
À Trou-d’Eau-Douce, Alexandra Beeharry puise sa force dans les vagues et les rochers, y cueillant des huîtres chaque matin pour faire vivre ses enfants. Entre sacrifices, persévérance et amour de l’océan, cette femme au courage discret incarne la résilience au féminin.
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Chaque matin à Trou-d’Eau-Douce, avant même que le soleil ne dore les flots, Alexandra Beeharry est déjà debout. À 40 ans, elle jongle entre vie de famille et métier physique : celui de cueilleuse d’huîtres. Un travail peu commun, surtout pour une femme. Mais rien ne l’arrête.
À 5 h 30, la journée démarre. Petit-déjeuner des enfants, un coup de balai, puis elle enfile ses « soulie lamer ». Direction les rochers, armée de son marteau, de ses ciseaux et de son bac en plastique. À cette heure-là, la plage est déserte. Elle, elle entre dans son monde : celui des éclats de coquilles, du clapotis des vagues, et de l’eau salée.
Mariée à 18 ans, mère dès 19 ans, Alexandra a rapidement connu les responsabilités. Elle a élevé trois garçons, aujourd’hui âgés de 22, 20 et 16 ans. Mais le parcours n’a pas été sans heurts. La séparation avec son mari menuisier, il y a près de dix ans, l’a laissée seule aux commandes. Malgré les moments de doute et les difficultés, jamais elle ne s’est laissée sombrer. « Mo pa pou les mo zanfan mank nanye », lâche-t-elle, droite, déterminée.
Issue d’une fratrie de six enfants, elle a grandi dans la simplicité : une mère au foyer, un père qui, après ses heures de travail dans un four à chaux, cueillait des huîtres. Toute petite déjà, elle l’observait, fascinée par ces fruits marins qu’on arrache avec patience des rochers. « Lamer, mo lame. Touletan mo’nn anvi fer enn metie kot mo kapav viv ar li », confie-t-elle.
À l’aube, elle prend la mer seule dans sa barque en direction des rochers de Trou-d’Eau-Douce. Armée d’un marteau, de ciseaux et d’un bac en plastique, elle cherche les meilleures huîtres, celles bien accrochées, mûres, prêtes à être récoltées.
Mais ce métier n’a rien de romantique : il est physique, risqué, rude, et encore peu pratiqué par des femmes.
« Fode trouv lekilib lor rose avan mem koumans travay. Ena fwa mo glise, mo tonbe, ouswa mo blese. Bann krazman ou bann transe, sa arive toulezour. »
Elle montre les cicatrices sur ses mains. « Le bord de la coquille m’a ouvert le pied. J’ai dû faire un bandage pour arrêter le saignement. J’ai une petite trousse de premiers soins dans ma barque, mais il m’arrive souvent de devoir aller à l’hôpital. » Malgré tout, rien ne l’arrête.
Elle regagne la terre vers 9 heures en été, et une heure plus tard en hiver. Car durant la période hivernale, les huîtres sont meilleures, plus charnues, et elles se vendent mieux. En été, la situation est plus délicate : « Certaines commencent à former des perles, d’autres ont ce goût un peu granuleux, comme s’il y avait du sable dedans. Il faut avoir le coup de main pour les ouvrir. »
Chaque kilo d’huîtres se vend à Rs 250. Les bons jours, elle peut en ramasser jusqu’à huit kilos : « Mo kapav gagn Rs 2 000 par zour, me pa touzour. Si lamer move, bizin pase. » L’océan ne fait pas de cadeau, mais elle en connaît les humeurs. Elle vend localement, à des restaurateurs et des habitués. Une activité qui lui permet de joindre les deux bouts et d’assurer l’éducation de ses enfants, qu’elle veut voir réussir.
Et parce qu’Alexandra ne tient pas en place, elle a transformé un petit coin de terrain près de chez elle en table d’hôte. Quelques tables simples, une cuisine bien pensée, et surtout, une expérience authentique. Les touristes s’y pressent sur réservation pour découvrir ses recettes de la mer. Au menu : poisson grillé, huîtres fraîchement ouvertes, ourites, le tout arrosé d’un zeste de passion. « Bann tour-operater telefonn mwa ek mo prepare. Ziska dis dimounn parfwa. Mo tousel pou fer tou, me mo kontan. »
Derrière les gestes sûrs et les rires francs, il y a parfois la fatigue, le découragement. Mais pas l’abandon. « Il y a des jours où je suis découragée. Mais je ne peux pas baisser les bras. Mes pensées sont tournées vers mes enfants. » Elle parle de ses fils avec fierté : l’aîné étudie la marine marchande, l’autre la mécanique, le plus jeune est au collège.
Et demain ? Elle y pense. Elle rêve d’une vie un peu plus douce. Un petit resto au bord de la plage, embaucher une ou deux personnes pour l’aider. Former d’autres femmes à la récolte des huîtres, un métier trop souvent considéré comme masculin. Elle est catégorique : « Pa zis bann zom ki kapav fer sa. Nou osi nou kapav. »
Alexandra Beeharry, avec son marteau, ses blessures, ses rires francs et sa détermination, est de celles qu’on n’oublie pas. Pas parce qu’elle crie fort. Mais parce qu’elle avance, quoi qu’il arrive. Parce qu’elle a fait de la mer son alliée, et de l’avenir de ses enfants, son cap. Elle le résume simplement : « Tou dimounn ena enn destin. Mo destin, li dan lamer. Mo lamour, li dan mo zanfan. »
Azeem Khodabux

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