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Négligences médicales: Quand le système grippe

L’erreur est humaine, dit-on. Toutefois, en médecine, une erreur aussi banale soit-elle peut avoir de dangereuses conséquences, voire entraîner la mort. Dans les milieux avisés, on estime que la structure mise en place pour enquêter sur les erreurs des blouses blanches comporte des lacunes… Un médecin qui accuse ses collègues de négligence médicale. C’est loin d’être un fait anodin. Le Dr Teerani Bheenick a subi une intervention chirurgicale pour se faire enlever de toute urgence une tumeur à l’intestin à la mi-septembre. Elle soutient que son état s’est aggravé, car les médecins qui l’ont auscultée plusieurs semaines avant l’opération n’ont pu établir un diagnostic exact de son mal. « J’ai failli mourir et je ne compte pas en rester là », lance-t-elle désabusée. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"1884","attributes":{"class":"media-image alignright wp-image-1919","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"500","height":"752","alt":"Infographie n\u00e9gligences m\u00e9dicales"}}]]Ce cas n’est pas isolé. Selon les observations du Medical Council, plus d’une dizaine de plaintes pour négligence médicale ont été enregistrées depuis le début de l’année. Plusieurs cas, jugés sérieux, ont été référés au tribunal médical. Toutefois, seules les plaintes officielles sont considérées par les autorités et figurent dans les statistiques. Plusieurs autres sont passées sous silence, car les « victimes » de négligence hésitent à aller de l’avant. Ces derniers pointent du doigt la lenteur des enquêtes. Pour eux, poursuivre un médecin est tout bonnement « une perte de temps ». Les autorités concernées, elles, affirment qu’il existe tout un système pour traiter les allégations de négligence médicale. Est-il vraiment efficace ?  

Le Medical Council, un bouledogue sans dents ?

À Maurice, c’est le Medical Council qui est chargé par le ministère de la Santé de mener des enquêtes en cas d’allégation de négligence médicale. Le Conseil de l’Ordre des médecins décide de la marche à suivre et des sanctions à prendre. Cette institution contrôle également les activités des médecins qui exercent dans le privé et les établissements de santé publics. Cependant, elle est souvent critiquée soit pour la lenteur soit pour une manque de transparence dans ses enquêtes. Le Dr Patrick How, président de la Private Medical Practitioners’ Association (PMPA), évoque, lui une « justice à deux vitesses » par rapport aux sanctions infligées aux médecins du privé et à ceux du public. « Les autorités ont tendance à se montrer plus souples envers les médecins du service de santé public. Cela explique le nombre de plaintes enregistrées dans les hôpitaux publics », argue-t-il. Pour le président de la PMPA, l’ingérence du ministère de la Santé dans les enquêtes n’est pas une bonne chose. « Dans le cas une allégation de négligence médicale contre un médecins du privé, celui-ci est immédiatement radié par l’Ordre des médecins une fois la culpabilité établie. Quand il s’agit des médecins publics, la procédure traîne souvent sur plusieurs années. On regrette que le Medical Council de Maurice ne soit pas aussi indépendant que ceux des autres pays. Ailleurs, il revient au Conseil de l’Ordre des médecins de décider de la sanction finale. Cette institution ne peut être un ‘bouledogue sans dents’. Il faut apporter des changements urgents à la Medical Council Act pour éviter que la situation n’échappe à tout contrôle », avance le Dr How.  

31 heures d’affilée

Le Dr Waseem Ballam, président de la Medical Health Officers’ Association (MHOA), affirme que les plaintes et les allégations de négligence médicale « ne sont que le sommet de l’iceberg ». De nombreux problèmes internes nuisent au bon fonctionnement de notre système de santé », explique-t-il. « Il est grand temps de décongestionner nos hôpitaux. La liste d’attente dans les établissements publics est infiniment longue. Toutes les maladies ne peuvent être diagnostiquées lors des examens de routine. Plus de huit millions de patients se rendent dans les hôpitaux publics par an. Or, les patients s’attendent à être minutieusement examinés dès leur arrivée. Ces mêmes patients sont prêts à attendre plus de trois heures chez un médecin du privé. De plus, ils sont nombreux à se rendre à l’hôpital pour tous leurs problèmes de santé, alors qu’ils pourraient aller au dispensaire », déplore-t-il. Le président de la MHOA évoque la charge de travail des médecins. « Il n’est vraiment pas évident de travailler plus de trente-et-une heures d’affilée. Le ministère a annoncé le recrutement de médecins, mais nous attendons toujours. Notre niveau de concentration n’est plus le même après dix heures de travail. Certes, ce ne sont pas des excuses pour justifier les négligences médicales, mais ce sont des facteurs à prendre en considération », affirme-t-il. Et d’ajouter que de nombreux Mauriciens ne savent pas faire la différence entre les cas de négligence médicale alléguée et prouvée. « Il est trop facile de critiquer le travail d’un médecin. Une enquête peut révéler qu’il ne s’agit pas de négligence médicale. Souvent sa réputation du praticien est ternie pendant que l’enquête est en cours. De nombreux patients ne réalisent pas que la médecine a ses limites. Le médecin n’est pas un magicien », souligne le Dr Ballam.  

« Le risque zéro n’existe pas »

« Les médecins sont des humains. Et tout humain peut commettre des erreurs », clame le Dr Patrick How. « Il est injuste de blâmer un médecin pour toutes les complications de santé que rencontre un patient. Le travail d’un médecin n’est pas aussi évident que le public le croit. Le risque zéro n’existe pas en médecine. À Maurice, plusieurs patients ne sont pas conscients que les médicaments peuvent avoir des effets secondaires. Des complications peuvent aussi survenir dans le cas d’allergies. Le rôle du médecin est d’essayer d’améliorer l’état du patient en lui prescrivant des médicaments. Or, dans certains cas, ces mêmes médicaments peuvent détériorer l’état de santé du malade. Il est impossible au médecin de prévoir une telle chose, compte tenu du peu de temps qu’il a pour examiner le patient. Le temps est un facteur qui contribue à beaucoup de dysfonctionnements dans le service de santé. De fait, il est grand temps que les patients se rendent à l’hôpital ou chez son médecin muni d’un bilan de santé. Par ailleurs, le concept de ‘Family Doctor’ permet d’avoir un suivi continu et précis », affirme-t-il. Notre interlocuteur est catégorique sur un point : « Il est impardonnable qu’un patient décède ou ait des complications suite à l’incompétence du médecin. Les praticiens doivent être aux aguets et s’assurer d’avoir la tête sur les épaules en effectuant un diagnostic. » [row custom_class=""][/row]

Que dit la loi?

Maurice n’a pas de Code de la santé publique comme c’est le cas en France. De fait, il n’y a aucune loi spécifique applicable en cas de négligence médicale. C’est ce que nous explique Me Germain Wong. « Toutefois, même en l’absence de loi spécifique, il est possible d’intenter une action civile contre un médecin suspecté de faute médicale. Ce sont alors les articles 1382,1383 et 1384 du Code civil mauricien qui traitent de la « réparation de la faute causée à autrui qui s’appliquent ». « Cela englobe aussi tout acte de négligence ou d’imprudence. À noter que même si le Code pénal ne prévoit pas le délit spécifique de négligence médicale, en cas de décès de la victime, la police peut poursuivre le médecin pour homicide involontaire sous l’article 239(1) du Code pénal. Ainsi, quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou non observation des règlements aura commis involontairement un homicide, ou en aura involontairement été la cause, commettra un délit. S’il est trouvé coupable, il risque une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans et une amende n’excédant pas Rs 150 000 », affirme l’avocat. Les démarches légales à enclencher : s’il s’agit d’un médecin d’un hôpital public, il faut d’abord adresser une mise en demeure à l’État. Ce n’est qu’un mois après que la victime pourra loger l’affaire en cour. Tout cela doit être fait dans les deux ans qui suivent la négligence médicale alléguée, sinon aucune poursuite au civil ne peut être envisagée. C’est ce que précise la Public Officers Protection Act. Le délai pour engager des poursuites contre un médecin du privé est de dix ans.

À qui s’adresser ?

  • Si l’allégation de négligence concerne une clinique ou un médecin du privé, le patient doit adresser une lettre au Registrar du Medical Council à l’adresse suivante : One Way Floreal Road, Cité Mangalkhan, Floréal. Téléphone : 698 8403 - 698 8340. Fax : 698 8004.
  • Si la plainte concerne un médecin du public, le patient doit s’adresser au directeur de l’hôpital (Regional Health Director) où il a été admis. Celui-ci effectuera une enquête et informera le Medical Council en cas de besoin.
  • S’il y a eu mort d’homme, un proche du patient peut porter plainte au poste de police le plus proche et le Medical Council sera ensuite informé.
  • Il est important de fournir les documents médicaux tels que les prescriptions et les certificats médicaux.
 

Dr Baboo Servansingh, président du Medical Council: « Les enquêtes sont menées de manière transparente »

 
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/div> Quel est le rôle du Medical Council durant les enquêtes ? Toute une procédure doit être respectée avant de pouvoir accuser un médecin de faute professionnelle ou de négligence médicale. Notre rôle est de nous assurer que les pratiques médicales se font dans le respect des lois et des droits humains. Depuis janvier 2015, nous avons enregistré une dizaine de cas allégué de négligence médicale par des médecins privés et publics. Le Medical Council fonctionne selon une structure prédéfinie. Si les allégations concernent les médecins du privé, nous avons l’autorité pour enclencher nous-mêmes les procédures, c’est-à-dire démarrer une enquête ou imposer des sanctions. S’il s’agit d’un médecin du public, il nous faut obligatoirement passer par la Public Service Commission (PSC). Cette dernière examinera les allégations de négligence médicale et référera les cas au ministère de la Santé. Une enquête interne sera enclenchée par le ministère. S’il y a matière à poursuite, le cas sera référé au Medical Council. Que risque un médecin trouvé coupable de négligence médicale ? Les sanctions sont applicables au cas par cas. S’il s’agit de délits mineurs, on émet des avertissements ou une sévère réprimande. Pour les cas sérieux, c’est au Medical Tribunal de trancher. Le tribunal décidera des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la suspension du médecin ou le retrait de son nom de la liste des médecins. Il revient au tribunal de situer la responsabilité des médecins dans un cas allégué de négligence. Ce sont les lois en vigueur dans le pays qui seront appliquées. Il faut préciser que le conseil de l’ordre des médecins à l’autorité pour mener des enquêtes sur la pratique des médecins enregistrés et non sur les institutions médicales. De plus, aucune enquête ne peut être initiée sur la base d’une lettre anonyme. Pourquoi certaines enquêtes tardent-elles ? Il est vrai que les enquêtes sur les cas de négligence médicale prennent beaucoup de temps. Plusieurs facteurs contribuent à cette situation. D’abord, il faut comprendre que le Medical Council fonctionne avec un personnel restreint à plein temps. 22 membres travaillent à temps partiel chez nous. Ces derniers sont partagés entre leurs tâches au Conseil de l’Ordre des médecins et leur occupation professionnelle. Ils doivent donc trouver le temps de se consacrer aux enquêtes en cas de plainte. Nous nous réunissons une fois par semaine, pendant deux ou trois heures. Nous devons ensuite attendre que les dossiers des patients nous soient transmis. L’attente est souvent très longue et cela retarde considérablement le processus. Aucune enquête ne peut être initiée sans le dossier médical des patients. Si nous n’avons pas les informations et les documents nécessaires, le cas est référé à la police.  

Témoignages

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Valérie Sinassamy: « Mon fils avait un bel avenir devant lui»

Giani Stevane Lemaître, 13 ans, a subi une intervention chirurgicale à la hanche suite à un accident de la route en 2013. Un an après, son état de santé s’est détérioré. L’adolescent est décédé le 2 mai 2014 à l’hôpital SSRN. Le médecin légiste engagé par les parents pour une contre-autopsie soutient qu’il y a eu négligence médicale. Selon lui, le médecin a omis de faire certains tests qui auraient pu sauver la vie de l’adolescent. Un an après son décès, sa famille est toujours dans le flou. Valérie Sinassamy, la mère de Giani dit perdre espoir d’obtenir un jour réparation. « Mon fils avait un bel avenir devant lui. Il se battait pour aller mieux. Le médecin nous a dit que les os fracturés de sa hanche n’avaient pas repris leur place et qu’il devait subir une nouvelle intervention pour marcher comme avant. On était loin de se douter qu’il y laisserait la vie », dit-elle.  
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Sanjay Indeernarain: « Dans le flou depuis le décès de mon frère »

Le frère de Sanjay Indeernarain, Vishnu Kumar est décédé le 19 mai dernier à l’âge de 35 ans. Souffrant de thalassémie depuis plusieurs années, il a été admis le 17 mai à l’hôpital SSRN. « Le médecin lui a prescrit une transfusion sanguine afin de pallier la chute de son taux d’hémoglobine. Cependant, Vishnu Kumar a eu un malaise après la transfusion. Quelques minutes après, il a eu des éruptions cutanées etm selon ses diresm c’était comme si son corps était en feu. Il en a tout de suite informé les médecins, mais ces derniers n’étaient pas réceptifs. Mon frère nous a envoyé un texto. Il disait qu’il n’allait pas bien. Il nous a dit que le sang qu’on lui a injecté avait dépassé la date d’expiration. Vishnu Kumar a voulu avoir des explications quprès des responsables de l’hôpital, mais ses requêtes sont restées vaines », nous confie Sanjay. Ce jour-là en arrivant à l’hôpital, on l’a informé du décès de son frère. Depuis, la famille est dans le flou. « Nous avons envoyé une lettre au ministère de la Santé le 16 juin 2015 pour avoir des réponses à nos interrogations. Cela fait quatre mois que nous attendons», lance Sanjay Indeernarain.
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