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Moqueries: le langage du mépris

La plupart parmi nous avons dû être victimes de moqueries au moins une fois dans notre vie. Si certains n’en ont cure, d’autres, en revanche, sont très affectés par ces commentaires désobligeants qui ont un impact considérable sur leur vie. Qu’est-ce qui poussent les Mauriciens à rabaisser gratuitement leur semblable ? Tom pouss, gro patat, sak lezo, koltar… Ces termes sont légion dans notre société lorsque certains veulent se moquer d’une tierce personne sur son physique. Les Mauriciens sont d’ailleurs connus pour faire preuve d’imagination lorsqu’il s’agit de trouver des formules « pou pran plezir » avec les autres. Même si, bien souvent, c’est pour rigoler, certaines personnes, victimes de ces railleries, finissent souvent par se détester et perdre toute estime de soi. C’est ainsi que naissent des complexes et autres sentiments d’infériorité. L’état psychique de la personne peut être affecté et cela pourrait avoir un impact sur sa santé en général, la poussant même à développer des tendances suicidaires. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"22374","attributes":{"class":"media-image alignright wp-image-36498","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"417","alt":"Moqueries"}}]]Les moqueries ont toujours existé, mais ce phénomène est en train de prendre une certaine ampleur dans notre société, constate le sociologue Rajen Suntoo. On se moque des autres non seulement à cause de leur apparence physique mais aussi de par leur comportement, leur personnalité ou encore de leurs origines. « Par exemple, certains citadins se moquent des villageois. Les collégiens habitant des villages et qui fréquentent des collèges dans les villes, sont souvent la risée de leurs camarades qui se moquent de leur façon de s’habiller, de parler ou encore de se comporter », explique le sociologue. Toutefois, ajoute notre interlocuteur, nous ne pouvons cependant attribuer cela entièrement à notre société. « La plupart du temps, c’est l’éducation qui en est la cause. On dit que l’enfant apprend de ses parents. Si ces derniers ont l’habitude de se moquer des autres, il est fort probable que l’enfant en fasse de même. Après tout, l’exemple vient d’en haut ! » lance-t-il. Dans la même foulée, Rajen Suntoo soutient que même les parlementaires ne sont pas en reste. En effet, dit-il, ils sont connus pour avoir la fâcheuse habitude de charrier leurs collègues au sein de l’hémicycle.

Un mode de vie

Ces moqueries et autres plaisanteries traduisent-elles la perte de nos valeurs, comme certains l’affirment ? Le sociologue ne le croit pas. Il attribue ce phénomène plutôt à un mode de vie. « Il est possible que les gens bossent trop et sont trop stressés. Ainsi, pour eux, se moquer des autres, est devenu un moyen de se défouler », argue le sociologue. Il est d’ailleurs rejoint dans ses propos par le psychologue Sarvesh Dosooye. Selon ce dernier, les moqueries sont souvent source de détente pour certains, qui ne pensent souvent pas aux conséquences de leurs propos. « Une personne peut aussi se moquer des autres afin de camoufler son propre sentiment d’insécurité. Elle choisit de rabaisser les autres pour se sentir supérieure », indique-t-il, ajoutant que les gens ne se moquent pas des autres toujours dans un but précis. Toutefois, le psychologue n’est pas d’avis que les moqueries aient pris de l’ampleur. « Elles sont surtout devenues plus visibles, notamment à travers les réseaux sociaux et les médias. De nos jours, on peut se moquer d’une personne en la filmant et en postant la vidéo sur les réseaux sociaux. Mais c’est vrai aussi que notre société est en train d’évoluer et que la mentalité des gens change. Même les normes sociales ont connu une évolution. C’est un phénomène complexe et il ne nous faut donc pas tirer des conclusions hâtives », martèle-t-il. Selon le psychologue, certains ont surtout un manque d’empathie envers les autres. « Nous n’essayons presque jamais de nous mettre à la place des autres pour savoir ce qu’ils ressentent. Nous pensons surtout à nous-mêmes avant tout, nos intérêts, notre bien-être. Et ce genre de comportement individualiste fait beaucoup de mal à notre société et pas seulement en ce qu’il s’agit des moqueries ! » déplore Sarvesh Dosooye. Il précise que quand une personne est différente des autres et n’est pas aux normes de la société, on a tendance à s’en moquer.

Les blagues, les jeunes et les réseaux sociaux

Beaucoup se servent des réseaux sociaux pour railler les autres. D’autant qu’ils se sentent mieux protégés entre les quatre murs de leur chambre et seuls devant leur écran d’ordinateur ou de téléphone mobile. « Les jeunes agissent n’importe comment sans vraiment réfléchir. La pression des pairs peut aussi les pousser à rire des autres. L’on peut se moquer de quelqu’un rien que pour être inclus dans un groupe », poursuit le psychologue. Ils ne sont ainsi pas conscients des conséquences de leur acte. « À force d’être victimes de moqueries, certains ne veulent plus aller à l’école. Ils sont à une phase cruciale où ils sont en train de développer leur personnalité. Ils risquent d’avoir des blocages ou encore un sentiment de rejet. Ce qui peut limiter le jeune dans tout ce qu’il entreprendra, y compris les études. Si bien qu’il finira par perdre confiance en lui et développer un sentiment d’insécurité », prévient Sarvesh Dosooye. En ce qu’il s’agit des adultes, ce sont surtout les femmes qui sont victimes de railleries, surtout dans les rues et souvent par rapport à leur apparence physique. Elles sont presque harcelées ! Mais cela ne veut pas dire que les hommes en sont épargnés. Ils sont aussi victimes de moqueries, souvent par rapport à leur taille ou leur teint, affirme le psy.  
   

Rester de marbre: la meilleure stratégie

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"22375","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-36499","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"548","alt":"Moqueries"}}]] Faut-il réagir lorsque les gens se gaussent de nous ? Pour le psychologue, la meilleure stratégie c’est d’adopter l’attitude de « dilo lor brede sonz », et ne pas réagir face aux moqueries. « En réagissant, les gens ont tendance à se moquer davantage de vous. Certes, ce n’est pas évident de garder son sang-froid, d’autant qu’on se sent mieux en s’exprimant en de telles circonstances. Pour cela, il faut faire tout un travail sur soi. La victime pourra se sentir mieux immédiatement après avoir réagi mais cette satisfaction sera de courte durée. La meilleure solution, c’est de rester de marbre », insiste-t-il. Selon le psychologue, une personne qui a pleinement confiance en elle ne se laissera nullement affectée par les commentaires des autres. La connaissance de soi aussi est un facteur important pour ne pas se laisser abattre lorsqu’on est victime de moqueries.  
   

Témoignages

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Désirée, 54 ans: « Plus de compassion pour les obèses »

« Les professionnels de santé font souvent des remarques désobligeantes aux patients qui sont obèses, comme c’est le cas pour moi. J’ai toujours des appréhensions quand je dois me rendre à l’hôpital pour mes rendez-vous ou quand je suis souffrante. Mon obésité est d’ordre médical. Je n’ai pas cherché à être grosse puisque j’ai toujours bien contrôlé mon alimentation. Les médecins me disent toujours que je mange trop, sans savoir vraiment quelle est la source de mon obésité. Ces commentaires me font vraiment mal. On aurait dû avoir plus de compassion envers les personnes obèses. »

Kelly, 27 ans et maman de trois enfants: « Le regard des autres en dit long »

« Je suis toute menue et les gens font toutes sortes de commentaires. On me lance souvent ‘ti zanfan fer zafan’. Même quand j’avais accouché de mes trois enfants, les infirmières disaient que j’étais une enfant. À l’école, on m’appelait ‘trois pommes’ ou encore ‘tom pouss’. Des fois, je n’ose pas sortir toute seule afin de ne pas subir des remarques désobligeantes. Parfois, le regard des autres en dit long. Ils n’ont pas besoin de dire quoi que ce soit. Par moments, c’est plus fort que moi et je mets ces personnes à leur place, lasse d’entendre leurs commentaires. »

Natasha, 31 ans et mère de deux enfants: « Mon ex m’appelait taureau malgache »

« J’ai été mariée pendant neuf ans et, tout au long de notre vie de couple, j’ai dû subir les moqueries de mon ex-mari à cause de mon surpoids. Il disait des choses très blessantes, même en la présence des autres. Ses proches aussi se permettaient alors également de se moquer de moi. Il m’appelait par exemple ‘taureau malgache’. Je ne pouvais plus supporter ses remarques et j’ai demandé le divorce. J’ai aussi un problème hormonal. J’ai donc des poils qui poussent sur mon visage. Je continue à subir les railleries des gens, surtout dans la rue. De nature très calme, je ne réagis pas et j’intériorise beaucoup. Je n’ai aucune intention de refaire ma vie, de peur de devoir subir la même chose. C’est aussi parce que j’ai honte de moi-même en raison de mon apparence physique. Cela m’affecte tellement que j’ai dû être suivie par un psychologue. »

Kevina, 50 ans: « Les chiens aboient la caravane passe ! »

« On se moque de ma forte poitrine depuis je suis au collège. On m’appelait ‘bwat dile’ ou encore ‘manze tibaba’. Mais j’ai fait de sorte que ces commentaires ne m’affectent pas outre mesure, d’autant que je m’accepte comme je suis. Même aujourd’hui, les gens font des commentaires désagréables quand je marche dans la rue. Mais les chiens aboient et la caravane passe ! »

Kevin, la quarantaine: « On m’appelle koltar »

« Je subis des commentaires désagréables parce que je suis de teint foncé. On m’appelle ‘koltar’. Quand je marche avec ma femme, on dit ‘mouss inn tom dan dile’ ou encore ‘inn ekrir lor tablo’. Mais je me passe de ces commentaires. Cependant, j’ai des amis qui subissent les mêmes remarques que moi et qui sont très affectés. Ils évitent même de sortir. »
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