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Dr Pascale Dinan, gériatre : «Être vieux, c’est d’abord un regard que la société pose sur nous»

Dans un monde où l’on célèbre la jeunesse et où l’on repousse sans cesse les limites de l’âge, que signifie réellement « être vieux » ? Le Dr Pascale Dinan, gériatre et présidente de l’ONG Groupement FIAPA Océan Indien, décrypte la notion de vieillesse et les mécanismes de l’âgisme qui continuent d’exclure et de fragiliser nos aînés.

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Être vieux, ça veut dire quoi au juste ? Est-ce juste une question d’âge ou ça va au-delà ?
L’avancée en âge est un processus de vie. En répondant à votre question, l’horloge fait tic tac, tic tac et les secondes s’égrènent ! C’est un phénomène chronologique, de maturation, d’acquisition de nouvelles connaissances, de transmission à d’autres générations.

On parle de vieillissement en lien avec l’âge de la retraite où l’on perçoit des prestations sociales, ou selon l’OMS à partir de 65 ans, ou la perte d’autonomie progressive et la fragilité après 75 ans, ou selon l’entrée possible en établissements pour personnes âgées au-delà de 85 ans.

À partir de quand, dans notre société, commence-t-on à coller l’étiquette de « vieux » sur quelqu’un ?
L’âgisme englobe les discriminations, exclusions, déconsidérations basées sur l’âge chronologique ou sur les déficiences liées à l’âge.

Faut-il définir quelqu’un uniquement en lien avec sa date de naissance ? Cela a une valeur pour la société civile, les démarches administratives, les besoins pour une prise en charge de santé.

Est-ce que cette notion de « vieillesse » a toujours existé ? Ou est-ce une invention moderne ?
Le mot âgisme date de 1969 (Butler), mais le fait âgiste a toujours existé. Des tribus anciennes aux intellectuels d’aujourd’hui, la déconsidération marque celui qui est vu comme une « bouche inutile ».
Par ailleurs, le concept d’avancée en âge en bonne santé est nouveau en cette décennie de l’OMS 2020-2030 du Vieillissement en bonne santé. L’espérance de vie croît car auparavant on mourait de maladies infectieuses à un âge précoce. La nouvelle spécialité qu’est la gériatrie prend en charge les personnes âgées et privilégie une qualité de vie et des soins adaptés.

On ne dit plus « vieux », mais « seniors », « aînés », « personnes âgées »… À force de chercher le mot juste, est-ce qu’on ne perd pas de vue la réalité ?
Il est important de respecter la dignité des seniors. Les patients me confient qu’ils n’apprécient pas d’être appelés « grand-père », « grand-mère », « nani », « dadi » alors qu’ils ont leurs propres identités. Pourquoi les catégoriser ainsi sans voir leur individualité ?

Ils ont un prénom, un nom ; c’est ce qui les définit dans la vie civile.

Vieillir n’équivaut pas à des incapacités d’emblée»

Est-ce que « être vieux » à Maurice en 2025, c’est la même chose qu’en Inde, en Europe ou en Afrique ?
La richesse des cultures permet à chacun de vivre son avancée en âge différemment. J’ai eu l’occasion de découvrir dans les clubs seniors du 3e âge à Cuba des similitudes avec notre culture : le sens du rythme, le partage entre les membres, l’organisation d’animations ensemble pour rompre la solitude et favoriser le bénévolat et entretenir et tisser du lien entre eux.

Les différences culturelles existent aussi de façon marquée entre les générations et peuvent devenir plus profondes que les différences entre ethnies ou religions. Un communautarisme peut s’installer : les seniors deviennent une communauté ignorée et inquiétante.

Il y a aussi une question de différences entre les pays de moyens financiers selon la politique nationale, d’existence ou pas de plan national sur le vieillissement pour améliorer la qualité de vie et les soins aux personnes âgées, du mode de fonctionnement des ONG au sein de la société civile.

Pourquoi certains se sentent vieux à 50 ans, et d’autres pas du tout à 80 ?
C’est un état d’esprit de savoir cultiver l’optimisme et la positivité sans trop subir le stress de la vie. L’avancée en âge entraîne un vieillissement physiologique qu’il faut dissocier de la gestion des émotions et de la résilience de chacun face aux épreuves de la vie.

Est-ce que c’est la société qui « vieillit » les gens plus vite ? Par ses regards, ses discours, ses exclusions ? Finalement, est-ce qu’on a plus peur d’être vieux… ou d’être vu comme vieux ?
L’âgisme a des mécanismes proches de la discrimination et de l’exclusion. 

Être vieux, c’est être inférieur, avec des troubles de la marche, une baisse des capacités sensorielles, des oublis parfois…
Être vieux, c’est être différent sur un plan culturel et intergénérationnel.

Être vieux, c’est un obstacle car il garde la mainmise sur sa maison, son entreprise.

Il y a une inversion du pouvoir dans le cercle familial – « À cet âge, on a encore le droit de décider de conduire ? », alors que l’autonomie et l’estime de soi devraient primer dans une décision aussi importante pour nos seniors. Vieillir n’équivaut pas à des incapacités d’emblée !

 

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