Méthadone : un traitement qui sauve des vies

Méthadone 

Le traitement de substitution à la méthadone fait l’objet de débats. Des enquêtes menées par Le Défi Média Group ont relevé plusieurs failles dans le système de distribution de la méthadone. Ce traitement, remis en question à un certain moment, a pourtant produit des résultats positifs.

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La méthadone est un traitement de substitution à l’héroïne. Elle est prescrite aux personnes qui ont une dépendance à cette drogue afin qu'elles puissent décrocher. Recommandé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ce programme existe dans plusieurs pays. À Maurice, la méthadone a été introduite en 2006, à travers des programmes de Réduction des risques (voir historique de la méthadone en hors-texte) car il y avait urgence. Ceux-ci ont vu le jour grâce à une société civile forte et des acteurs engagés dans le combat contre le VIH.

Aujourd'hui, on relève des lacunes dans ce programme, notamment la méthode et les lieux de distribution. Le comportement de ceux qui suivent le programme et la qualité de celui-ci sont critiqués. Pourtant, malgré cela, les résultats et les témoignages de ceux directement concernés donnent de l’espoir. Des hommes et des femmes arrivent à se reconstruire et des familles s'en sortent. Il y a tout de même du chemin à faire. Que faire pour améliorer le système ? Quelles alternatives y a-t-il ? Les patients se confient.

Kunal Naik, Collectif Urgence Toxida : « La méthadone seule ne suffit pas »

Il faut un vrai programme d’accompagnement et de suivi psycho-médico-social, ne cesse de répéter depuis plusieurs années Kunal Naik, responsable de plaidoyer du Collectif Urgence Toxida. Pour ce dernier, tout programme de substitution doit comprendre plusieurs volets, notamment psychologique, thérapeutique et social. « Le programme et le traitement de la méthadone permettront aux patients de mieux réintégrer la société. Nous ne pouvons négliger ces trois axes mais à ce jour, il n’y a aucune prise en charge de ce côté. La réintégration familiale, sociale et économique est primordiale », estime ce dernier.

La « Methadone Maintenance Therapy », selon Kunal Naik, est un programme qui a fait ses preuves et donne des résultats positifs dans le monde. Et de souligner qu’il s’agit d’un traitement reconnu par l’OMS. Par ailleurs, ce dernier reconnaît qu’il peut y avoir un certain trafic et que le comportement de certains patients puisse nuire mais toutefois, dira-t-il, « seuls 10 % de ceux qui suivent le traitement ont un comportement problématique ». Ainsi, Kunal Naik est d’avis qu’il faut se pencher davantage sur ceux qui ont un comportement problématique. « Il faut les accompagner et leur donner le suivi psycho-médico-social nécessaire pour qu’ils puissent avancer et réintégrer la société. »

Le gouvernement fait souvent appel à la société civile pour prendre en charge le suivi psycho-social mais le responsable de plaidoyer observe que « les ONGs ont des ressources limitées. Il faut renforcer les capacités du gouvernement et des ONGs en addictologie. Nous pouvons prendre exemple sur l’île de la Réunion qui est plus avancée que nous en la matière. »

Ben Dimba : « C’est un médicament avant tout »

Ben Dimba suit le traitement de substitution à la méthadone depuis 10 ans. C’était difficile au début, selon lui, mais le traitement porte ses fruits. « À l’heure où je devais commencer le traitement j’ai été inculpé et placé en détention mais je me suis battu pour pouvoir suivre ce traitement. Aujourd’hui, je ne suis plus le même homme. Je me suis réconcilié avec ma famille. J’ai pu aménager ma maison, j’ai un travail et j’ai même pu faire un voyage en Europe », dit Ben. Tout cela, il n’aurait jamais pu le réaliser sans ce programme.

Ce qui dérange Ben en tant que patient, c’est que la distribution se fait dans les postes de police. « C’est un médicament avant tout. Comment pouvons-nous offrir un traitement dans un lieu pareil ? Cela crée encore plus de stigmatisation et de discrimination envers ceux qui suivent le traitement. » Et Ben soulève un autre point. « Les protocoles sont flous pour ceux qui souhaitent arrêter le traitement. Il n’y a aucune information. Ce n’est pas facile d’arrêter la méthadone mais ce n’est pas impossible. Il y a une solution. »

Depuis le début de son traitement, Ben a pu diminuer ses doses quotidiennes et estime « qu’il faut beaucoup de volonté pour y parvenir ». Ce dernier espère que le gouvernement proposera de nouvelles méthodes de distribution. « Il y a plusieurs façons, par exemple, les ‘home dose’. On pourrait aussi donner à chaque patient sa dose pour une semaine entière et laisser ce dernier la gérer », dit-il.

La parole à ceux qui suivent le traitement

Sheriff Moadine, Vallée Pitot.
« Cela fait douze ans que je me rends tous les matins au point de distribution de l’hôpital Jeetoo pour suivre mon traitement. J’ai connu ce traitement à ses débuts. La distribution se faisait jusqu'à midi. Les horaires étaient plus flexibles. Aujourd’hui, si je ne quitte pas chez moi avant 7 h 30, je ne peux pas avoir ma dose. Les horaires sont très difficiles. »

Gaëtan Ah-Hang, 62 ans
« J'ai commencé à consommer de la drogue à 16 ans. À 17 ans, j'ai eu des démêlés avec la police, j'ai été incarcéré et c'est là que j'ai compris que j’étais accro. J'ai connu l'opium et toutes les drogues. Je me suis injecté de la drogue pendant de longues années. J'ai essayé par tous les moyens d’arrêter mais rien à faire. J'ai essayé des centres de désintoxication ou encore l’hôpital psychiatrique, je ne compte plus les va-et-vient. Il n'y a que la méthadone qui a pu m’aider. J'ai pu, à travers ce traitement, reprendre goût à la vie. Aujourd’hui, j'ai un travail et je m'occupe de moi, j'ai un toit, je vais bien et je continue mon traitement. Je pense qu'à un moment, il y a eu trop de gens qui suivaient le traitement et les autorités n'ont pas su gérer. Ce sont des gens qui ne connaissent rien à la drogue, à l'addiction et qui veulent qu'on arrête de prodiguer ce traitement. Mais croyez-moi, si on arrête ce traitement, ce sera une catastrophe. Il y aura encore plus de vols et de délits liés à la drogue. Venir à bout de la drogue est une utopie. »


Un long parcours

Le retour dans la vie active est souvent un défi pour les personnes qui ont une dépendance à la drogue. Souvent stigmatisées et discriminées, elles arrivent difficilement à trouver un emploi. Ceux qui suivent le programme de substitution à la méthadone subissent aussi les préjugés de la société. Chez A.I.L.E.S à Mangalkan, Brigitte Michel, coordinatrice de l’ONG et son équipe ont voulu relever ce défi. « Même s’il est quelquefois difficile de travailler avec les ‘‘Key Affected Populations’’, nous avons relevé ce défi. Nous comptons d’ailleurs plusieurs personnes sous traitement de la méthadone dans notre équipe », lance Brigitte Michel.

Selon cette dernière, cela a été un long parcours rempli d’émotions, de challenges et de persévérance. Parmi ses employés, certains ont un passé très lourd. Ils ont fait le travail du sexe, certains la prison, d’autres ont vécu dans la rue. « Nous avons tous un passé et nous ne pouvons ignorer le leur mais la méthadone les a aidés à s’en sortir », confie la coordinatrice. Des résultats positifs du traitement de la méthadone, Brigitte Michel en a fait l’expérience personnelle.

À 18 ans, son fils s’injectait de la drogue et il a connu un long combat avant d’arriver à s’en sortir : centres de désintoxication, visites chez les médecins, psychologues, cliniques, mais rien à faire. « Nous avons tout essayé pendant des années, j’ai toujours été présent pour mon fils. Puis en 2008, avec l’introduction de la méthadone, il a commencé le traitement et cela a tout changé », relate Brigitte. Son fils est un homme nouveau, autonome, père de famille qui a pu s’intégrer et dont la vie s’est améliorée grâce au programme de la méthadone.

Historique

2006 - Introduction du RdR
L’année 2006 marque l’introduction à Maurice du programme de la Réduction des risques (RdR), notamment avec la « Methadone Maintenance Therapy » et les programmes d’échange de seringues. Ces programmes ont été mis en place pour réduire la transmission du VIH auprès des utilisateurs de drogues injectables. Au début, ceux voulant suivre le programme de substitution à la méthadone devaient se rendre dans un centre résidentiel pendant 15 jours, où ils étaient mis sous observation.

Après leur sortie du centre, ils se rendaient tous les jours dans les points de distribution qui se trouvaient dans des centres de santé. La distribution se faisait entre 9 h et midi. De 2006 à 2014, 6 000 personnes étaient enregistrées pour ce programme. En quelques années, il a rapporté ses fruits. En effet, beaucoup d’hommes et de femmes ont pu se reconstruire et réintégrer la société. Par ailleurs, une baisse de délits liés aux drogues a été observée.

2015 - Décentralisation et réforme du programme
Peu de temps après l’arrivée d’Anil Gayan à la tête du ministère de la Santé, le programme de substitution à la méthadone connaît un chamboulement majeur. Le traitement est relocalisé à proximité des postes de police, ce qui crée alors une levée de boucliers dans la société civile. Les raisons évoquées pour ce changement sont la sécurité du public, l’attroupement des patients devant les centre de santé et le trafic de la méthadone. Cette décentralisation avait débuté à Beau-Bassin et Rose-Hill. La méthode de la distribution est aussi revue. Ces changements font tiquer, environ 1500 patients arrêtent leur traitement. Plusieurs raisons sont avancées. Des cas de brutalité policière sont évoqués et certains patients se plaignent que leur dose de méthadone quotidienne n’est plus la même.

Juin 2015 - Aucun nouveau patient
Le programme n’accepte plus de nouveau patient. En attendant, la liste d’attente de ceux qui veulent s’inscrire au programme s’allonge.

2016 - Suboxone et Naltrexone
Longtemps annoncés, le Suboxone et la Naltrexone sont introduits à Maurice. Société civile et médecins montent au créneau et avancent que ce traitement n’est pas si efficace.

2017 - Gayan passe le témoin à Husnoo
Le ministre Anwar Husnoo quitte le ministère des Collectivités locales et s’installe au bâtiment Emmanuel Anquetil, dans les locaux du ministère de la Santé. Anil Gayan, quant à lui, rejoint le ministère du Tourisme. En avril de la même année, le ministre Husnoo annonce la réintroduction de la méthadone. Mais la distribution se fait toujours à proximité des postes de police.

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