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Opacité des contrats pour les organismes publics - Dan Maraye : «Ceux qui marchandent leur rémunération ne sont pas ‘fit’ pour servir l’intérêt général»

Dan Maraye, ancien gouverneur de la Banque de Maurice.
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Le débat sur la transparence des contrats au sein des organismes publics est relancé. Clauses protectrices, indemnités élevées, manque d’accès à l’information : une opacité persistante entoure des accords financés par l’argent des contribuables. Faut-il désormais rendre ces contrats publics pour garantir une gestion plus responsable ?

Peut-on encore justifier le secret autour des contrats quand l’argent public est en jeu ?
Peut-on encore justifier le secret autour des contrats quand l’argent public est en jeu ?

La récente mise en demeure de Charles Cartier, ancien CEO d’Air Mauritius, relance le débat sur la nature des contrats accordés aux hauts dirigeants d’organismes publics. À travers une réclamation de plus de Rs 91 millions pour rupture anticipée de contrat, l’ancien patron de la compagnie aérienne nationale met en lumière des pratiques contractuelles. Celles-ci soulèvent de nombreuses questions sur la transparence, l’équité et la gestion des fonds publics.

Recruté en mars 2024 pour un mandat de trois ans, Charles Cartier percevait un salaire mensuel de Rs 750 000, auquel s’ajoutait une allocation « all-inclusive » de Rs 100 000, une allocation voiture du même montant et une provision mensuelle de 400 litres de carburant. Son contrat aurait été résilié de manière jugée « unilatérale ». Ce qui, selon lui, va à l’encontre des clauses contractuelles stipulant que toute rupture doit se faire « conformément à la loi ». Il estime que cette décision est « abusive, injustifiée et contraire à la procédure ».

Il réclame Rs 91 095 432, représentant les salaires et les allocations jusqu’à la fin prévue de son contrat en mars 2027, ainsi que des primes, des congés non pris et d’autres avantages. Ce cas soulève une question récurrente : les contrats des dirigeants d’organismes publics doivent-ils être rendus publics pour permettre un meilleur contrôle citoyen ?

Des contrats opaques, des indemnisations colossales

Charles Cartier n’est pas un cas isolé. Avant lui, Rundheersing Bheenick, ancien gouverneur de la Banque de Maurice, avait intenté une action réclamant Rs 270 millions à son ancien employeur. Son parcours à la tête de la Banque centrale s’était déroulé en deux temps, de 2007 à 2014, interrompu par une enquête à son encontre. Bien que blanchi, son second mandat avait été résilié en décembre 2014. Il estime qu’il a subi un préjudice important à la suite de cette résiliation et se tourne, lui aussi, vers la justice pour obtenir réparation.

Siv Potayya, avocat au sein du cabinet Wortels Lexus.
Siv Potayya, avocat au sein du cabinet Wortels Lexus.

Dans un autre registre, les rémunérations accordées aux présidents et directeurs d’organismes publics suscitent des interrogations. Sattar Hajee Abdoula, qui a dirigé le conseil d’administration de SBM Holdings de 2020 à 2024, a perçu Rs 37,3 millions en honoraires. Harvesh Seegolam, qui a occupé le poste de gouverneur de la Banque centrale jusqu’en 2024, a touché Rs 23,48 millions pour les années 2021 et 2022. Ce qui ne représente pas le montant total de sa rémunération globale durant son mandat. 

Pour Siv Potayya, avocat au sein du cabinet Wortels Lexus, la situation est symptomatique d’un manque de transparence et de cohérence. Il plaide pour une uniformisation des contrats pour tous les directeurs d’organismes publics, rédigés par l’Attorney General Office, afin d’éviter des divergences contractuelles difficiles à justifier. « Servir l’État dans une haute fonction implique des responsabilités et un engagement envers l’intérêt public. Il est essentiel que les contrats soient transparents, surtout lorsqu’ils sont financés par l’argent des contribuables », dit-il. 

Siv Potayya pointe également du doigt l’opacité qui entoure certaines nominations. Il y a celle de l’ancien directeur de l’Icac, dont le contrat n’a jamais été rendu public sous l’ancien régime.

Des contrats protecteurs

Nassir Ramtoola, actionnaire minoritaire de SBM Holdings, admet que chaque cas peut être unique, mais estime qu’il existe une réelle différence entre les pratiques du privé et celles des organismes contrôlés par l’État. « Là où l’État intervient, il faut s’assurer que les contrats arrivent à terme sans clauses excessivement protectrices », fait-il ressortir. 

Selon lui, il est compréhensible qu’un dirigeant soit attiré par une offre plus intéressante, mais les compensations prévues ne doivent pas excéder les risques assumés. Il avance même que les conseils d’administration devraient pouvoir être poursuivis pour des décisions qu’il juge « illogiques » lorsqu’elles se traduisent par des pertes importantes pour les actionnaires.

Repenser le cadre contractuel

Nassir Ramtoola, actionnaire minoritaire de SBM Holdings.
Nassir Ramtoola, actionnaire minoritaire de SBM Holdings.

Dan Maraye, ancien gouverneur de la Banque de Maurice, propose une réforme en profondeur. Il estime que tous les contrats devraient prévoir un délai de préavis de trois mois, que ce soit pour une résiliation à l’initiative de l’employeur ou du salarié. Il dénonce une forme d’arbitraire dans les conditions de nomination et appelle à plus de rigueur dans les processus de recrutement.

Pour lui, la transparence est une condition sine qua non pour éviter la corruption et restaurer la confiance. « Les contrats des personnes nommées à des postes politiques devraient être rendus publics, tout comme leurs qualifications. Ceux qui marchandent leur rémunération ne sont pas ‘fit and proper’ pour servir l’intérêt général », avance l’ancien gouverneur de la BoM. 

Il rappelle que le gouvernement a promis une « politique de rupture ». Selon lui, le moment est venu de traduire ces intentions en actes concrets, en mettant en place une culture de la transparence dans tous les organismes.

Vers une obligation de publication

Derrière les montants, il y a une question de principe : qui surveille l’usage des fonds publics lorsque les décisions contractuelles peuvent entraîner des indemnisations de plusieurs dizaines de millions de roupies ? Le flou qui entoure la nature des contrats, la procédure de nomination et le manque d’informations accessibles au public sont autant de zones d’ombre qui alimentent la suspicion. Or, chaque indemnisation financée par les deniers publics est une charge supplémentaire pour le contribuable.

Alors que les salaires des députés et des ministres sont connus, pourquoi ne pas étendre cette transparence aux dirigeants des organismes publics ? demande Siv Potayya. Cette simple mesure permettrait non seulement de renforcer la confiance du public, mais aussi de responsabiliser les organes décisionnels dans la négociation des contrats.

Rendre publics ces contrats permettrait également d’évaluer leur cohérence avec les pratiques du marché, tout en assurant que les conditions de départ ne soient pas démesurées par rapport aux services attendus.
Au fil des années, les organismes publics ont vu passer des dirigeants aux rémunérations généreuses, parfois assorties de clauses contractuelles protectrices. Dans un contexte de restriction budgétaire et de besoin accru de bonne gouvernance, la transparence contractuelle apparaît de plus en plus comme une nécessité.

Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit à une rémunération juste ni la nécessité d’attirer des profils compétents. Mais lorsque l’argent public est en jeu, la transparence ne devrait pas être une option, rappellent les intervenants.
 

 

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