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Jocelyn Chan Low : «Paul Bérenger sort ses crocs pour faire comprendre que le MMM existe»

Si la prise de position du leader du MMM sur certains dossiers ont fait grand bruit, ce n’est pas un hasard. Selon l’analyste politique Jocelyn Chan Low, Paul Bérenger a voulu faire passer un message limpide : le MMM existe encore… 

Commençons par les nominations : d’un côté, des seniors de plus de 75 ans propulsés à des postes diplomatiques, de l’autre, des noms placés à des postes stratégiques. L’Alliance du Changement avait promis un Appointment’s Committee… mais qu’en est-il aujourd’hui ? Aux oubliettes ?
Trois raisons expliquent l’impopularité croissante de ce gouvernement. Avant les élections de novembre 2024, un sondage indiquait déjà que plus de 60 % des Mauriciens ne faisaient plus confiance aux politiciens et aux partis politiques. Le dernier sondage d’Afro Barometer porte ce chiffre à 81 %, révélant une désillusion profonde.

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Par rapport à quoi ?
Il y a d’abord le non-respect d’actions promises concernant la Basic Retirement Pension (BRP), puis l’absence de mesures fortes contre la corruption, et enfin les nominations. Ce gouvernement avait promis la création d’un Appointments Committee. Que disent les gouvernants du jour ? Ce comité sera nommé pour les postes stratégiques. L’un des reproches à l’ancien régime : le MSM était devenu un État dans l’État en nommant des proches. Rezistans ek Alternativ (ReA) a commis une erreur excusable par manque d’expérience au sommet de l’État. On dit que la création du comité prendra du temps, mais, en attendant, on continue de placer des « copains » à travers les institutions paraétatiques, sans véritables garde-fous, aux frais des contribuables qui financent les salaires d’agents politiques et des colleurs d’affiches. C’est pourquoi les Mauriciens manifestent une défiance croissante envers les partis traditionnels, et les militants fidèles diminuent chaque jour, constatant que cette classe politique ne répond plus à leurs attentes.

Les ministres ont-ils carte blanche ?
Il y avait la démocratie représentative, avec un mandat de cinq ans, mais aujourd’hui, on évolue vers une démocratie plus participative dans les décisions prises. On évoque l’Appointment's Committee : qui sera chargé de présider ce comité ? Les ministres. Il est donc nécessaire d’avoir un watchdog incluant la société civile. Les auditions devraient se dérouler en public, à l’instar du Sénat américain, pour garantir la bonne gouvernance.

À l’époque, le MMM critiquait le PMSD de sir Gaëtan Duval, qui avait nommé plusieurs membres de sa famille. Aujourd’hui, le leader du MMM agit de la même manière...
On réplique ce que l’on a conspué. Les Mauriciens en ont assez. La classe dite moyenne, aujourd’hui déclassée, investit dans l’éducation de ses enfants… et que voit-elle ? Un retour des dinosaures. Le retour de « très très » seniors : la gérontocratie s’installe, le règne des anciens. On assiste aussi au retour des agents, des colleurs d’affiches, des militants bien placés. Les jeunes ont-ils leur place ? Jamais. C’est pour cela qu’ils émigrent, tandis que certains agents se remplissent les poches grâce à des nominations ici et là.

Les nominations font des vagues, notamment celle de la fille d’Ehsan Juman, lui-même critique de ReA pour avoir autorisé un panel composé de membres de son parti à choisir des représentants de la National Empowerment Foundation (NEF). Que pensez-vous de cette logique de « copains d’abord » ?
Quand un politicien affirme que la nomination n’est pas de son « doing », c’est un acte de foi, et je le prends ainsi. Il y a eu des nominations, comme celle du père de Roshi Bhadain, qui avait d’abord refusé puis accepté un poste à la Development Bank of Mauritius (DBM), sans rémunération. Le Premier ministre a renvoyé la presse aux nominations faites sous le MSM pour justifier ses choix. Paul Bérenger et Ehsan Juman avancent qu’ils n’étaient pas au courant et que c’est le ‘doing’ de Navin Ramgoolam. Cela pourrait prêter à sourire…

On ne peut comparer ce qu’a fait le MSM, il n’existe pas de standard. La population a évincé le MSM de Pravind Jugnauth et ses alliés du gouvernement. Navin Ramgoolam ne peut reproduire ce que le MSM a fait, sinon le même résultat se répéterait. On nous avait promis un changement : résultat zéro. Peut-on vraiment se satisfaire en disant que le MSM a fait trop et que nous, nous en faisons peu ? 
Pour la première fois de notre histoire politique, il y a eu un remaniement, pas de ministres, mais de Junior Ministers…

Le poste de Junior Minister est complexe, car il n’a aucune attribution précise et reste flou jusqu’ici, contrairement aux PPS. Ce rôle n’a aucun cahier des charges et apparaît presque comme une récompense pour ceux et celles qui n’ont pas obtenu de poste ministériel. La question de l’équilibre ethnique entre en jeu dans ces nominations. Prenons l’exemple du ministre Anil Bachoo : il dirigeait seul le vaste ministère de la Santé, sans aucun Junior Minister. À l’inverse, au ministère  l'Égalité des genres, Anishta Babooram occupait le poste de Junior Minister, mais ne pouvait exercer pleinement ses fonctions faute de délégation. On peut légitimement se demander : avons-nous réellement besoin d’autant de ministres et de Junior Ministers à Maurice, une petite île ? Sans compter les fonctionnaires, attachés de presse et super conseillers… Ce système ressemble à un partage de gâteau, destiné à maintenir une majorité de 35 élus au Parlement, qui reste souveraine. En nommant ces Junior Ministers, on limite leurs marges de manœuvre. Un remaniement de Junior Ministers finit par créer un certain désordre.

Cette « guerre » entre les deux clans PTr et MMM pourrait-elle annoncer une éventuelle cassure après neuf mois au pouvoir ?
Maurice a connu trois cassures retentissantes de la part du MMM. Chaque scission a affaibli le parti. Les « die-hard » se font rares et vieillissent, tandis que l’appareil mauve est de plus en plus délabré. C’est un parti qui défend les gros intérêts au sein du gouvernement. Les partis extraparlementaires, eux, attirent certains militants mauves, comme Patrick Belcourt dans le fief de Paul Bérenger au No 19. Ces militants, 20 ans dans l’opposition, sont fatigués. Il se pourrait que le leader du MMM mette en œuvre ce que l’on appelle un « macambo », un dernier recours stratégique. Il faut rappeler que le MMM, au sein de cette alliance, reste un junior partner, mais souhaite marquer sa différence vis-à-vis du PTr.

Est-ce que Navin Ramgoolam craint le MMM ?
Les deux leaders veulent être des bâtisseurs, éviter une cassure et passer des réformes.

Pourtant, le leader du MMM a montré ses agacements face à Sithanen, Beegoo, entre autres nominations…
Paul Bérenger sort ses crocs pour faire comprendre que le MMM existe.

Pour surtout protéger des intérêts non révélés ?
Où l’argent de la CSG et de la BRP est-il placé ? Faites votre enquête et vous y verrez plus clair. Qui finance Moody’s pour ses rapports sur notre économie ? La même banque qui réalise d’énormes profits. Ce gouvernement est tombé dans le piège du gros capital. 

Concernant le rôle de la Financial Crimes Commission : est-ce du tapage pour rien ou s’agit-il de règlements de comptes entre le PTr et le MSM ? 
Tous les succès des opérations de la Special Striking Team (SST) reposaient sur des informateurs et des policiers ‘under cover’ — c’est ce qu’on appelle l’‘intelligence gathering’. Il faut absolument protéger les ‘whistle blowers’. Le principe du ‘reward money’ est discutable et peut ne pas être justifié, car les informateurs ne sont pas des saints. Mais pour décaisser de telles sommes, souvent des dizaines de millions de roupies, il faut des personnes intègres capables de donner le feu vert tout en respectant scrupuleusement les procédures. La mafia peut tout acheter : policiers, informateurs, barons et même politiciens. Le risque de collusion est permanent, toujours au nom de l’argent. 

 

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