelle que la justice doit rester impartiale face aux critiques.
Le 16 février 2025, une motion de remise en liberté en faveur de l’ancien Premier ministre Pravind Jugnauth a été accueillie favorablement vers 23 h 45, dans une affaire présumée de blanchiment d’argent impliquant pas moins de Rs 113 millions. Cette décision, et le fait que la cour a siégé jusqu’à fort tard, ont ravivé dans l’opinion publique l’adage « Bail for the Rich, Jail for the Poor ».
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Interrogé sur cette perception, Vinod Boolell, ancien juge de la Cour suprême, observe : « À Maurice, dès qu’une personnalité politique est arrêtée, on tend à oublier qu’elle jouit aussi de droits fondamentaux. La tendance est à la crucifixion. » Il souligne que l’ancien Premier ministre dispose des mêmes droits que tout autre citoyen face à la justice. « Le principe fondamental veut que la liberté soit la règle, et la détention l’exception », rappelle-t-il.
Concernant la séance judiciaire tardive jusqu’à 23 h 45 présidé par le magistrat Rishan Chineah, il apporte une clarification importante : « Il existe une confusion qu’il faut dissiper. Il faut faire la distinction entre les cours de district et la Bail and Remand Court. La Week-End Court a précisément été instituée pour traiter rapidement les demandes de libération en attendant l’ouverture des tribunaux de district en semaine. »
Bien qu’il reconnaisse le caractère inhabituel d’une audience si tardive, l’ancien juge explique que l’alternative aurait été de reporter la décision au lendemain. « Sans connaître les motifs précis de ce choix, il convient d’éviter les interprétations hâtives », précise-t-il.
Évoquant les réactions aux décisions judiciaires touchant la sphère politique, Vinod Boolell constate : « Le public a tendance à fermer les yeux lorsque c’est un citoyen lambda qui est arrêté et traduit en justice. Mais dès qu’il s’agit d’une personnalité influente, on cherche à la crucifier. »
Il met également en lumière l’attitude paradoxale des politiciens, soulignant qu’ils doivent donner le bon exemple en matière de respect de la justice : « Rappelez-vous les déclarations publiques de Pravind Jugnauth après la libération sous caution de l’activiste Bruneau Laurette, notamment ses critiques envers la magistrate Jade Ngan Chai King. Il était alors Premier ministre. Aujourd’hui, je ne l’entends pas contester la décision du magistrat Rishan Chineah. »
À Maurice, dès qu’une personnalité politique est arrêtée, la tendance est à la crucifixion»
Sur l’indépendance de la magistrature, Vinod Boolell explique : « Ni la loi ni la Constitution ne codifient explicitement l’indépendance des juges et magistrats. Elle repose sur une convention respectée par le corps judiciaire. Cette indépendance relève avant tout de l’éthique personnelle. Comme le dit l’adage, ‘la perception de l’indépendance prime sur l’indépendance elle-même’. » Quant aux supposées pressions sur les magistrats, il les considère largement infondées. « Aucun cas concret n’a été documenté jusqu’à présent », affirme-t-il.
Il témoigne de la possibilité réelle d’une justice indépendante : « Durant ma carrière de juge, je n’ai jamais subi une quelconque influence, qu’elle soit politique, qu’elle vienne d’un confrère juge ou encore d’un groupe commercial. Bien entendu, un magistrat ou un juge peut consulter ses pairs sur des points de droit avant de statuer. »
L’ancien juge rappelle également que la Cour d’appel permet de corriger d’éventuelles erreurs de jugement. « Cette structure garantit l’indépendance du système judiciaire », souligne-t-il.
Concernant les magistrats et juges confrontés à l’impopularité de leurs décisions, Vinod Boolell partage un enseignement : « Les juges Rajsoomer Lalah et Droopnath Ramphul m’ont appris qu’un magistrat ou un juge doit avoir la peau dure. Il lui faut accepter les critiques, même injustes et déplaisantes, tout en restant au-dessus de la mêlée. Son rôle n’est pas de participer au débat public mais de se concentrer sur sa mission. »
Il conclut en soulignant la responsabilité des magistrats et juges dans la construction de la confiance publique : « Les institutions cruciales comme la FCC et la police sont dirigées par des êtres humains. Si leurs responsables n’agissent pas de manière indépendante, cela risque d’éroder gravement la confiance du public envers ces institutions. »
Quand l’indépendance de la justice est mise à l’épreuve
Libération de Bruneau Laurette : jugement « bancal » selon Pravind Jugnauth
En mars 2023, lors d’une rencontre avec des représentants de la communauté musulmane à Surinam, une controverse éclate lorsque Pravind Jugnauth, Premier ministre en exercice, émet des critiques acerbes envers la magistrate Jade Ngan Chai King. A la suite de sa décision de libérer sous caution l’activiste Bruneau Laurette, le Premier ministre qualifie son jugement de « bancal » et va jusqu’à la traiter d’« incompétente ». Ces propos, enregistrés et rendus publics, provoquent l’indignation d’Eshan Juman, qui dénonce une atteinte grave aux principes fondamentaux de séparation des pouvoirs et d’indépendance judiciaire.
Affaire MedPoint : SAJ et son « mauvais jugement »
En juin 2015, Pravind Jugnauth, alors ministre des Technologies de l’information, de la communication et de l’innovation dans le gouvernement dirigé par son père, sir Anerood Jugnauth (SAJ), est reconnu coupable de conflit d’intérêts dans le dossier MedPoint, concernant l’acquisition d’une clinique privée par l’État.
La réaction de SAJ ne se fait pas attendre. Le 3 juillet 2015, lors de la célébration de l’indépendance américaine à Vacoas, il n’hésite pas à qualifier publiquement la décision de « mauvais jugement ». L’affaire connaîtra ultérieurement un revirement spectaculaire : la condamnation de Pravind Jugnauth sera annulée en appel, une décision que confirmera par la suite le Conseil privé.
Le cas Vidya Mungroo-Jugurnath
En juin 2023, la Judicial and Legal Service Commission décide de muter la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath au bureau du Directeur des poursuites publiques. Une décision survenant après ses critiques envers la défunte Special Striking Team dans le dossier Akil Bissessur.
La magistrate s’était notamment distinguée en présidant l’enquête judiciaire sur le décès de Soopramanien Kistnen, un agent politique du MSM dont le corps calciné avait été découvert en octobre 2020. Alors que les forces de l’ordre privilégiaient la thèse du suicide, son investigation avait abouti à une conclusion différente, établissant qu’il s’agissait d’un homicide et mettant en lumière des défaillances majeures dans l’enquête policière initiale. Ce transfert administratif a soulevé de nombreuses interrogations quant à ses véritables motivations.
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