
La gestion des travailleurs étrangers à Maurice est gangrénée par des pratiques opaques et des réseaux d’influence qualifiés de « mafieux ». Depuis sa nomination comme ministre du Travail, Reza Uteem a engagé une réforme radicale : suppression du processus d’appel, digitalisation des permis, ainsi que renforcement des réglementations et du contrôle des recruteurs pour garantir transparence, équité et protection aux étrangers.
Vous avez parlé d’une « mafia » dans le recrutement des travailleurs étrangers lors de votre Private Notice Question en janvier. Sur quelle base vous appuyez-vous ?
Lorsque j’évoque l’existence d’une « mafia » dans le recrutement des travailleurs étrangers, je me fonde sur les témoignages de nombreux employeurs. Plusieurs d’entre eux m’ont décrit les obstacles considérables auxquels ils se heurtaient pour obtenir les autorisations nécessaires. Pendant ce temps, certains employeurs, passant par des agents recruteurs bien connectés, voyaient leurs dossiers traités avec une facilité étonnante.
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Il est apparu que ces agents jouissaient d’un accès privilégié au sein du ministère et n’hésitaient pas à exercer des pressions sur certains officiers pour accélérer le traitement de leurs dossiers. Cette pratique, totalement inacceptable, créait une distorsion flagrante : certains employeurs se voyaient autorisés à faire appel au ministre, tandis que d’autres, dans les mêmes conditions, voyaient leur demande rejetée.
Qui en fait partie ?
La Financial Crimes Commission (FCC) a déjà ouvert une enquête sur ces pratiques. Il est essentiel de laisser la justice et les autorités compétentes mener leur travail en toute indépendance. Par respect pour la loi et le bon déroulement des procédures, il serait inapproprié de citer des noms à ce stade.
Quels étaient les principaux mécanismes ?
Certains agents recruteurs faisaient croire qu’ils avaient des contacts « en haut lieu » capables de faciliter l’octroi des permis de travail, et se faisaient grassement rémunérer pour leurs services. Il faut également souligner que certains recruteurs véreux ne se limitaient pas au recrutement pour Maurice. Ils détournaient des travailleurs mauriciens pour les faire partir travailler à l’étranger, exploitant ainsi à la fois les candidats et le système local.
Y a-t-il eu des complicités ou des protections internes dans votre ministère ?
Quant à savoir si ces rémunérations ont été redistribuées à des fonctionnaires ou à des politiciens, seule l’enquête en cours de la FCC pourra établir la vérité.
Cette mafia est-elle encore active aujourd’hui ? Si oui, quelles mesures concrètes votre ministère met-il en place pour la démanteler ?
Depuis mon arrivée au ministère, nous avons pris des mesures fortes pour assainir et mieux réglementer le processus d’octroi des permis de travail. Nous avons aboli le système d’appel et instauré une règle stricte de traitement impartial des dossiers, sur la base du principe « first come, first served ».
Nous avons renforcé les critères d’éligibilité, notamment en mettant l’accent sur le principe d’« inability to recruit » : une entreprise ne peut recruter un travailleur étranger que si elle démontre, preuves à l’appui, qu’elle n’a pas trouvé de main-d’œuvre locale. Dans le même esprit, nous avons assoupli le système de quotas pour le rendre plus équitable. Ces réformes visent à fermer la porte à toute forme de favoritisme et à garantir un traitement juste et égal pour tous les employeurs.
Comment le comité interministériel intervient-il ?
Mis en place en janvier 2025 sous ma présidence, le comité interministériel sur les permis de travail a été chargé de s’attaquer aux défis liés au recrutement des travailleurs étrangers et au traitement des demandes de permis. Ce comité regroupe les ministres du Tourisme, de l’Intégration sociale, de l’Industrie, et, lorsque nécessaire, le ministre des Technologies de l’information, notamment pour les questions liées à la digitalisation des procédures.
Nous avons déjà tenu plusieurs sessions de travail et soumis nos recommandations au bureau du Premier ministre. Une fois qu’elles auront été validées, je déposerai le document au Conseil des ministres pour adoption.
La digitalisation des demandes de permis et le registre des recruteurs suffiront-ils à stopper les pratiques illégales ?
Il est important de rappeler qu’aucune agence de recrutement ne détient actuellement de permis, aucun renouvellement n’ayant été accordé depuis 2023. Dans les semaines à venir, mon ministère présentera de nouvelles réglementations imposant aux agences de recrutement de respecter des règles strictes et un code de conduite rigoureux, basé sur le principe d’un recrutement éthique.
La digitalisation des demandes de permis et la mise en place d’un registre centralisé des recruteurs sont des leviers essentiels pour renforcer la transparence et tracer l’ensemble des opérations. Combinées aux nouvelles réglementations, ces mesures visent à réduire drastiquement l’espace laissé aux pratiques illégales et à protéger les travailleurs étrangers contre toute forme d’exploitation.
Peut-on s’attendre à des sanctions ?
Absolument. Les agences de recrutement qui ne se conformeront pas à ces obligations s’exposeront à des mesures sévères, y compris la révocation immédiate de leur licence et des poursuites au pénal.
Dans ce contexte de mafia et de corruption, avez-vous déjà été approché ou tenté de vous faire soudoyer par des recruteurs ou employeurs influents ?
Effectivement, dans les jours et semaines qui ont suivi ma nomination, plusieurs individus ont tenté de me soudoyer. Ils ont rapidement compris que je n’étais pas à vendre et qu’un vent de changement allait balayer ce ministère.
Comment avez-vous réagi et quelles mesures avez-vous prises pour protéger le processus légal et votre intégrité ?
En supprimant le processus d’appel, j’ai considérablement réduit la possibilité d’influence du ministre sur l’octroi des permis. Dans la grande majorité des cas, je me conforme aux recommandations du comité technique. Dans les rares situations où je ne partage pas l’avis de rejeter une demande, je renvoie le dossier au comité technique en leur demandant de solliciter de l’entreprise tous les documents manquants et de fournir des preuves que le recours à des travailleurs étrangers est réellement nécessaire, faute de main-d’œuvre locale.
À titre personnel, jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour éradiquer cette mafia, même face à des intérêts puissants ?
Maintenant que nous allons délivrer à nouveau des licences aux agences de recrutement, je veillerai au grain pour qu’il n’y ait aucun abus. Je serai sans pitié envers les agents qui ne respectent pas la loi et le code d’éthique.
Que souhaitez-vous que le public et les Mauriciens retiennent de votre action dans ce dossier dans 12 mois ?
Je souhaite que dans douze mois, les Mauriciens constatent que nous avons su gérer avec responsabilité et transparence un enjeu crucial pour l’avenir du pays. Avec le vieillissement de la population, le recours à la main-d’œuvre étrangère est inévitable et nécessaire pour soutenir notre économie.
Nous avons déjà mis en place plusieurs mesures pour faciliter l’embauche de travailleurs étrangers dans les secteurs où la pénurie de main-d’œuvre est avérée, notamment pour les employés domestiques, les Carers et les PME. Mais je tiens à souligner que cela ne se fera jamais au détriment des travailleurs mauriciens.
Il est aussi important de rappeler qu’en 2023, Maurice avait été placé sur la liste noire des États-Unis pour la traite humaine, notamment en raison de cas d’exploitation de travailleurs migrants. Cette situation, survenue sous le régime MSM, a gravement affecté la crédibilité et l’attractivité économique de notre pays.
Depuis ma prise de fonction, j’ai engagé une réforme radicale : nous renforçons la réglementation, contrôlons rigoureusement les agences de recrutement et mettons fin aux pratiques abusives. Mon objectif est de restaurer la crédibilité de Maurice sur la scène internationale et de garantir que tous les travailleurs étrangers sont traités avec dignité et respect, conformément aux normes internationales.
Combien de travailleurs étrangers sont actuellement présents à Maurice ?
Selon les chiffres, il y a 16 570 Indiens, 11 198 Népalais, 8 473 Malgaches, 8 335 Bangladais et 775 Sri-Lankais.
Et le nombre de recruteurs agréés et non agréés ?
Selon les chiffres de mon ministère, 57 agences de recrutement disposaient d’une licence en 2023. Depuis cette date, aucun nouveau permis n’a été délivré, les réglementations étant en cours de révision.

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