• Les coulisses d’un tourisme qui met en danger les cétacés
Les eaux turquoise et les fonds marins luxuriants de Maurice font rêver les amateurs de plongée. Pourtant, derrière cette beauté se cachent des dangers insoupçonnés. Le Dimanche/L’Hebdo vous invite à découvrir les précautions à prendre lors de vos explorations sous-marines.
De la simple baignade aux explorations sous-marines les plus audacieuses, l'île Maurice offre une palette d’activités nautiques infinie. Les lagons turquoise, véritable invitation à la détente, attirent chaque année des milliers de visiteurs. Mais pour profiter pleinement de ces moments privilégiés, il est essentiel d’adopter une attitude responsable.
Le dimanche 6 octobre dernier, un incident en mer aurait pu avoir de graves conséquences. Alors qu’il participait à une excursion d’observation des dauphins sur la côte ouest, un couple de touristes asiatiques âgés d’une trentaine d’années, attiré par un cachalot, a bravé les interdictions (NdlR, les Tourism Authority (Dolphin and Whale Watching) Regulations 2012 imposent aux bateaux de plaisance de maintenir une certaine distance de sécurité) et plongé dans l’eau pour nager à ses côtés.
Mais le couple ne se doutait pas qu’un requin longimanus se trouvait à proximité. L’homme, dans un geste imprudent, a tenté de toucher le requin, provoquant la réaction instinctive de l’animal qui, en se défendant, l’a blessé au visage. Sa compagne, prise de panique, a été blessée par l’hélice d’un bateau.
Pris au piège entre le cachalot et le requin, le couple a dû nager désespérément pour regagner le bateau. Le skipper, impuissant face à la situation, ne pouvait s’approcher d’eux en raison de la présence du cachalot. Les deux blessés ont été rapidement ramenés sur la plage de Tamarin, puis transportés d’urgence à l’hôpital Yves Cantin de Rivière-Noire.
La femme, légèrement touchée, a pris l’avion dans l’après-midi pour regagner son pays. L’homme, plus sérieusement blessé à l’œil, a été transféré à l’hôpital Victoria, puis au Bharati Eye Hospital. Il a quitté le pays le 9 octobre dernier.
Le Dr Antonin Blaison, expert reconnu en biologie marine et écologie comportementale des requins, consacre ses recherches à ces prédateurs depuis 2018 à Maurice. À Le Dimanche/L’Hebdo, il explique que les eaux mauriciennes abritent une quarantaine d’espèces de requins, dont une dizaine est régulièrement observée. Parmi ces espèces, le requin longimanus se distingue par ses grands ailerons arrondis aux extrémités blanches. Ce requin pélagique, qui évolue en pleine mer, peut atteindre jusqu’à quatre mètres de long.
Est-il dangereux ? Le Dr Antonin Blaison précise que le requin longimanus est potentiellement dangereux en raison de sa réputation de ne pas craindre l’homme. « Il est connu pour être assez actif lors des rencontres avec des plongeurs ou des apnéistes. Son comportement, associé à sa grande taille, en fait un requin à surveiller. Cependant, il est très rare de le croiser, car il ne s’approche pas des côtes », dit-il.
Malgré l’imprévisibilité de leur réaction, les requins émettent souvent des signaux d’alerte avant d’adopter un comportement défensif. Il est crucial de reconnaître ces signes : nage rapide et irrégulière, tourner autour de la personne perçue comme une menace, dos arqué, nageoires abaissées (un comportement d’avertissement), mouvements des mâchoires (signe d’intimidation) ou encore coups de queue (indicateur de stress). « Si un requin se sent incapable de fuir ou d’éviter la situation stressante, il peut adopter des comportements défensifs plus agressifs tels qu’un coup de tête ou même une morsure », indique à Le Dimanche/L’Hebdo un directeur de compagnie qui se distingue par ses expériences marines.
Les règles de base à respecter
Requins, dauphins, cachalots... Ces créatures majestueuses sont souvent perçues comme des attractions touristiques, mais il ne faut pas oublier qu’elles sont avant tout des animaux sauvages. Chaque individu possède un caractère unique et peut réagir de manière imprévisible face à une intrusion dans son espace. S’approcher trop près, tenter de les toucher ou pénétrer dans leur territoire sont autant d’agressions qui peuvent déclencher des réactions défensives. Les périodes de reproduction et de socialisation sont particulièrement sensibles et doivent être évitées.
Respecter leur environnement et leurs comportements est une règle essentielle pour nager avec les dauphins, faire du Dolphin & Whale Watching ou du snorkeling. « Il faut trouver et maintenir la bonne distance, et respecter la charte d’approche définie par la loi », ajoute-t-il. Il recommande de limiter les bruits : voix, battements de palmes et mouvements de nage, etc. « Il faut observer le comportement des animaux que nous rencontrons, savoir identifier les espèces et les connaître suffisamment pour savoir comment et quand les approcher ou non », ajoute-t-il. Des comportements inappropriés peuvent avoir des conséquences dramatiques : blessures, morsures, voire des attaques.
Les opérateurs touristiques sont-ils sensibilisés à une pratique responsable en mer ? Le Dolphin & Whale Watching ne devrait être autorisé qu'à ceux possédant un certificat d’autorisation, répond-il. « C’était le cas en 2012 et 2013, après la promulgation de la loi, lorsque les skippers et propriétaires de bateaux ont suivi une formation payante dispensée par des biologistes marins et l’ONG Mauritius Marine Conservation Society (MMCS). En théorie, seuls ceux possédant ce certificat sont habilités à conduire des touristes en mer.
Aujourd’hui, certains de ces opérateurs légitimes refusent de proposer ces observations, jugeant ces pratiques choquantes et contraires à l’éthique, car elles contribuent au harcèlement des mammifères marins. » Pour ceux qui continuent, un briefing de qualité enrichi de connaissances sur les mammifères marins, notamment leur biologie, leurs comportements et ce qui est permis ou non, devrait être obligatoire, suggère-t-il.
Il insiste : les activités nautiques, si elles ne sont pas pratiquées avec prudence, peuvent rapidement dégénérer. Des collisions avec des bateaux, des interactions dangereuses avec la faune marine et des comportements imprudents mettent en péril la sécurité des personnes et la préservation des écosystèmes. Des nageurs se heurtent à des embarcations, s'approchent trop près des hélices ou harcèlent les animaux, provoquant des réactions imprévisibles. Des charges de requins ont également été signalées.
Que pense-t-il du récent cas des deux touristes blessés ? « Ils ont décidé de suivre à la nage un requin longimanus, ou requin océanique, connu pour être agressif et imprévisible. Le bon sens aurait voulu qu’à la vue de ce requin, les touristes remontent sur le bateau. Ils ont poursuivi le requin jusqu’à ce que l’un d’entre eux le touche. Le requin, se sentant menacé, a réagi immédiatement en attaquant, mordant le visage du nageur », dit-il.
« Ces incidents sont souvent dissimulés pour préserver l’image de l’activité qui fait vivre des centaines de familles. Toutefois, certains incidents circulent sur les réseaux sociaux ou sont rapportés par des établissements hôteliers. Jusqu’à présent, le pire a été évité et aucun de ces incidents n’a mis des vies en danger », dit-il.
L’importance d’une approche écoresponsable
Sur la côte ouest, une multitude d’expériences en mer s’offrent aux visiteurs : nager aux côtés de dauphins joueurs, observer les majestueuses baleines à bosse lors de leur migration annuelle ou partir à la rencontre des familles de cachalots résidents… Mais si l’océan appelle à l’aventure, il exige le respect. Pour profiter pleinement de ses richesses en toute sécurité, il est indispensable de choisir des opérateurs touristiques responsables.
Les excursions en mer se sont multipliées ces dernières années, constate le directeur de compagnie. À Le Dimanche/L’Hebdo, il affirme que les activités nautiques doivent être synonymes de respect. « C’est avant tout une question de comportement vis-à-vis des autres espèces qui peuplent notre planète. Il s’agit de découvrir leur monde avec discrétion et bienveillance pour ne pas les déranger, les effrayer ou nuire à leur habitat », explique-t-il. Le bruit des moteurs des bateaux et de la présence humaine perturbe leurs communications, leur sommeil et, à terme, leur bien-être, fait-il comprendre.
Pour lui, il est essentiel de comprendre la vie sociale des cachalots et des dauphins. Savoir quand ils socialisent, dorment ou se nourrissent nous permet d’adapter notre comportement et de minimiser notre impact. « Toutes les études scientifiques sur l’impact de l’observation des dauphins et des baleines sont claires sur le fait que notre présence modifie leur comportement. »
C’est pourquoi il est crucial d’adopter une approche écoresponsable, en respectant une distance de sécurité, en limitant les nuisances sonores et les comportements agressifs dans l’eau. « Les lois sont là pour fixer des directives basées sur des études scientifiques. Nous devons nous rappeler que nous ne sommes que des invités dans le monde des animaux marins. Il faut faire preuve d’humilité, être curieux, mais discrets », souligne-t-il.
Quels sont les avantages d’une approche touristique écoresponsable ? Un océan en bonne santé est riche en biodiversité, répond-il. « Il est bénéfique tant pour les touristes que pour les pêcheurs. Les activités touristiques axées sur la connaissance des écosystèmes, avec une dimension pédagogique et de sensibilisation sont essentielles à la préservation de l’environnement et au maintien des revenus pour ceux qui en dépendent », indique-t-il.
À l’inverse, une approche non durable peut avoir des conséquences désastreuses : le tourisme de masse, caractérisé par une course au profit, met en péril la biodiversité marine. La pollution sonore, la perturbation des animaux et la dégradation des habitats entraînent une diminution des populations de cétacés et une dégradation de l’expérience touristique. « À terme, ce sera la disparition pure et simple des dauphins de la zone. Nous ne sommes peut-être pas tous amoureux de l’océan, mais demandons-nous ce qu’il adviendrait si les dauphins, baleines et cachalots disparaissaient. Que deviendraient les centaines de personnes qui vivent de cette activité ? »
Quelles sont les conséquences d’une approche irresponsable ? La question n’est pas tant de connaître les sanctions légales, mais plutôt de se demander ce que nous avons à perdre, dit-il. « Avec le non-respect de la loi, ce que nous perdons déjà, c’est la fuite des dauphins vers d’autres régions, la diminution des groupes, des échouages et la dispersion des familles de cachalots qui nuit à la survie de leurs petits. Parfois, il faut aller très loin en mer pour encore avoir la chance de les apercevoir. »
L’urgence d’une législation efficace
Ceux qui ne respectent pas les consignes sont-ils sanctionnés ? « Malheureusement, non. Le cadre légal pour protéger les espèces marines manque de clarté et de précision.
Confrontés à des excuses fallacieuses telles que ‘nos clients faisaient pipi dans l’eau’, les garde-côtes peinent à faire appliquer la loi », regrette le directeur.
Membre de l’association #SavetheBlu, il partage qu’une réunion de travail à ce sujet s’est tenue le samedi 5 octobre à Tamarin, avec les garde-côtes, pour explorer avec les opérateurs touristiques des moyens pour mieux encadrer les activités en mer et les rendre plus respectueuses. Pour ce militant, il est urgent de revoir la législation actuelle. Une formation obligatoire, l’obtention d’un certificat et même l’instauration d’amendes pour les touristes pourraient être envisagées, à l’instar de ce qui se fait à Hawaï. « Si l’éthique ne suffit pas, la sanction doit s’imposer. »
Comment choisir des opérateurs respectueux des pratiques écoresponsables ? « Nous travaillons avec des associations de protection des mammifères marins sur la création d’un label et d’un site répertoriant, entre autres, les opérateurs engagés. Par ailleurs, lors de la DigiCup 2024, le projet SeaGuard des étudiants de Middlesex University Mauritius qui ont remporté le premier prix, vise à développer une plateforme digitale multi-utilisateurs qui informerait, alerterait et mettrait à jour les utilisateurs sur les règlements maritimes. »
Dolphin and Whale Watching : ce que disent les règlements en vigueur
Les Tourism Authority (Dolphin and Whale Watching) Regulations 2012 encadrent strictement les activités d’observation des dauphins et des baleines à Maurice. Me Yuvir Bandhu souligne que ces réglementations définissent précisément les pratiques autorisées et les responsabilités des opérateurs afin de garantir le bien-être et la sécurité des animaux.
Organiser une excursion d’observation de ces mammifères marins n’est pas anodin. Un permis spécifique est obligatoire, conformément à l’article 3 de la réglementation. Pour l’obtenir, les opérateurs doivent remplir plusieurs conditions : être titulaire d’une licence professionnelle, utiliser un bateau équipé d’une protection d’hélice approuvée par l’Autorité et conduit par un skipper qualifié. De plus, la licence doit être affichée de manière visible sur le bateau.
Pour minimiser les perturbations causées par les activités humaines, des zones de protection ont été établies autour des animaux. Il est interdit de s’approcher à moins de 50 mètres d’un dauphin et de 100 mètres d’une baleine. Au-delà de ces distances, une zone réglementée s’étend sur 150 mètres pour les dauphins et 200 mètres pour les baleines. Le non-respect de ces règles constitue une infraction passible d’une amende pouvant atteindre Rs 100 000 et d’une peine d’emprisonnement de trois ans maximum.
Les excursions sont autorisées uniquement de 6 heures à midi, afin de limiter les impacts sur la vie marine. De plus, certaines activités sont strictement interdites, telles que nager, plonger ou faire de l’apnée avec une baleine. « Il est également interdit de nourrir les dauphins ou les baleines, de jeter des objets à proximité ou de les toucher », précise Me Yuvir Bandhu.
Il estime que la réglementation en place est claire et adéquate pour protéger ces animaux. « Les autorités effectuent des contrôles, mais il incombe également aux opérateurs de s’assurer qu’ils se conforment à la législation en vigueur. » Le respect des règles est donc une responsabilité partagée entre les autorités et les opérateurs.
Hausse alarmante des perturbations des animaux marins
La réouverture des frontières post-COVID a entraîné une hausse des perturbations des animaux marins, notamment lors des excursions en mer. Ce constat est alarmant pour l’association #SavetheBlu, qui montre du doigt un manque de connaissances et de respect des écosystèmes marins.
Pour inverser cette tendance, l’association plaide pour une sensibilisation accrue du public et des professionnels du tourisme. « Cela permettrait d’adopter des approches plus respectueuses et d’offrir des excursions maritimes plus qualitatives et à des tarifs plus élevés. »
En sus d’une amélioration du cadre d’observation des baleines, comme aux îles Tonga, au Cambodge, en Thaïlande ou à la Réunion, #SavetheBlu, s’inspirant de modèles internationaux, souhaite « créer une zone marine protégée afin de renforcer ces efforts de conservation. La Mission colibris des mers est au cœur de ce projet et chacun doit faire sa part pour protéger notre planète bleue ».
Vassen Kauppaymuthoo : « Si les baleines sont harcelées, elles vont partir »
Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement et océanographe, souligne la richesse de notre biodiversité marine : 13 espèces de cétacés peuplent nos eaux. Cachalots, dauphins, baleines à bosse... « Certaines sont là de manière permanente, comme les cachalots et certains dauphins, d’autres de façon migratoire, à l’instar des baleines à bosse.
Celles-ci sont là généralement d’avril à novembre. » Les cachalots sont une espèce unique et emblématique de notre biodiversité marine.
Si l’écotourisme, notamment l’observation des baleines et des dauphins, est une activité en plein essor, elle doit être pratiquée avec respect. « Il y a deux types de clients maintenant : ceux qui sont respectueux de la nature en observant les baleines et les dauphins à distance, et ceux qui veulent nager avec des baleines, ce qui est strictement interdit. Nous avons récemment eu des incidents, notamment avec des touristes blessés en s’adonnant à cette activité. Si les baleines se sentent harcelées dans leur milieu naturel et décident de partir, ce sont les écosystèmes marins tout entiers qui en souffriront, et par conséquent, l’industrie touristique elle-même », prévient-il.
Pour préserver ces mammifères marins et garantir la pérennité de cette activité, il est essentiel de mettre en place une réglementation stricte et de sensibiliser le public aux enjeux de la conservation. Il rappelle qu’un cachalot est un animal puissant, capable d’infliger de graves blessures et que s’approcher des baleines par 3 000 mètres de profondeur comporte des risques. « Ce genre d’espèce peut infliger de graves blessures, voire blesser fatalement une personne avec sa queue. Sans compter la présence de requins dans ces eaux. »
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