À la tête de la National Prevention Mechanism Division depuis sa création en juin 2014, Me Hervé Lassémillante, est très sollicité en ce moment par les détenus et leurs proches. Il évoque, dans cette interview, la mission de sa division, la complexité du travail au sein de la prison et des recommandations qui dorment dans les tiroirs…
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D’abord parlez-nous de la mission de la National Prevention Mechanism Division ?
Cette division a été créée en juin 2014, après son adoption à la suite de la signature par l’île Maurice du protocole optionnel contre la torture. Le gouvernement a donc suivi les obligations auxquelles il a souscrit et notre rôle est de mettre en place les conditions de ce protocole. Ce département veille comme un chien de garde au respect des droits des prisonniers.
Que faites-vous, mis à part, les visites ?
Nous enquêtons aussi sur des cas de mauvais traitements et de brutalités policières, entre autres. Par la suite nous faisons des recommandations pour l’amélioration des conditions de détention, afin de répondre aux normes des Nations unies. Nous avons le droit de visiter tous les lieux de détention. Nous pouvons y aller sans notification et sans demander de permission. Nous débarquons et nous n’avons pas besoin de révéler le nom de celui qui nous a fait la demande.
Nous sommes une commission indépendante. Je suis là pour faire mon travail. Qu’on critique, qu’on hurle, je m’en fiche. Le travail pour les droits de l’homme doit continuer et continuera pour le bien de Maurice. »
Et cela se passe toujours bien ?
Il y a toujours eu une forme de coopération que ce soit au niveau des prisons que dans les postes de police. On n’a presque jamais eu de problème sauf le mercredi 26 juillet, mais il a été réglé par l’intervention combien appréciée de l’adjoint au commissaire des prisons. En bref, nous voulions visiter une salle en particulier. Il y a eu un moment d’hésitation et on nous a fait comprendre qu’il fallait obtenir la permission du commissaire des prisons. Cette exigence n’étant pas conforme à la législation en cours, on a insisté et on nous a ouvert les portes.
Quel constat faites-vous de ces lieux de détention ?
Les gardiens de la prison font un travail formidable que nous respectons. Nous savons que leur tâche est dure. La vie des prisonniers même si elle n’est pas cruelle et dégradante est tout de même difficile. S’il n’y a pas de réhabilitation et de réinsertion, la prison faillirait à sa tâche. S’il y a manque d’humanité, de psychologie et d’application des sciences humaines, l’approche n’est pas la bonne et elle doit être revue.
Que faudrait-il faire pour améliorer les conditions dans les prisons ?
Il faut qu’il y ait des gens qui ont une compréhension de la nature humaine. Vous pouvez être très bon dans un certain domaine et ne pas l’être au niveau de la prison. Travailler à la prison réclame une très grande subtilité, parce qu’il s’agit de travailler avec l’être humain, des personnes qui ont une histoire psychologique et horriblement difficile. C’est pour cela que je recommande aux gardiens de prisons de les traiter avec respect. Ces prisonniers sont des personnes frustrées.
Avez-vous fait des recommandations en ce sens ?
Nous avons demandé qu’il y ait un psychologue, mais on a aussi besoin de sociologue. J’apprécie beaucoup le travail des ONG qui ont une approche digne en prison. Digne dans le sens qu’elles sont humaines et savent respecter l’humain. Il faut absolument favoriser la réhabilitation.
Et comment les réhabiliter ?
On ne réhabilite pas les gens en leur donnant un jeu de dominos, un ‘boardcarome’ ou des boules. On ne les réhabilite pas en faisant de la pâtisserie. Cela ne suffit pas. Le prisonnier doit pouvoir quitter la prison et devenir un atout pour la société. La prison doit être une université pour le bien social et humain non pas une université où on apprend comment vendre de la drogue ou de braquer une banque. De plus, on ne peut plus continuer à emprisonner les personnes qui ne peuvent payer une amende. Ces personnes doivent pouvoir bénéficier de services communautaires.
On entend beaucoup parler du monde carcéral en ce moment. Pourquoi selon vous est-ce qu’il y a autant de révoltes dans les prisons ?
Il n’y a pas de révolte actuellement, mais beaucoup d’allégations et de violences, de menaces, d’insultes depuis quelques mois et cela est mauvais. Je ne dis pas que toutes ces allégations sont fondées mais nous n’avions pas eu autant d’allégations auparavant. De plus, quand nous demandons à voir les caméras, on nous répond qu’il faut demander la permission au commissaire ce qui est absurde. Par la suite, on s’entend dire qu’il n’y a pas de caméras ou qu’elles ne fonctionnent pas ou bien que les fils ont été mangés par des rats. Je ne comprends pas comment des caméras filment sans enregistrer. Ce sont ces caméras qui pourront aider à établir les faits, c’est-à-dire qui ment et qui dit la vérité. En l’absence de ces preuves nous ne pouvons que référer l’affaire à la police et demander au prisonnier de porter plainte.
Il y a eu des changements dernièrement surtout en ce qui concerne la cantine. Est-ce là un moyen de répression ?
Je ne peux dire si c’est un moyen de répression ou pas mais je n’entends que des doléances. J’avais envoyé une lettre pour dire que les produits étaient plus chers que ceux vendus à l’extérieur en me basant sur les doléances des prisonniers et certains rapports. Maintenant on se trouve dans une situation où les responsables de la prison ont drastiquement modifié la liste des produits si bien que les prisonniers ont beaucoup moins de choix ou n’en ont plus du tout.
Quels sont les autres changements ?
Dans certains endroits, la cuisine est en train d’être refaite. Nos visites sont imprévisibles et on est bien reçu et quand on veut avoir accès aux dossiers, ils sont disponibles, c’est quelque chose de positif. En ce qu’il s’agit de choses négatives, signalons que la réhabilitation et la réinsertion ne sont pas pratiquées avec science et subtilité. Sinon en ce qui concerne les rastas, je reçois maintenant des protestations à l’effet qu’ils ne sont plus autorisés à garder barbes et cheveux. Or, il y avait auparavant un ordre d’un commissaire qui disait que dans leur cas, leur culture et leur religion devraient être respectées.
Vous faites parvenir beaucoup de lettres à la prison…
Oui et la chose négative c’est que j’écris des lettres qui restent sans réponse. Il est vrai que certains se plaignent d’avoir trop de lettres, mais elles sont nécessaires pour faire des rapports. Bien entendu nous ne voulons pas ternir l’image de notre pays à l’étranger,. Il faut changer ce qui ne va pas. Nous avons un travail à accomplir et nous devons le faire.
Êtes-vous d’accord avec les méthodes Appadoo ?
Ce n’est pas le forum pour répondre à cette question mais je peux dire ceci : je ne personnalise pas le débat.
Le commissaire des prisons ne semble pas être sur la même longueur d’onde que vous, il a même critiqué vos dernières interventions en prison. Est-ce que vous êtes un homme qui dérange ?
Je ne sais pas si je suis un homme qui dérange ou qui arrange ! Ce n’est pas mon affaire. Nous sommes une commission indépendante. Je suis là pour faire mon travail. Qu’on critique, qu’on hurle, je m’en fiche. Le travail pour les droits de l’homme doit continuer et continuera pour le bien de tous et de Maurice.
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