
Elle sait qu’elle prend un gros risque en acceptant d’être la haute-commissaire de Maurice en Afrique du Sud. Mireille Martin se dit prête à relever le défi. Si elle est passée de l’orange au rouge, elle ne le renie pas et assume son geste pour des raisons de principes, pas pécuniaires, comme l’affublent ses adversaires.
De journaliste, vous étiez passée au Mouvement socialiste militant (MSM), puis vous aviez franchi le pas pour rejoindre en pleine crise politique Parti travailliste (PTr)/MSM. Racontez-nous le fond de ce virement de casaque inattendu…
Pas si inattendu pour ceux qui me connaissent. Je suis un esprit libre, une démocrate convaincue et une férue de justice. Trois choses qui, à mon sens, étaient mises en péril lors de la cassure en 2011. Les dix dernières années avec leur lot d’abus et de scandales et tout ce qu’a vécu la population mauricienne m’ont d’ailleurs donné raison d’être partie. Ce que certains ont mis dix ans à voir, je l’avais déjà vu en 2011.
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Reniez-vous votre passage au MSM ?
Je ne renie pas mes débuts ni mon passage au MSM. C’est une expérience qui m’a ouvert les yeux sur la vraie nature de divers hommes politiques. On apprend en permanence. Mais contrairement à ce qu’ont voulu faire croire les mauvaises langues, ma démarche d’alors (de quitter le MSM pour rejoindre le PTr) n’avait rien de pécuniaire. Elle était basée sur mes principes. Ce n’était pas une négociation pour obtenir un poste quelconque. C’est trop facile de qualifier les gens de cupides ou d’arrivistes quand on ne connaît pas le fond de l’affaire. D’ailleurs, ceux qui ont suivi l’affaire savent que je suis même allée en justice pour protester contre ces diffamations grossières et fausses. J’ai dit tout ce que j’avais à dire devant la justice avec des preuves à l’appui. J’ai gagné ma plainte. (NDLR contre Showkutally Soodhun). Pour moi, la page est tournée depuis longtemps.
Après bien de péripéties, vous voilà de nouveau en selle et pour un poste hautement prisé : haut-commissaire de Maurice en Afrique du Sud. Cette nomination ne ferait-elle pas des jaloux au sein de la basse-cour rouge ?
En tout cas, moi, je n’ai reçu que des félicitations de tous bords ! Je suis vraiment très touchée de l’approbation quasi générale que j’ai reçue, aussi bien dans la classe politique qu’au sein de la population mauricienne, après cette nomination. Je la prends avec beaucoup d’humilité. Ce qui me motive à donner mon maximum pour mon pays dans les nouvelles fonctions qui m’ont été confiées.
Être haut-commissaire en Afrique du Sud demande quelques compétences diplomatiques élémentaires. Les avez-vous ? Serez-vous à la hauteur ou le costume sera-t-il trop grand pour vous ?
Les défis dans la vie ne m’ont jamais fait peur. Prendre des décisions et des risques non plus. Mon parcours professionnel en est l’attestation la plus évidente, je crois. Je me laisse rarement handicaper par la peur de l’inconnu. Je n’aurais jamais dit oui si je ne pensais pas pouvoir remplir cette fonction de haut-commissaire. Et je ne pense pas que le Premier ministre me l’aurait proposée non plus.
Mais aussi, je serai injuste de ne pas mentionner le soutien du ministère des Affaires étrangères dans ma démarche de renseignements. Le ministre de tutelle, son Junior Minister et le personnel du ministère ont été disponibles pour répondre à mes questions et Dieu sait que j’en pose ! (rires) Honnêtement, je sens que c’est un travail d’équipe. Je tiens à les remercier pour leur collaboration qui me permet d’appréhender ma première mission avec confiance.
Restons dans le domaine des nominations. Sur les réseaux sociaux, la polémique a enflé concernant ceux des Seniors, sauf vous, qui sont postés ici et là pour services rendus. Ces Seniors se défendent en affirmant qu’ils ont encore la capacité et toute la lucidité pour remplir ces fonctions d’ambassadeurs ou autres. Votre avis ?
Ces Seniors, comme vous dites, ont des compétences, une expérience et des atouts que vous et moi ne possédons peut-être pas. Et je vous dirai ceci : être âgé ne veut pas dire qu’on doit automatiquement être mis au placard, en tout cas, pas à mes yeux. Jeunesse n’égale pas forcément compétence non plus. Je n’ai que du respect pour ceux qui défient leur âge pour se mettre au service de leur pays et parviennent à le faire. Et si on arrêtait toute cette discrimination sur l’âge et qu’on se concentrait sur les compétences des uns et des autres ? Là, je pense que le débat serait recentré et beaucoup plus juste.
Et les autres promesses, toutes qui font rêver et qui ne sont réalisées qu’en partie... Le petit peuple grogne par rapport à la cherté de la vie. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?
Je reconnais que l’attente est grande au sein de la population envers ce gouvernement. C’est légitime, après tant d’années sous un régime oppressant. Le simple fait de vous exprimer risquait de vous faire mettre derrière les barreaux. Mais Rome ne s’est pas construite en un jour.
Ce nouveau gouvernement a pris la barre en novembre seulement. Il a établi un état des lieux, a commencé à opérer des changements. La roupie mauricienne se stabilise, la dette diminue, les denrées alimentaires de base et le gaz ménager ne sont plus en rupture de stock, nos relations internationales sur les cinq continents se consolident, pour ne citer que ces choses-là. Pour le peuple, c’est de bon augure. En une année, pas mal de choses ont changé en mieux. Il faut le reconnaître.
Ce gouvernement savait très bien que la situation économique était au bord du gouffre, pourquoi ne pas avoir joué le franc-jeu bien avant les législatives de novembre 2024 au lieu de faire rêver ?
Le Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam, l’a déjà dit : nous savions tous que la situation était très difficile, mais bien loin d’imaginer qu’elle était catastrophique à ce point. Il n’y a qu’à lire le rapport sur l’état économique du pays pour s’en rendre compte. Pas besoin d’être expert pour savoir que, quand on est endetté à 90 %, le pays est en mauvaise posture.
Moi, je me demande quel gouvernement aurait aimé apporter des mesures sachant qu’elles seraient impopulaires parmi la population ? Aucun ! Mais là encore, il y a le choix d’assumer son rôle en tant que gouvernement responsable ou de passer son temps à faire « la bouche douce », comme on dit. La deuxième option, à mon avis, serait catastrophique pour l’avenir du pays. Au risque de faire cliché, gouverner, c’est aussi prévoir. Malgré tout, je veux croire que la majorité des Mauriciens est en mesure de comprendre cette démarche, nonobstant le fait qu’elle soit d’accord avec ou pas.
Venons-en à la polémique entre la ministre, Arianne Navarre-Marie et son ex-junior Minister Anishta Babooram....
Encore une fois, pour moi revient le sujet dont nous avons parlé plus tôt. Le débat de la nouvelle : les faits versus le sensationnalisme. Les faits, c’est qu’il y a eu un désaccord et toutes les deux en ont fait état. Je ne suis pas au courant de tous les détails, mais je crois savoir qu’elles ne souhaitent plus en parler à la presse. Une solution a déjà été trouvée. Inutile d’essayer de gonfler cette histoire.
Les querelles d’égo et les conflits d’opinions ont toujours existé, ce n’est pas nouveau. Si on n’a pas un caractère fort, qu’on hésite à parler, qu’on n’est pas prêt à se battre pour ses convictions, la politique n’est pas un métier pour vous.
Ce conflit comme d’autres tensions fragilisent l’alliance gouvernementale...
Ne mettons pas la charrue avant les bœufs ! Je n’ai pas une boule de cristal pour pouvoir anticiper l’avenir. Mais je pense que cette alliance est basée sur une conviction solide que partagent ceux qui la dirigent et ceux qui en font partie. L’intérêt de notre pays et du peuple mauricien prime. Tout est gérable et peut être réglé, si on y met de la bonne volonté. Il ne faut pas oublier que le peuple a plébiscité l’Alliance du Changement par un 60-0. C’est une grande responsabilité, un score lourd de sens qu’aucun des élus ne prend à la légère.
Vous êtes une femme, une mère, quel est votre regard sur les abandons d’enfants et de nourrissons par de jeunes mères ?
C’est une question sociale complexe. Il n’y a pas une solution passe-partout. Chaque cas doit être traité de manière personnelle et individuelle. Et, en même temps, des mesures d’encadrement générales doivent être mises en place. Le cœur du problème est justement le fait que ces filles sont jeunes. Évidemment, dans la plupart des cas, il s’agit de grossesses non désirées durant lesquelles elles sont abandonnées par leur partenaire. Ces jeunes femmes qui se trouvent enceintes ont besoin d’information, de soutien et d’encadrement. De comprendre qu’elles sont des futures mères et qu’avec ce titre vient aussi une responsabilité. Je crois également que le regard de la société en général, et de la famille en particulier, joue un rôle majeur dans ce geste d’abandon. C’est à nous aussi de comprendre leur situation et de ne pas les isoler. Il est temps de cesser de leur faire porter le fait d’être des jeunes femmes enceintes et non mariées comme une tare. Nous avons tous une part de responsabilité là-dedans.
Les jeunes mineurs ou justes majeurs ont une vie sexuelle active. Le hic est qu’ils ne seraient pas responsables de leurs gestes et des risques qu’ils encourent quand la partenaire tombe enceinte. Que leur dites-vous ?
Un enfant se fait à deux. L’homme est aussi responsable que la femme dans ce cas de figure. Si vous n’optez pas pour l’abstinence et que vous ne voulez pas d’enfant, protégez-vous et votre partenaire. Car il n’y a pas que le risque d’enfant, mais aussi de maladies sexuellement transmissibles. Soyez informés et prêts à assumer les conséquences de vos actes avant de vous lancer !
Vous aviez eu une longue carrière en tant que journaliste. Quel est votre regard sur la nouvelle génération qui veut épouser ce métier ?
C’est vrai que ce métier, je l’ai exercé pendant presque une vingtaine d’années, en majeure partie dans la presse écrite et durant quelques années (cinq ans environ) dans l’audiovisuel. Pour ma part, j’ai toujours trouvé cette profession passionnante. Elle offre une ouverture au monde qui est inégalée. J’ai adoré chaque moment de cette période de ma vie professionnelle. Être journaliste élargit les horizons de la personne qui exerce ce métier. Celui-ci force à voir et à penser de manière différente et à remettre en question pas mal de choses. Ce métier m’a enrichie humainement et m’a permis de découvrir une multitude de choses et de communiquer avec une audience que je n’aurais certainement pu toucher autrement. On apprend beaucoup pour et sur soi-même en même temps qu’on apprend sur les autres quand on exerce ce métier. Parfois même, on se découvre un courage qu’on ne se soupçonnait pas.
Mais encore…
Comme vous dites, cette profession est très exigeante. Il n’y a pas d’heure pour que la nouvelle tombe, pas de jour non plus. Il faut avoir une grande curiosité, posséder un bon vocabulaire et une excellente maîtrise de la langue dans laquelle on relaie l’information. Il faut avoir un esprit critique et analytique. Il faut sincèrement aimer ce métier pour bien le faire. Sans vouloir donner de leçon, pour moi, le journalisme est un métier humble et noble au sein duquel l’arrogance n’a pas sa place, sinon on va à la dérive et on tombe dans le piège des critiques constantes. Il faut avoir une énergie, un enthousiasme, sans cesse maintenus et renouvelés, ce qui n’est pas chose facile. La nouvelle génération y entre parfois sans vraiment savoir ce qui l’attend. C’est sans doute pourquoi il y a tant de circulation dans ce métier rigoureux. Mais ceux qui restent le font pendant des années, voire pour certains, à vie.
Y a-t-il chez la jeune génération la rigueur d’antan en termes d’écriture, d’approche et d’avoir un carnet de contacts parfait ? Ou sont-ils juste là pour avoir un salaire à la fin du mois ?
Voulez-vous que je sois franche ? (rires) Je pense qu’il y a de très bons journalistes à Maurice. Il y en a pas mal même. Dans la jeune génération également. Ce sont ceux qui savent distinguer entre l’information et les commentaires gratuits, entre fouiller pour sortir la nouvelle qui fera sensation et fouiner juste pour faire étalage du sensationnalisme. Ce qui me fait encore plus tiquer, c’est quand ces articles, visiblement rédigés dans le but de nuire, ne sont pas signés. Pour moi, c’est comme si on n’assumait pas ses propos.
Être journaliste, comme tout métier, s’apprend et la vitesse d’assimilation est individuelle. Comme le bon vin, un journaliste doit d’abord avoir de solides ingrédients de base. Il se bonifie avec l’expérience. Loin de moi l’idée de vouloir faire la leçon, mais puisque vous me l’avez demandé… Parfois, je considère que, pour certains, même après des années, ce n’est pas le cas.
Des noms ou des groupes en filigrane ?
Je ne citerai pas de nom. Car c’est très subjectif et c’est un avis qui n’engage que moi.

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