
Me Namrata Gaya-Teeluckdharry, avouée et ancienne membre de la National Preventive Mechanism Division (NPMD), une division de la Commission nationale des droits humains. Elle y a siégé de 2018 à 2022. Elle connaît donc les rouages de ce système censé prévenir les abus. Ce qu’elle décrit aujourd’hui, c’est un mécanisme silencieux, dont l’inaction pourrait être perçue comme une forme de passivité inquiétante. »
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Vous avez été membre de la National Preventive Mechanism Division (NPMD). Quel est son rôle exact ?
La NPMD est une division au sein de la Commission des droits humains. Sa mission principale est de visiter régulièrement tous les lieux de privation de liberté : prisons, postes de police, centres de détention. Maurice a ratifié la Convention des Nations unies contre la torture, ainsi que l’OPCAT (Optional Protocol to the Convention Against Torture ; NdlR), qui recommande la mise en place de ce mécanisme national de prévention (NPM). La mission principale de cette division est d’inspecter régulièrement tous les lieux où des personnes sont privées de leur liberté : prisons, centres de détention et postes de police, entre autres.
Ce mécanisme est-il opérationnel aujourd’hui ?
Il y a des membres, un Deputy Chairperson, des psychologues, des observateurs indépendants… tous rémunérés par l’État. Mais dans les faits, le mécanisme est largement inopérant dans les moments critiques. Quand surviennent des événements graves comme des allégations de torture ou des décès en détention, on n’entend rien. Aucune communication. Aucun déplacement. Aucun rapport.
Que se passait-il lorsque vous y siégiez ?
Les protocoles étaient très clairs. En cas de décès en détention, en particulier les suicides, une enquête devait être immédiatement déclenchée. Toute allégation de violence ou de traitement inhumain devait faire l’objet d’une enquête sur le terrain.
Les membres avaient accès aux images CCTV et aux dossiers médicaux. Ils pouvaient interroger les détenus et le personnel pénitentiaire de service au moment des faits. À l’issue de l’enquête, un rapport était transmis au Prime Minister’s Office (PMO). La NPMD ne peut infliger de sanctions, mais elle formule des recommandations.
Qu’est-ce qui vous choque dans les incidents de la prison de Melrose ?
Ce silence. Ce manque de réaction face à une situation aussi grave. Il y a deux écoles de pensée. Certains disent qu’on agit uniquement sur plainte. Mais à mon avis, lorsqu’une affaire défraie la chronique et donne une image catastrophique du respect des droits humains dans le pays, le président de la Commission des droits humains a le devoir moral d’agir spontanément en lançant une enquête et en allant sur le terrain. C’est ce que faisait feu Me Hervé Lassemillante, ancien Deputy Chairperson de la NPMD à l’époque. Je déplore le fait que les enquêtes soient perçues comme des formalités alors qu’il s’agit d’exercices de vérité indispensables.
Pourquoi est-ce si important ?
Parce que les Nations unies nous observent. Maurice est régulièrement interrogé par des organes onusiens sur le respect de ses engagements. À chaque incident lié aux droits humains à Maurice, ces organismes internationaux posent des questions précises et exigent des rapports détaillés. Ils demandent des comptes et des explications sur les mesures prises en cas d’abus. Ils veulent savoir comment les situations de crise sont gérées. Ils veulent éviter tout « cover-up » : manipulation des preuves, intimidation des témoins ou encore omission volontaire. Et si la réponse est un silence institutionnalisé, alors la crédibilité du pays est en jeu.
Pensez-vous qu’il y ait un risque que certaines informations soient dissimulées dans l’affaire Melrose ?
Si les institutions ne bougent pas et ne communiquent même pas sur une démarche d’enquête, le risque que la population et le monde entier pensent qu’elles cherchent à étouffer les scandales est grand. Or, les droits humains, ça ne se négocie pas. Ça s’exige.
Quel message voulez-vous transmettre ?
Il faut que la NPMD reprenne sa mission avec sérieux, indépendance et rigueur. Chaque allégation de violence doit faire l’objet d’une enquête immédiate, sur le terrain, filmée si possible. Un rapport doit être transmis au PMO et un suivi sur les mesures prises doit être assuré. Sinon, ce mécanisme ne sert à rien, si ce n’est à fournir une façade trompeuse d’engagement envers la protection des droits humains.
Dans le cas Melrose, que fallait-il faire ?
Les officiers de la NPMD auraient dû agir immédiatement et se rendre sur place pour constater les faits et ouvrir une enquête pour s’assurer qu’aucun élément ne soit négligé ou écarté.
Michel Vieillesse : « Les images CCTV déjà saisies »
« Toute violence, qu’elle soit en milieu libre ou carcéral, est condamnable. Pour ce qui est des incidents à la prison de Melrose, une équipe s’est rendue sur place vendredi pour commencer à enquêter. Notre rôle n’est pas de savoir qui a frappé qui, mais de comprendre comment de tels débordements ont pu se produire et comment les prévenir », indique Michel Vieillesse, représentant de la National Preventive Mechanism Division (NPMD) de la National Human Rights Commission, dans une déclaration accordée au Dimanche/L’Hebdo samedi.
Il a ensuite confirmé que « les images CCTV (de la prison ; NdlR) ont déjà été saisies » à la demande expresse de Satyajit Boolell, Chairperson de la National Human Rights Commission. Objectif : faire toute la lumière sur les événements survenus jeudi.
À la question de savoir si c’est raisonnable de laisser les prisonniers se promener librement dans le yard, sauf en cas de mauvais comportement, Michel Vieillesse répond qu’il s’agit d’un espace de liberté surveillée : « Dans le yard, il y a une manière de fonctionner. Les prisonniers peuvent y laver leurs vêtements sales, regarder la télé et se dégourdir les jambes. C’est un espace de liberté surveillé. Les paramètres sont stricts et les prisonniers le savent. »

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