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Patrimoine : le rôle de la boutique chinoise dans le développement de Maurice

boutique chinoise

Beaucoup plus qu'un bâtiment commercial, la boutique chinoise a longtemps été le cœur de nos villages ou de nos quartiers. Pas uniquement un magasin d'alimentation, elle était aussi une mercerie, parfois une quincaillerie, souvent un débit de boissons mais surtout un incontournable lieu de rencontres où les Mauriciens de toutes les communautés et de toutes les classes s'approvisionnaient en denrées en tout genre, s'abreuvaient des dernières nouvelles... ou de quelques topettes de rhum.

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Avant l’établissement de ces fameuses boutiques qui firent leur réputation, les premiers commerçants chinois étaient essentiellement des marchands ambulants qui faisaient du porte à porte pour écouler leurs produits. À la fin de la période française, ils étaient encore peu nombreux à Maurice mais leur petit commerce était bien établi. Localisés surtout à Port-Louis, ils s’étaient regroupés, déjà à l’époque, dans un même quartier, au coeur de la capitale qui deviendra, des décennies plus tard, le fameux Chinatown.

Lorsque les Britanniques prirent possession de Maurice, le gouverneur Robert Farquhar voulut donner une certaine impulsion à l’immigration chinoise. Il permit à un petit nombre d’immigrés volontaires de venir s’installer dans l’île. Ils étaient placés sous la responsabilité d’un chef issu de la même communauté. La plupart de ces immigrés venaient de la province de Fukien et étaient venus chercher fortune dans l’île, principalement dans le commerce. 

Mais les débuts furent plutôt laborieux. En 1830, ils n’étaient guère plus d’une vingtaine de Chinois à vouloir s’installer à Maurice. Au départ, les nouveaux arrivants n’étaient pas tous commerçants, certains étant même tailleurs, bijoutiers ou charpentiers de marine. Ainsi, il n’y avait à cette époque que dix boutiques chinoises qui possédaient des permis d’opération dans toute l’île.

Cependant, en quelques années, le nombre d’immigrés chinois augmenta de façon drastique. Cela était dû en grande partie au fait que la Chine était en proie à de graves crises internes. Ces événements provoquèrent une vague d’émigration de Chinois à travers le monde, notamment lors de la fameuse Guerre de l’Opium, à partir de 1839.

Le nombre de Chinois grandissait donc dans l’île et le commerce leur réussissait bien. Selon les estimations, il y eut quelque 400 immigrants en provenance de Chine entre 1833 et 1846. L’un d’eux, Hahime, un commerçant prospère, se distinguait des autres. Entretenant de bonnes relations avec l’administration britannique, il agissait comme chef de la communauté. Il avait bénéficié du bon vouloir des autorités et avait obtenu des permis d’opération pour ouvrir plusieurs commerces, se lançant même dans la bijouterie et la fabrication de chaussures. Hahime était le parfait stéréotype du commerçant chinois, avec un sens aigu des affaires et un esprit d’entreprise à toute épreuve.

Tout au long du 19e siècle, le commerce chinois allait ainsi se développer dans l’île grâce aux efforts de marchands qui n’hésitaient pas à couvrir de longues distances pour écouler leurs produits. Arrivant à Maurice avec de la marchandise achetée en Inde, à Singapour ou ailleurs dans l’Empire britannique, ils la revendaient en 3 ou 6 mois en parcourant des kilomètres dans l’île, de villages en villages, établissant ainsi un réseau qui allait, par la suite, s’avérer crucial dans l’implantation des commerces, les fameuses boutiques chinoises.

Avant que les boutiques ne s’installent de façon durable dans le paysage mauricien, le trait le plus typique représentant le commerçant chinois était le chapeau pointu et le balancier en bambou des marchands ambulants. Profitant de l’opportunité qui se présentait à eux, ces marchands finirent par se sédentariser en obtenant des permis d’opération pour ouvrir de petits magasins d’alimentation un peu partout à travers l’île.

Ainsi, à partir de 1900, la grande majorité des Chinois installés à Maurice étaient des boutiquiers et leurs commis. On dénombrait à travers l’île 276 boutiques ou magasins. Les autres Chinois étaient principalement des artisans, charpentiers ou bijoutiers, très peu étaient employés comme cuisiniers ou comme personnel de maison. Il ne restait plus que quelques marchands ambulants...

Chinatown qui avait vu le jour autour des boutiques de la rue Royale, allait s’étendre vers le nord de Port-Louis à partir des années 1910 et pendant les années 1920. Le quartier, fondé à l’origine par les marchands originaires de la province de Fukien et de Canton, allait aussi accueillir des commerçants Hakka.

Tout au long du XXe siècle, les commerçants chinois allaient ainsi s’implanter dans leurs villages et dans les principales zones urbaines. Lien essentiel de la communauté avec le monde, leurs boutiques furent souvent les premières dans les camps sucriers ou dans les villages à disposer du téléphone, puis du téléviseur dans les années 1960. Mieux encore, la boutique était parfois le seul espoir de survie dans certaines zones rurales où le boutiquier, avec son système de crédit, permettait à des familles entières de subsister en continuant à s'approvisionner, malgré un manque cruel de liquidités.

Mais peu à peu, les commerçants chinois allaient quitter les comptoirs des boutiques pour se lancer, durant la dernière partie du XXe siècle, dans les affaires ou faire carrière dans d’autres domaines. Avec le développement des grandes surfaces, dans les années 1990, la boutique a finalement perdu du terrain, dans les villes d’abord, puis dans les villages.

Aujourd’hui, quelques-unes d’entre elles continuent de résister à l’invasion de la grande distribution. Vouée à la disparition, lentement mais inexorablement dans la plupart des quartiers ou villages, la boutique chinoise aura cependant, pendant plus d’un siècle, joué un rôle crucial dans le développement socio-économique de Maurice. Elle est à ce titre un élément incontournable du patrimoine mauricien.

Sources: Laboutik sinoi – Christian Le Comte/Blue Penny Museum - Abacus and Mah Jong, Sino-Mauritian Settlement and Economic Consolidation de Marina Carter et James Ng Foong Kwong – Crédit photo : Collection Jean Marie Chelin

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