Il est le seul Mauricien encore en vie à briguer les suffrages pour la douzième fois. À 79 ans, Paul Bérenger n’a rien perdu de ses convictions. Dans le cadre de la campagne électorale en cours, nous l’avons rencontré pour découvrir l’homme derrière la personnalité politique.
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Ayant toujours une boutade sous le coude, Paul Bérenger nous lance : « Si ti tard ankor enn tigit mo ti pou fini gagn somey. » Le ton est ainsi donné pour une entrevue centrée sur l’homme, sa douzième participation à des élections générales et sa longévité politique.
À l’heure dite pour notre rendez-vous, Paul Bérenger est assis sous sa terrasse, nous attendant avec un sourire. Il nous invite à prendre place dans son salon. Le but de l’entretien précisé de nouveau, nous voilà plongés plusieurs années en arrière, dans une histoire que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. C’est l’homme, le militant, qui se livre à nous pour un voyage dans son passé, ses débuts en politique et sa première participation aux élections générales, un 20 décembre 1976.
Au fil de la conversation, l’homme se dévoile un peu plus pour laisser transparaître son humilité, mais aussi sa grande sensibilité humaine. Cela, d’un ton parfois sérieux, mais avec surtout des rires et des éclats de rire. Ses yeux pétillants laissent deviner sa passion tant pour la politique que l’histoire du pays.
À 79 ans, Paul Bérenger en est à sa douzième participation aux élections générales, lors desquelles il a connu des fortunes diverses. Bon gré mal gré, dans la victoire comme dans la défaite, il affirme être resté le même et n’avoir jamais dévié de ses objectifs : mener un combat politique au niveau de Maurice, régional et international.
Presque offusqué d’être qualifié de « politicien », Paul Bérenger souligne qu’il est une personne engagée politiquement mais qu’il n’est pas un politicien. « Mo deteste dimounn ki fer karyer politik », dit-il, déplorant que de nombreuses personnes considèrent la politique comme une carrière.
N’est-il pas fatigué à son âge ? Sa réplique est immédiate : « Ou ki pe dir sa. » Pourquoi poursuit-il son combat ? Qu’est-ce qui motive Paul Bérenger ? À quoi carbure-t-il donc ? Militant dans l’âme, il se décrit comme un combattant politique qui connaît l’histoire de son pays mieux que personne. « J’ai toujours inscrit mon combat dans l’histoire de Maurice, de l’esclavage et la lutte contre l’esclavage, à l’engagement et la lutte contre l’engagisme », remarque-t-il. À bientôt 80 ans en mars 2025, il continuer de garder sa capacité d’indignation et s’identifie aux peuples qui souffrent d’injustice et de la domination.
Mo enn militan koltar me asterla koltar mem nepli ena, ena beton partou»
Depuis sa création, le Mouvement militant mauricien (MMM) a toujours eu une dimension internationaliste, fait-il ressortir. « Je ne suis pas un fanatique de l’histoire de Maurice, mais j’ai toujours dit qu’un pays qui ne connaît pas son histoire est comme un navire sans gouvernail », souligne-t-il. L’homme a ainsi passé beaucoup de son temps à enseigner l’histoire de Maurice plutôt qu’à faire de la politique traditionnelle. La dimension internationale et la solidarité avec les peuples opprimés de l’apartheid en Afrique du Sud, au Vietnam et ailleurs font partie de l’ADN du parti, l’amenant à mener des luttes sincères et intenses, selon Paul Bérenger. Cela a façonné le parti et c’est une source de fierté pour lui.
Élections générales de 1976
Revenant sur les élections générales de 1976, Paul Bérenger rappelle qu’elles furent les premières après celles de 1967 qui avaient porté Maurice à l’indépendance. « Je crois que nos aînés, à cette époque, ont fait beaucoup de torts au pays en reportant les élections de 1972. »
Y aurait-il eu les affrontements que le pays a connus en 1971 si la perspective des élections de 1972 avait été maintenue ? Paul Bérenger ne le pense pas. Nombreux sont ceux qui se sont retrouvés derrière les barreaux pendant une année, dont ses camarades et lui. « Inn ariv seki inn arive, se lavi », ajoute-t-il sans amertume.
À leur libération, un gros travail de « reconstruction » a dû être fait pour le parti et les syndicats, car des lois avaient été passées pour « kraz » les partis et les syndicalistes. Les années 1973 et 1974 y furent donc consacrées, pour retrouver des « jambes » politiques et syndicales, et l’année 1976 est finalement arrivée.
Nous étions jeunes et sincères, emportés par les élections, et au lieu de finir au pouvoir, nous avons atterri en prison»
Cependant, soutient-il, si les élections de 1972 avaient bel et bien eu lieu, le MMM aurait « balay karo ». Et selon Paul Bérenger, la victoire aurait été encore plus éclatante qu’en 1976, car le temps passé en prison les avait quelque peu « refroidis ».
Non, ils n’étaient pas de grands stratèges avec un plan bien établi. D’ailleurs, Paul Bérenger déteste cette idée que certains se font : « Nous étions jeunes et sincères, emportés par les élections, et au lieu de finir au pouvoir, nous avons atterri en prison. Puis la nature a suivi son cours jusqu’aux élections de 1976. »
Paul Bérenger raconte qu’à l’époque, les membres du MMM n’avaient aucune expérience et n’auraient jamais imaginé les résultats obtenus. Le MMM avait remporté 34 sièges, le PTr 28 et le PMSD 8.
Mathématiquement, c’était le MMM qui aurait dû former un gouvernement. « Me Bondie kone ki ti pou fer si ti form gouvernman », lâche-t-il en riant. À cette époque, une seule personne avait une expérience parlementaire et gouvernementale : Anerood Jugnauth. « Tous les autres étaient des jeunes, des syndicalistes et des militants », lance-t-il avec enthousiasme.
L’histoire, « ki desid par limem ek ki ena so prop volonte », aurait montré qu’une alliance entre le PTr et le MMM aurait été possible. Mais sir Seewoosagur Ramgoolam, voulant rester Premier ministre, a préféré s’allier au PMSD, alors qu’Anerood Jugnauth insistait, de son côté, pour devenir Premier ministre du MMM. « Nou inn bien lager, me ti ena enn gran konplisite ant nou. »
Paul Bérenger pense que si les membres du MMM avaient eu plus de maturité, il est probable que le MMM aurait trouvé un chemin vers une alliance avec le PTr. « Nou’nn redi lalign me Bolom Ramgoolam ti enn renar, linn al avek PMSD. »
Quarante-huit ans après, Paul Bérenger se demande encore comment le MMM a pu accepter cette situation sans contestation. « Nous avons joué le jeu parlementaire et constitutionnel. » Ce qui a donné lieu à une opposition forte composée de « enn ta zeness zom ek fam ».
Se remémorant ces moments avec une grande émotion, il ajoute que « Bolom Ramgoolam » était « enn fenomenn ». « Nous nous sommes disputés, mais c’était de manière civilisée », déclare-t-il. Pour lui, c’était une période extraordinaire avec les « zeness ki ti pe leve ».
Mo kontan retir bann leson de bann erer, me mo pa atard mwa lor la. Mo prefer get ki kapav konstrwir a partir de seki inn al mal»
Paul Bérenger affirme avoir été emporté par l’effervescence électorale plus que par tout autre chose. « Loto nou pa ti ena sa lepok-la », souligne-t-il, riant en se remémorant le « fenomenn ki ti vinn avek nou » en la personne de Ram Pyndiah, ancien Secrétaire financier. En effet, pour lui, bien que brillant, Ram Pyndiah était un « phénomène ». « Pa kapav fonksione dan enn parti politik avek sa kalite personalite-la. » Mais il dit avoir appris à vivre avec, sans regret.
Avec nostalgie, il évoque les campagnes d’autrefois : « Loto mem nou pa ti ena. Aster tou zafer elektronik. » Paul Bérenger admet regretter un peu la manière de faire campagne : « Mo enn militan koltar me asterla koltar mem nepli ena, ena beton partou. » Mais bien que les méthodes aient évolué, la sincérité reste une constante : « Dimounn ki sinser res sinser ; ek dimounn ki ladan pou ranpli so pos ou bien pou loner ou par grander personel li parey. »
S’il dit avoir accompli de bonnes choses, même si « ce n’est jamais assez », Paul Bérenger est également conscient d’avoir fait des erreurs durant ces cinquante années. Revenant sur la cassure du MMM en 1983, il qualifie cet épisode de dramatique, et admet que sa jeunesse et sa fougue ont pu contribuer à la rupture. « Mo kontan retir bann leson de bann erer, de bann fo pa, de bann esek, me mo pa kontan atard mwa lor la. Mo prefer get lavenir ek gete ki kapav konstrwir a partir de seki inn al mal. »
D’abord candidat dans la circonscription n°18, il a ensuite migré au n°19 (Stanley/Rose-Hill) en 1991, en partie à cause de la défaite de Devanand Routhoo. Confronté à une forte adversité politique, il a décidé de poser sa candidature au n°19. « Je n’ai jamais quitté pour autant les militants du n°18 malgré tout. » D’ailleurs, Paul Bérenger avoue que cela a été un privilège d’avoir représenté ces deux circonscriptions.
Pendant ses 50 ans de « combat, et non de carrière politique », il constate être le seul Mauricien encore en vie à briguer les suffrages pour une douzième fois et avoir vécu deux 60-0 en 1982 et 1995. Tout cela lui a appris beaucoup de choses : « ne jamais être prétentieux. » Selon Paul Bérenger, un des pires défauts de l’homme est l’arrogance, que ce soit l’arrogance individuelle ou celle du pouvoir. « Mo pa pe deklar fezer kan mo dir sa », affirme-t-il.
Et une autre grande leçon que la vie lui a apprise est de savoir vieillir. « Ena dimounn per vieyi, vieyi mal, per mor, dimounn mor mal. Mwa, mo esay vieyi bien otan ki mo kapav, apre nou ava gete », dit-il sans ambages. C’est donc l’avenir qui dira s’il participe pour la dernière fois aux élections générales.
Et s’il avait la possibilité de revenir en arrière ? Paul Bérenger affirme qu’il aurait toujours fait de la politique : « Pou mwa ena enn sel fason viv. Nou ena enn devwar vizavi nou pei, vizavi nou lepep, vizavi nou la zeness ek enn devwar lor plan internasional osi. »
Moments marquants
Paul Bérenger se souvient d’un moment marquant de ses 50 années en politique : lorsqu’il a été élu dans la circonscription n°18 (Belle-Rose/Quatre-Bornes), mais que son colistier, Devanand Routhoo, qui était « koumadir enn frer pou mwa », ne l’a pas été. « Bann zafer koumsa inn bien boulvers mwa. »
Paul Bérenger retient aussi que lors de la célébration de la victoire 60 – 0 en 1982 au Champ de Mars, l’émotion était si forte qu’il a versé des larmes. « Se enn de bann rar lokazion kot monn plore o mikro. » Cette victoire est l’un des grands moments de son parcours.
Engagement des jeunes
Quel regard porte-t-il sur l’engagement politique des jeunes ? À cette question, Paul Bérenger répond : « Je ne blâmerai jamais les jeunes, ils sont le produit des adultes. »
Il note toutefois que le monde actuel diffère totalement de celui de sa jeunesse : « Les jeunes, aujourd’hui, subissent des pressions immenses avec Internet et les chaînes d’informations telles CNN et la BBC. » Il estime déraisonnable d’attendre des jeunes d’aujourd’hui qu’ils aient la même attitude que ceux de 1969 à 1976, car ils n’ont pas le même engagement, face notamment aux changements sociétaux et l’influence de l’idéologie occidentale.
À son époque, un meeting était un événement extraordinaire. Aujourd’hui, beaucoup préfèrent « asiz dan zot salon, tap zot tilabier ek get an direk (lor rezo sosio) seki pe arive dan meeting ». Oui, la politique attire encore des jeunes, dit-il, « mais pas assez ».
Savoir rire de soi-même
Paul Bérenger se considère non pas comme un politicien, mais comme un homme libre de ses convictions. Tout en plaisantant, il avoue d’un ton plus sérieux se méfier des personnes qui ne rient jamais : « Dimounn ki pa riye se dimounn ki mertri bien souvan dan so lanfans kot li kapav inn imilie. »
Il prône l’importance de savoir rire de soi-même : « Il faut pouvoir se regarder dans le miroir et se demander ce qu’on a fait de mal la veille et rire de sa bêtise. » Ce sens de l’autocritique et de l’humour le pousse à lancer souvent des boutades, même s’il admet qu’il ne rit pas toujours et que parfois « mo sape ».
Il se rappelle la fois où un jeune journaliste l’a interpellé aux funérailles de Cassam Wohedally (dit Cassam zulu) en août 2022, lui disant : « Monsieur Bérenger, ou’nn perdi enn gran azan azordi. » D’un ton acerbe, il avait rétorqué : « Ki azan ? Cassam zulu ti enn azan sa ? Non, ti enn militan, enn patriot. » Aujourd’hui, en y repensant, il en rit. Pour lui, avoir ce genre de personnes sur terre est une chance.
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