Interview

Penny Hack, avocat d’affaires: «Ce n’est pas que sur l’ICAC que plane une perception de partialité»

« Nous nous approchons d’un chaos gouvernemental. Il se peut que le PM commande une majorité, mais il ne peut plus gouverner. »
Penny Hack commente la semaine mouvementée en politique et l’impact du conflit Lutchmeenaraidoo-Bhadain sur le secteur financier. Il évoque aussi la nécessité d’avoir des institutions indépendantes. Quelle a été votre interprétation des ces récents événements politiques ? La priorité n’est pas l’avancement du pays. Les 12 commandements ont été mis de côté. Aujourd’hui, il y a une guerre au détriment du pays. C’est une guerre de pouvoir et d’influence au sein du gouvernement… Tout politicien aspire à gravir les échelons et à, peut-être, devenir Premier ministre. Cela a basculé dans quelque chose de dangereux. Nous nous approchons d’un chaos gouvernemental. On peut se dire qu’il s’agit d’une débâcle ou du résultat d’une volonté de nettoyer même chez soi… On a arrêté le nettoyage. Ils sont tellement pris par leurs problèmes internes. Quand on parle de nettoyage, on parle principalement de la BAI et de la Bramer Bank. Cela a été une catastrophe à ce jour. C’est un échec au niveau du nettoyage externe et maintenant, un chaos interne. Dans son affidavit, Lutchmeenaraidoo accuse l’Icac de participer à un complot son collègue destiné à « le tuer politiquement ». Quelle est votre opinion ? Sous l’ancien gouvernement comme sous l’actuel, les institutions ne sont pas impartiales. L’Icac n’est pas la seule institution sur laquelle il existe une perception de partialité et d’ingérence politique. Les board members sont des nominés politiques. Cette perception plane aussi sur des corps parapublics et même des banques. Vishnu Lutchmeenaraidoo ne fait que confirmer ce que tout le monde sait déjà. Plus qu’une perception, il s’agit d’un fait ? Je peux clairement vous dire oui. J’ai assisté à une conférence à laquelle un ministre a invité tout le board et l’exécutif d’un corps parapublic. On pouvait voir, à travers le body language, qu’ils étaient de mèche. Il n’y a pas de séparation entre la politique et l’exécutif de ces autorités. Un ministre qui jure un affidavit contre un autre membre du Cabinet, cela vous choque-t-il ? Un affidavit est une chose sérieuse. Maintenant, quand c’est un ministre qui en accuse un autre, c’est alors très sérieux. Cela nous dit qu’il y a au moins trois factions au gouvernement. Il y a deux ministres d’un côté, le Premier ministre de l’autre. Et cela va s’accentuer dans les jours à venir. Les semaines qui suivront seront donc mouvementées ? Oui, vu qu’il va falloir maintenant choisir son camp. Certains se tiendront à l’écart. Beaucoup se rallieront à Jugnauth, alors que d’autres seront soit du côté de Lutchmeenaraidoo soit du côté de Bhadain. Cela créera encore plus d’instabilité et de chaos. Et n’oublions pas le facteur Dayal. Me Ajay Daby, qui défend Raj Dayal et Vishnu Lutchmeenaraidoo, a critiqué les manquements de la Prevention of Corruption Act (PoCA) et le flou autour des procédures et pouvoirs de l’Icac. Doit-on revoir tout cela de fond en comble ? C’est impossible d’avoir une loi parfaite. Le problème, c’est l’ingérence politique et la nomination des proches du pouvoir. Si on élimine cela, l’Icac peut fonctionner, même avec ses imperfections. Faut-il complètement se défaire des nominations politiques ? Je crois que les fonctionnaires doivent être présents sur les boards comme observateurs. Ils peuvent faire des rapports et des recommandations, sans participer à la prise de décisions. Cela doit être entre les mains de professionnels indépendants, surtout pour des institutions comme les banques ou la Sicom. Prenez cette décision extraordinaire de la Financial Intelligence Unit d’imposer un due diligence aux bookmakers. Ils étaient tenus de prendre les noms de leurs clients et de savoir d’où provenait l’argent avant de prendre les paris. C’est d’une naïveté incroyable. Cette décision découle d’une ignorance de l’industrie et des conséquences que cela peut avoir. On a eu droit à la guerre entre l’ex-ministre des Finances et le ministre des Services financiers. Maintenant, les Finances relèvent de la responsabilité du Premier ministre. Quel impact cela a eu sur le secteur ? Le grand mal avait déjà commencé avec l’affaire BAI. Et les négociations dans le traité Inde-Maurice et tant de choses dans la façon dont le secteur a été géré. Cette guerre entre ministres ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Nous avions demandé un ministère dédié aux Services financiers. à la place, nous avons eu un ministère de Financial Services and Good governance. La demande n’était pas de changer, de réguler et de contrôler davantage. Changer, contrôler et dicter la politique. Ce n’est-ce pas un peu le rôle d’un ministre ? Non. Il y a déjà un régulateur pour cela. Le ministre est là pour les policy decisions et la promotion du secteur. Le conflit Lutchmeenaraidoo-Bhadain était-il visible au niveau du secteur des services financiers ? Je crois que c’était déjà assez évident avec la cacophonie entourant les négociations autour de la Double Taxation Avoidance Agreement avec l’Inde. L’un disait que tout était réglé, l’autre qu’il n’allait pas signer. On savait que ce traité allait mourir tôt ou tard, mais pas dans de telles circonstances. On pensait que cela allait s’étaler sur le temps et que nous aurions le temps d’explorer d’autres avenues. Là, nous sommes devant un vide avec rien pour le remplacer. Le fait que le portefeuille des Finances passe sous la tutelle du Premier ministre redonne-t-il espoir ? Il gère ce portefeuille parce qu’il n’a pas le choix. Je pense qu’il ne sait plus qui mettre aux Finances. Je crois qu’il a perdu confiance. Idem pour la Mauritius Broadcasting Corporation et les TIC… Ce n’est pas anodin quand même.
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