L’ancien senior advisor et parrain du Youth Employment Programme (YEP), Roland Dubois, aujourd’hui directeur de la compagnie Roland Dubois Consulting, revient sur la formation et le placement des jeunes. Selon lui, tout le système actuel est à revoir.
Publicité
Vous qui êtes le parrain du Youth Employment Programme (YEP), considérez-vous que ce programme soit un succès ?
Ce projet a été un succès. Plus de 20 000 jeunes en ont bénéficié depuis son lancement en 2013. On parle de 4 000 jeunes placés dans des entreprises par an. D’ailleurs, 95 % de ceux qui ont complété leur stage ont trouvé de l’embauche. Toutefois, le remboursement des employeurs posait problème. Ce qui a été source de découragement.
Il y a eu de nombreuses critiques contre ce programme avec des bénéficiaires choisissant de tout abandonner à mi-chemin…
Il faut prendre en considération le phénomène de changement courant d’emploi chez les jeunes. Une étude qu’on avait faite a démontré les attitudes suivantes chez nos jeunes : certains ont arrêté de travailler pour poursuivre leurs études. Ou encore, d’autres sont partis quand ils ont trouvé un emploi à meilleure rémunération. 25 % sont partis sans donner de raison. Cela concerne surtout des emplois dans des centres d’appel ou dans le secteur du « retail » où ils n’ont pas été satisfaits des conditions de travail. Il faut toutefois reconnaître qu’un jeune qui passe quelques mois dans une entreprise en sort gagnant. Il a acquis non seulement de l’expérience mais aussi la culture du travail. C’est facile de critiquer si vous n’êtes pas au courant des réalités.
Récemment le gouvernement, par le biais du ministère des Coopératives, a annoncé le placement de 1000 gradués au sein des PME. N’est-ce pas là un moyen de se procurer d’une main d’œuvre bon marché pendant les deux ans que durera ce placement ?
Tout dépend de la façon qu’on veut voir les choses. Concernant ce plan, au lieu de placer un jeune, on aurait dû placer un groupe de diplômés dans divers domaines. Et leur placement ne devrait pas être dans une seule entreprise, mais dans plusieurs. Ainsi, nombreuses sont les entreprises qui pourront bénéficier des compétences de ces jeunes. Et les employeurs et les jeunes en sortiront gagnants. Puis, on parle d’entreprenariat. Ces jeunes pourront puiser de l’expérience de ces PME et pourquoi pas devenir des entrepreneurs. D’ailleurs, il faut que ces jeunes aient un mentor de leur université pour les orienter. Tout un système doit être mis sur pied comme en Malaisie. C’est un peu dans cette direction que doit s’orienter le projet.
Souvent des entreprises se plaignent de ces jeunes gradués qui ne sont pas prêts à l’emploi car ils n’ont pas les compétences et aptitudes recherchées. Qu’est-ce qui explique cela ?
Effectivement, des jeunes qui vont à l’université se concentrent sur le côté académique et ne connaissent pas le monde industriel et ni le marché du travail.
Comment justement y remédier ?
Il faut intégrer les compétences d’employabilité dans leur formation et non pas se concentrer sur le côté académique. Notamment les inculquer le sens de la discipline, la ponctualité, le respect de l’autre, la bonne attitude, le travail d’équipe et l’entraide et la courtoisie, entre autres. Surtout que les études, comme c’est actuellement le cas, rendent nos jeunes égoïstes. C’est un peu chacun pour soi. Les jeunes ont aussi des efforts à faire. Il faut qu’ils s’améliorent à travers la lecture, en soignant leur écriture et leur connaissance numérique.
Donc, on doit comprendre que nos jeunes n’ont pas cette culture du travail qui leur est demandée ?
Il manque beaucoup de choses à ces jeunes. Ils ne lisent pas assez et ne se documentent pas sur plusieurs dossiers. Certains ne connaissent pas l’économie de Maurice. Encore moins les secteurs porteurs d’emplois. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui ne savent pas pourquoi ils ont choisi une filière. Souvent c’est à cause de l’influence des parents ou de leurs pairs. Et des fois, ils n’ont pas d’autres choix. Sauf que le marché est saturé dans certains domaines.
Est-ce que finalement la politique d’un gradué par famille a été un échec ?
Je le redis encore. à Maurice, on met trop l’accent sur le côté académique. On néglige ainsi la formation professionnelle. Au Rwanda par exemple, 60 % des jeunes doivent aller dans ce secteur. Même au Singapour, pays qu’on aime imiter, 25 % des jeunes vont à l’université. Il y a 25 à 40 % qui se lancent dans la filière polytechnique. Alors qu’ici tout le monde veut aller à l’université pour suivre n’importe quel cours. Et quand ces jeunes se retrouvent au chômage, on blâme le gouvernement. L’éducation c’est comme un business. Il faut savoir dans quel secteur entrer, soit dans un secteur porteur. Je blâme d’ailleurs le fait que le « career guidance » soit virtuellement inexistant. Donc, les jeunes ne sont pas conseillés sur leur choix d’études. D’où l’importance d’une chambre des métiers pour que l’on puisse les canaliser vers les secteurs d’avenir. Dans un autre volet, il faut aussi revoir la qualité des formations.
Venons-en au « mismatch ». On en parle depuis plus d’une décennie, mais pourtant c’est un problème qui perdure. Comment expliquer cela ?
C’est un problème qui perdure non seulement à Maurice, mais dans de nombreux autres pays à travers le monde. Il y a une sorte de dislocation entre ceux qui forment et ceux qui reçoivent la formation. Pour que les choses s’améliorent, il faut une symbiose entre les deux.
Au final, n’est-ce pas les cours dispensés dans nos universités publiques qui posent problème ?
Il faut tout revoir. Que ce soit les formations et la façon que les formations sont données. Une intégration des étudiants dans des situations de travail est recommandée. Et surtout il faut assurer la qualité au niveau des services offerts. Par ailleurs, les dissertations doivent être « industry-based » ou « socio-economic based ». Il faut du réalisme et être réaliste, et ne pas se cantonner uniquement sur le côté académique.
Comment mieux canaliser nos jeunes vers des secteurs porteurs d’emplois ?
Il faut la mise sur pied d’un observatoire de l’emploi où on énumèrera les secteurs d’avenir. Outre un bon « career guidance », les enseignants devraient pouvoir canaliser les jeunes dès leur entrée au collège. Je dirai qu’il faudrait un suivi psychologique des étudiants pour connaître leurs aptitudes et compétences. Ce sera ainsi plus facile de les guider.
Force est de constater qu’il y a aussi des gradués dont les diplômes ne servent à rien…
Cela demande réflexion. Pour commencer, ils ont mal choisi leur filière d’étude supérieure. Ou la qualité des cours dispensés n’est pas bonne. Ce qui signifie que les diplômes ne servent à rien. Si ces jeunes ont une bonne base, ils peuvent toujours se « reskill » et changer de filière. Mais là encore, il faut savoir dans quel secteur s’engouffrer. D’où l’importance d’un observatoire de l’emploi. Et c’est pour cela que je dis que les jeunes doivent être formés pour avoir les compétences d’employabilité. Ainsi, il faut revoir tout notre système éducatif et de formation.
Dans le dernier budget, l’accent est mis sur l’intelligence artificielle. Sommes-nous prêts à faire face à ce défi ?
On n’est pas du tout prêts. On a déjà des problèmes à régler le mismatch. Une chose est sûre : on a un problème et il faut mettre le paquet. On ne peut pas continuer à faire des choses au petit bonheur. On doit appliquer la formule Build, Buy, Borrow et Bridge. Ce qui signifie, il faut former nos jeunes, acheter les compétences ou les louer et aider les gens à exploiter leur potentiel.
Selon vous, quels sont les autres secteurs porteurs d’emplois ?
Il y a tant de secteurs. De l’énergie renouvelable, au développement des logiciels en passant par la cryptomonnaie, la mécatronique, le génie géologique, la mécanique de précisions, la comptabilité française. Il existe plusieurs possibilités. Il ne faut pas se cantonner aux secteurs traditionnels. Il faut avoir la volonté de sortir des sentiers battus.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !