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Me Rex Stephen: «C’est un jugement implacable»

L’avocat Rex Stephen revient sur le jugement de la Cour suprême qui a ordonné l’acquittement en appel de Pravind Jugnauth. Pour lui, il n’y a pas matière à avoir recours au comité judiciaire du Conseil privé. Tout le monde s’accorde à dire que le jugement favorable à Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint prononcé par la Cour suprême, mercredi, fait jurisprudence. Pourquoi ? C’est un jugement sous la section 13(2) de la Prevention of Corruption Act (PoCA) qui revient plus d’une décennie après son entrée en vigueur de ce texte. La Cour suprême émet pour la toute première fois son arrêt sur cette question de conflit d’intérêts, c’est-à-dire la clause 13(2) de la PoCa. C’est donc un jugement inédit. Puis, il y a les circonstances entourant cette affaire. D’abord, parce que l’accusé a été condamné en première instance à un moment, où il était ministre et ensuite de par l’ampleur de la transaction. Elle s’élève à Rs 144,7 millions. Puis vient le fait qu’une des actionnaires de la compagnie impliquée, la clinique MedPoint, est la sœur de la personne jugée en première instance. Au vu de tous ces éléments, c’est clair que ce jugement a une portée et une signification certaines. C’est un jugement qui vous étonne ? Non, car à mon sens, le jugement fait une analyse correcte de cette section 13(2) de la PoCA. Il y a quelques points très intéressants à retenir. Devant la cour inférieure, ils avaient conclu à une certaine forme d’automaticité entre une compagnie et ses actionnaires. Du moment qu’une compagnie est impliquée, il était automatique pour la cour de conclure que ses actionnaires le soient aussi. La Cour suprême vient dire que tel n’est pas le cas et qu’il faut distinguer entre la compagnie et ses actionnaires. Cela ne veut pas pour autant dire qu’on peut former une compagnie avec un seul actionnaire et contourner la loi. Certainement pas. L’instance judiciaire suprême souligne qu’il faut aller plus loin pour voir si la décision prise par l’appelant, en l’occurrence Pravind Jugnauth, a eu une influence sur les intérêts de sa sœur Shalini Malhotra, actionnaire de MedPoint. Si une compagnie tire avantage d’un contrat, la logique veut que ce privilège bénéficie aussi à ses actionnaires ? D’un point de vue logique, on a tendance à arriver à cette conclusion. Mais nous sommes ici dans le domaine de la logique de la loi. La Cour suprême dit que la cour intermédiaire a conclu trop hâtivement qu’un gain pour une compagnie a automatiquement un réel impact sur ses actionnaires. Or, ce sont deux entités distinctes. La Cour suprême dit qu’il y a lieu de voir dans les faits, si la sœur de Pravind Jugnauth a bénéficié de quelque chose en tant qu’actionnaire en ce qui concerne cette transaction. [blockquote] « Il faut faire une distinction entre un jugement considéré mauvais en droit et celui qui est pervers. » [/blockquote] Cela risque de compliquer la tâche de la poursuite dans des affaires similaires… Non, je ne pense pas que ce soit le cas. La chronologie des événements a facilité la tâche de la Cour suprême et la nature même du jugement. La décision de racheter MedPoint avait été prise en l’absence de Pravind Jugnauth. L’intérêt de sa sœur comme actionnaire était assurée sans l’intervention du mis en cause. Il n’a fait que signer un document après que toute la décision a été prise. Il n’a influé que sur la source du financement, c’est-à-dire la provenance de l’argent pour le rachat. Cela ne comportait pas une décision comme telle sur le rachat ou pas de MedPoint. Considérer une compagnie et ses actionnaires comme deux entités différentes, n’est-il pas une porte ouverte pour ceux qui voudraient contourner le conflit d’intérêts ? La Cour suprême ne dit pas qu’il n’y a pas de ‘liability’ du fait qu’une personne est simplement actionnaire. La cour intermédiaire a cru que c’était automatique. Avec beaucoup de lucidité, la Cour suprême dit que ce n’est pas le cas et qu’il faut faire un pas de plus pour voir si la personne a réellement profité de cette situation. Toutefois, je peux dire que c’est ma compagnie qui en profite et pas moi. C’est plus nuancé que ça. Une interprétation est que dorénavant toute personne poursuivie pour conflit d’intérêts a une porte de sortie… C’est une façon simpliste de voir les choses. La Cour suprême n’a jamais voulu que ce soit sa conclusion. Il faut voir au-delà de la compagnie, au-delà du fait qu’il y a un proche qui est membre de la compagnie, mais il faut voir dans quelle mesure elle en a bénéficié. On parle de bonne foi dans le jugement. Si une personne parvient à démontrer qu’elle a agi avec droiture et en obéissant à sa conscience, elle ne commet pas un acte condamnable… Il y a un principe plus important. C’est le ‘mens rea’. En français, c’est l’élément moral par opposition à l’élément matériel. Dans des délits entraînant des pénalités graves, c’est important de prendre ce fondement en considération. Or, la cour inférieure a pensé que cette section 13(2) sur le conflit d’intérêts a été écrite de façon qu’il n’y ait pas besoin de ce raisonnement. Or, la Cour suprême dit qu’il fallait établir que Pravind Jugnauth a agi avec l’intention de commettre un délit. La PoCA doit-elle être amendée pour préciser davantage cette clause de la loi ? Non, je ne le pense pas. Il fallait simplement interpréter cette section et cela a été fait. Je crois que les juges n’ont eu aucune difficulté. Il n’y a pas eu de gymnastique intellectuelle, légale ou juridique à faire. La Cour suprême est venue rappeler que cet élément moral est primordial et que les cours de justice ont intérêt à prendre cela en considération. Est-ce que n’était pas suffisamment appliqué ? C’est un principe clair et établi depuis des siècles. Cet élément moral est capital, mais dans la pratique, dans certains cas, on avait tendance à sous-évaluer son importance. La Cour suprême vient le rappeler. C’est ce rappel qui est important. « Parfois, vous avez des cours de justice qui ont de nouveaux magistrats, sans expérience », a commenté le Premier ministre sir Anerood Jugnauth mercredi soir. Partagez-vous cette opinion ? Je ne suis pas ce raisonnement. Les magistrats de la cour intermédiaire ont plus d’une dizaine d’années dans la fonction en moyenne. Je ne pense pas que le nombre d’années est un facteur totalement déterminant, mais c’est important de le tenir en ligne de compte. Des erreurs sont commises à tous les échelons et c’est pour cela que des jugements sont cassés au Conseil privé. Il ne faut pas généraliser. Le Premier ministre a répété que le premier jugement était un « mauvais jugement » ? Forcément, dans la mesure où il a été cassé. Mais il faut faire une distinction entre un jugement considéré mauvais en droit et celui qui est pervers. Or, c’est loin d’être un jugement pervers. Y a-t il matière à faire appel ? J’ai étudié ce dossier. J’ai vu le raisonnement. C’est un jugement implacable. Je ne me substitue pas au Directeur des poursuites publiques, mais d’un point de vue purement juridique, je ne vois aucune matière à faire appel.
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