
Entre tensions sur le marché des devises et difficultés à débloquer des dollars, PME et importateurs naviguent à vue. Retards, surcoûts et ruptures de stock compliquent leurs opérations et soulèvent des inquiétudes pour la santé économique du pays.
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Le marché mauricien des devises étrangères, en particulier du dollar américain, connaît des tensions croissantes. Plusieurs acteurs économiques, notamment des importateurs et petites et moyennes entreprises, tirent la sonnette d’alarme face à la difficulté d’accéder à cette monnaie indispensable pour leurs transactions à l’international.
Bhim Sunnassee, président de la Petrol Retailers Association et entrepreneur, se dit préoccupé. Il relate avoir fait une demande de 10 000 dollars (environ Rs 400 000) auprès d’une banque commerciale depuis plus d’une semaine, sans recevoir de réponse. « Il faut presque mendier auprès des banques commerciales pour obtenir des devises », déclare-t-il.
Selon lui, cette situation a déjà des conséquences concrètes sur son activité. « Entre-temps le coût du fret a augmenté de 260 dollars par conteneur. On se demande où sont passées les devises, alors que la Banque centrale intervient régulièrement sur le marché », poursuit-il. Pour Bhim Sunnassee, les PME sont particulièrement désavantagées dans ce contexte. Il estime qu’au lieu d’encourager leur développement, les obstacles liés à l’accès aux devises étranglent leurs efforts. « On leur met des bâtons dans les roues », lance-t-il.
Cette difficulté n’est pas isolée. Du côté des grandes entreprises, le constat est similaire. Le Chief Operating Officer (COO) d’Innodis, Sonny Wong, indique que la disponibilité des devises reste un défi majeur pour l’ensemble des importateurs. Il insiste sur l’importance de respecter les délais de paiement auprès des fournisseurs internationaux, afin de maintenir la réputation du pays auprès des assureurs de crédit. « Il est crucial pour les opérateurs de préserver un bon crédit rating. Des retards peuvent affecter la perception du pays et compromettre des partenariats commerciaux », souligne-t-il.
Les commerçants de détail, eux aussi, font face à des difficultés accrues. La General Retailers Association, par la voix de son président Dominique Filleul, confirme que plusieurs membres rencontrent des obstacles persistants pour se procurer des devises étrangères. « Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle s’est accentuée ces derniers mois. Les banques sont plus sélectives, les délais de traitement s’allongent, et cela complique la gestion des commandes », explique-t-il.
Selon Dominique Filleul, ces contraintes ont un impact direct sur les activités commerciales. « Plusieurs commandes sont annulées ou retardées. Cela provoque des ruptures de stock et pousse certaines entreprises à recourir à des canaux d’approvisionnement alternatifs, souvent plus coûteux », déclare-t-il, estimant aussi que cette perte d’efficacité et de compétitivité met en danger la viabilité de nombreux commerçants, notamment les plus petits.
Allocation spéciale de devises
Face à cette situation, des propositions émergent. Bhim Sunnassee plaide pour la création d’un fonds dédié aux PME par la Banque de Maurice. « Les interventions ponctuelles de la Banque centrale ne suffisent pas. Il faut un mécanisme spécifique pour garantir une distribution équitable des devises aux PME », avance-t-il.
La General Retailers Association, de son côté, appelle à « une plus grande transparence » sur la disponibilité réelle des devises sur le marché. Elle recommande aussi de prioriser certains secteurs stratégiques, notamment le commerce. « Une meilleure coordination entre les institutions financières et les régulateurs s’impose », souligne Dominique Filleul. Il propose également d’engager un dialogue avec les autorités fiscales et monétaires pour mettre en place des mesures temporaires de soutien, comme une allocation spéciale de devises pour les opérateurs les plus touchés.
Quatre interventions de la Banque centrale depuis le début de 2025
Date | Montant injecté | À un taux de change de … |
---|---|---|
6 janvier 2025 | 10 millions de dollars | Rs 46,75/USD |
27 janvier 2025 | 15 millions de dollars | Rs 46,30/USD |
24 mars 2025 | 15 millions de dollars | Rs 45,60/USD |
14 avril 2025 | 10 millions de dollars | Rs 45/USD |
Pas d’explication auprès de la Banque centrale
Nous avons sollicité la Banque de Maurice afin d’obtenir des éclaircissements sur la situation actuelle du marché des devises, notamment pour confirmer s’il existe effectivement une pénurie de dollars, comme le rapportent plusieurs opérateurs économiques. À ce stade, aucune réponse n’a été communiquée par l’institution monétaire, malgré nos multiples relances.
Trois raisons qui expliquent la pénurie de dollars
Selon les cambistes interrogés, plusieurs facteurs contribuent au manque de dollars observé actuellement sur le marché. Voici les trois principales causes identifiées.
1. Une forte demande liée à l’importation de véhicules
À l’approche de l’entrée en vigueur des nouvelles mesures fiscales annoncées dans le Budget 2025-26, plusieurs concessionnaires ont anticipé leurs commandes en important un grand nombre de véhicules, neufs ou reconditionnés. « Ces opérations nécessitent des millions de dollars. Cette forte demande a donc absorbé une grande partie des devises disponibles », explique un cambiste.
2. La basse saison touristique
En cette période de basse saison, les recettes en devises issues du tourisme diminuent. Par conséquent, les entrées de devises étrangères dans le pays sont nettement inférieures à celles enregistrées durant la haute saison, accentuant ainsi le déséquilibre sur le marché des changes.
3. Le phénomène de ‘holding’
Avec un taux de change considéré comme peu favorable, certains détenteurs de dollars préfèrent conserver leurs devises dans l’attente d’une appréciation. « Ce phénomène de rétention volontaire limite l’offre sur le marché, malgré les interventions régulières de la Banque centrale », souligne un autre cambiste.

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