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Kris Valaydon : «Une division de l’opposition sera un élément décisif»

Ancien fonctionnaire international, observateur politique et légiste, Kris Valaydon commente le rapprochement du PMSD avec le MSM, la visite officielle en Inde d’Adrien Duval et les défis politiques que Maurice doit affronter. Il discute également des partis politiques émergents, des dynamiques électorales, et de la perception de la classe politique par les citoyens.

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Le nouveau Speaker Adrien Duval est en visite officielle en Inde depuis ce vendredi 16 août pour une durée de trois jours. Il y rencontrera le ministre indien des Affaires étrangères, entre autres. Faut-il y voir un message subtil envoyé par l’Inde par rapport à un soutien au PMSD, qui penche pour une alliance avec le MSM ?

Il y a deux aspects à cette question. Premièrement, un aspect technique portant sur la question de savoir pourquoi aller en Inde avec pour objet de mission d'aller visiter le Lok Sabha, rencontrer son homologue indien, et voir comment se déroulent les travaux parlementaires là-bas. On se pose cette question parce que notre système parlementaire comprend des « Standing Orders » qui prévoient que les travaux de notre Assemblée nationale sont guidés par le processus en cours en Angleterre. Ceci a été maintes fois proclamé par nos speakers et nos gouvernements. Ce qui est tout à fait logique puisque nous suivons un modèle de Parlement, système de gouvernement Westminster, et que la doctrine sur le sujet est celle prévue dans Erskine May, et que notre procédure parlementaire est guidée par celle applicable à la Chambre des communes britannique. S'il fallait apprendre de la pratique et de la procédure parlementaire qui doit être appliquée à notre Assemblée nationale, la première mission du Speaker, la première destination choisie, aurait été la Chambre des communes britannique, même si l'Inde est un pays du Commonwealth qui suit la procédure britannique.

Et le deuxième aspect ?

Le deuxième aspect relève de la politique. Cependant, comme on nous dit qu'il rencontrera également le ministre indien des Affaires étrangères, entre autres, on peut penser qu'il s'agit d'une visite de courtoisie. Aussi, sur le plan diplomatique, on peut encore questionner la pertinence de savoir si c'est une exigence protocolaire. Sinon, compte tenu du contexte électoral mauricien, la personne du Speaker et sa place dans la vie politique à Maurice, on ne peut s'empêcher de douter qu'il y ait un aspect éminemment politique à cette mission du Speaker, si le but est de rencontrer les représentants du gouvernement indien et d'échanger sur des sujets qui intéressent l'Inde et Maurice. Si les échanges avec les autorités indiennes portent sur des questions internes à la politique mauricienne, il y aura de quoi être inquiet.

En effet, cette démarche est en rapport direct et touche à la notion, au principe très sensible de la souveraineté de notre pays, un principe qui a déjà été mis à mal pendant les dernières années avec le dossier Agaléga. Ce serait ajouter une nouvelle couche d'inquiétude dans nos esprits que si la mission du Speaker porte sur un volet de la politique interne de notre pays. Ce sera l'expression de l'impuissance de nos dirigeants à régler nos affaires politiques internes entre nous et qu'il faille l'ingérence d'un État étranger pour décider du destin des alliances ou d'autres manœuvres orchestrées par des partis mauriciens. Ce serait une grossière invitation à l'ingérence dans nos affaires internes, symbole de l’immaturité de nos politiciens.

Voir le Speaker de notre Assemblée nationale accomplir une mission de la sorte est également critiquable puisqu'il agit comme un représentant de parti politique, lui qui n'est pas censé faire de la politique active. Car, s'il discute — on dit bien, si… — de l'alliance ou de l'apport du PMSD dans un futur gouvernement, alors là, il y a une double faute commise : l'une concernant l'indépendance du Speaker, et l'autre concernant l'ingérence dans les affaires politiques internes de notre pays.

Est-ce que le poids de l’Inde peut jouer dans ces élections ? 

La rumeur sur l'ingérence des pays étrangers dans nos élections a toujours été présente. Compte tenu du rapport entre le pouvoir et l'Inde, on ne peut écarter l'influence indienne qui plane sur la vie politique à Maurice. On connaît très bien le rapport qu'entretient notre Premier ministre avec celui de l'Inde. On connaît l'histoire d'Agaléga, les investissements, les prêts de l'Inde pour le métro et d'autres projets d'envergure. Nous sommes dans une situation où l'Inde, subtilement ou indirectement, est devenue une variable sur laquelle comptent les gouvernements pour asseoir leur propre pouvoir. Nous savons qu'une bonne partie de la population ayant des racines ancestrales avec l'Inde a des liens culturels et religieux communs. Quelques milliers de Mauriciens ont même des visas (le GOPIO), permis de résidence de longue durée. L’affinité pour la Grande péninsule peut s’expliquer et est une variable sur laquelle jouent nos politiciens pour influencer les Mauriciens. Le problème à Maurice, c’est qu'on ne peut pas trop en parler puisqu'on risque d'être accusé d'hindou bashing.

Les politiciens sont en partie responsables, car ils n’ont pas réussi à sensibiliser la population sur les failles d’un système politique dysfonctionnel"

Alors que la direction du PMSD maintient qu’il n’y a pas de pourparlers, on voit de plus en plus de signes de rapprochement. Pensez-vous qu’il n’y ait pas déjà eu un accord, ne serait-ce que tacite, entre Pravind Jugnauth et Xavier-Luc Duval ?

Je pense que toute cette question relève d'une escroquerie, destinée à détourner l'attention de la population des vrais défis dont le pays doit faire face. Les deux protagonistes ont piégé la population à réfléchir uniquement sur cette question afin de nous faire oublier les grands défis dont le pays doit faire face. On aura soudain oublié les grandes questions qui devraient faire l'objet de débats, surtout dans le cadre d'une campagne électorale, et que l'on se concentre sur cette envie du politicien de détourner l'attention, d'entretenir de fausses rumeurs et d’aiguiser sans vergogne la curiosité d'une masse populaire, en exploitant le fait qu'on la connaît friande de sensationnalisme, répondant volontairement à des rumeurs pour faire causer les gens sur des questions inutiles. Certains politiciens veulent nous tenir en haleine, qu'on reste accrochés à leurs mots, à leurs décisions, alors que c'est le cadet des soucis du Mauricien. Ce dernier a d’autres sujets de préoccupation : le manque de poulet et d’œufs, le pouvoir d'achat qui s’effrite, sans oublier le problème de sécurité alimentaire, de la dépréciation de la roupie, d'un désordre inimaginable dans les salaires à appliquer dans le secteur privé, surtout les problèmes que rencontrent les PME à ce niveau, la prolifération de la drogue synthétique, la corruption dont l'indice ne cesse d’augmenter d'après le dernier Afrobarometer ou encore le problème de sécurité. Face à tous ces problèmes, on veut nous faire croire que l'urgence du moment est les tractations fictives ou non par des politiciens qui ne font que prendre un pays en otage.

L’individu vient en politique non pas pour servir, mais pour être servi"

Est-ce que cette alliance, si elle se concrétise, pourra servir de catalyseur pour le gouvernement ? 

Encore une fois, la spéculation sur le résultat d'une alliance entre intérêts partisans et personnels de deux individus veut être un sujet qui domine la conscience populaire. Or, cela aurait dû être des débats sur les questions de fond qui touchent aux problèmes que fait face le pays. Il est difficile de dire que cette alliance sera un catalyseur pour le gouvernement, mais le fait que XLD tarde à préciser sa position augmente le risque qu'il soit encore plus critiqué. De plus, il ne faut pas croire que chez le MSM et d'autres partis qui constituent le présent gouvernement, il y a un enthousiasme débordant pour voir XLD venir prendre place à côté du trône. En ce faisant, ce dernier va rétrograder les autres nouveaux convertis et fidèles ou encore les transfuges de l'opposition qui sont venus à la rescousse de PKJ dans des moments difficiles.

La population n’est pas prête à participer à sa propre conscientisation, et c’est un obstacle auquel tout nouveau parti sera confronté"

De l’autre côté, on voit une opposition PTr/MMM/ND qui ne semble pas non plus provoquer une adhésion massive et populaire. Êtes-vous d’accord avec ce propos et si oui, que faudrait-il faire pour créer cette vague ? 

On a toujours affirmé que les opposants craignent de se manifester sous les gouvernements MSM, redoutant des représailles, etc. On avance aussi la même chose pour les gouvernements précédents. On prétend également que les partisans des gouvernements restent généralement silencieux. C’est peut-être ce facteur qui explique l'absence des vagues. Malgré tout l'opposition avait fait relativement bonne figure le 1er mai dernier. 

Depuis quelque temps, nous sommes arrivés à un point, dans l'histoire politique du pays où l'engagement volontaire s'est évaporé au profit de bénéfices matériels. Pour susciter un large soutien populaire, il faut investir massivement. Pour cela, il faut que les partis abondent en ressources. Aujourd'hui, l'environnement politique est bien différent de celui des années de braise avant 1982, où l'engagement était fortement motivé par des convictions idéologiques. À cette époque, les Mauriciens pensaient en tant que membres d'une nation, poussés par un désir de changement et d'acceptation du bien commun, loin des divisions communales.

Toutefois, ce n'est plus le cas maintenant et cette situation a démarré il y a des décennies.

Le Reform Party, Linion Moris, et d’autres partis comme En Avant Moris continuent à faire campagne. Joueront-ils un grand rôle lors de ces élections générales ?

Je récuse le terme « nuisance value » que certains sont tentés d'utiliser à l'égard des partis extraparlementaires, en se basant sur l'argument qu'ils ont été envoyés par le parti au pouvoir pour nuire à l'opposition travailliste, MMM, et ND. Il est vrai qu'une division de l'opposition sera un élément décisif dans les résultats des élections générales, et il n'est pas impossible qu'un gouvernement soit élu avec moins d'un tiers des voix de l'électorat. Néanmoins, je pense qu'il faut voir les partis extraparlementaires comme un apport positif dans l'univers politique mauricien. Ils peuvent être des idéalistes, mais leurs idées, le nouveau sang qu'ils apportent, les nouveaux visages qu'ils présentent, feront du bien à un futur gouvernement. Je pense qu'il faut compter sur eux pour apporter du renouveau dans l'univers politique locale. D'ailleurs, c'est ce que le peuple demande. 

Selon moi, de tels partis ont une place sur l'échiquier politique, un rôle à jouer. Cependant, gagner les élections hors d'une alliance s'avère difficile pour eux compte tenu de l'arsenal de moyens dont disposent les partis traditionnels et surtout de leurs assises dans l'électorat depuis des décennies. La sagesse, le réalisme et le pragmatisme politique suggèrent qu'ils se joignent à un bloc, mais que cela se fasse autour d'un programme, d'un projet de société autour des idées qui seront traduites en actions une fois au pouvoir. Il ne faut pas que l'intégration des partis extraparlementaires se fasse parce qu'ils vont faire le jeu de l'adversaire, mais pour leur apport en termes d'idées et de nouveauté qu'ils apporteront à notre univers politique. On mesurera l'égo des uns et des autres dans cette entreprise d'intégration.

Des négociations ont aussi lieu entre Rezistans ek Alternativ pour intégrer l’alliance PTr/MMM/ND. Pensez-vous que ReA pourra apporter quelque chose à cette alliance sur le plan électoral ?

Ne connaissant pas vraiment leur poids électoral sur le terrain, je pense personnellement que leur apport sera beaucoup plus en termes de nouveaux concepts pour faire avancer le pays. Les discours des principaux représentants, Ashok Subron, Kugan Parapen, Stefan Gua donnent une lueur d'espoir au niveau de l'avancement social et politique du pays. Leur position sur la Constitution, la concentration du pouvoir, le délitement de la démocratie, ainsi que sur les droits des travailleurs, reflète ce que nous devons attendre d'un futur gouvernement. Ces actions sont essentielles pour faire progresser le pays et le sortir de la phase de décadence politique dans laquelle il est plongé.

Afrobarometer a publié son dernier sondage lundi 12 août dernier. Celui-ci révèle un déficit de confiance des électeurs envers la classe politique. Une des indications est que 41 % des gens accordent encore un peu ou beaucoup de confiance au Premier ministre, alors que pour l’opposition, ce chiffre est de 37 %. Comment expliquer ces chiffres extrêmement bas ?

Il est évident que la classe politique a subi dans son ensemble une baisse de popularité. Il est temps pour les gens de ce milieu et les partis de réfléchir sur les causes de cette chute. Je crois que cela traduit une perte conséquente, une descente dans la culture du politicien. L'aliénation entre ce dernier et le peuple s'installe, accompagnée par l'effritement de la vocation politique. Aujourd'hui, l'individu vient en politique non pas pour servir, mais pour être servi, poursuivant des intérêts personnels, loin de l'époque qui produisait des figures telles que Curé, Anquetil, Sahadeo, Rozemont, Bissoondoyal, et plus récemment, Bérenger, Ramgoolam, Seegobin.

De son côté, des sondages de Pulse Analytics, une autre agence, font ressortir que sur 42 députés du gouvernement, la grande majorité a une cote positive se situant autour de 40 %. Quatre d’entre eux obtiennent entre 50 % et 54 %, parmi lesquels le Premier ministre qui est à 53 %. Au niveau de l’opposition, 10 députés sur 24 ont une cote positive de plus de 50 %, mais personne ne dépasse les 55 %. Quel enseignement faut-il en tirer ?

Il y a une précision technique à apporter sur le sondage de Pulse Analytics : il est fait sur l'outil informatique et internet, à la lecture des interventions sur les réseaux sociaux, etc., et il y a l'IA… qui influence les conclusions que l'on peut tirer sur le résultat. Les sondés sont des gens qui s'affichent publiquement sur ces réseaux. Cela dit, il n'est pas étonnant que la population n'ait pas une bonne impression de nos politiciens. Cela peut s'expliquer par rapport à ce qu'elle voit à la télé, ce qu’on lui montre du Parlement, la médiocrité qui s'expose, mais aussi l'attitude des politiciens sur le terrain. C'est une crise d'un système politique qui a fait que le politicien devienne le maître, celui qu'on doit honorer, alors qu'il accumule plein de défauts, qu'il se corrompt et se croit appartenir à une autre classe de Mauriciens. Cette situation s'est empirée lorsque la culture personnelle même du politicien s’est gravement dégradée au fil des années, et les exemples de cette déconfiture ne manquent pas : transfuges notoires, auteurs de scandales, abus de pouvoir et de position de politiciens, députés, immunité, arrogance, médiocrité intellectuelle… autant de signes qui nous sont exposés.

Je récuse le terme « nuisance value » que certains sont tentés d’utiliser à l’égard des partis extraparlementaires"

Malgré le fait qu’une partie de la population semble vouloir un grand changement sur la scène politique, aucun nouveau leader ou parti ne parvient jusqu’ici à émerger clairement. Comment l’expliquer ? Pourquoi les Mauriciens reviennent-ils toujours à leurs réflexes au moment du vote ?

C'est du « lip service » que pratique le peuple. Dans le fond, il ne veut pas du renouveau… quand il faut agir, il ne le fait pas. La population n'est pas prête à participer à sa propre conscientisation, et c'est un obstacle auquel tout nouveau parti sera confronté. Si le peuple ne fait pas passer le bien commun avant ses propres intérêts et qu'il se cantonne dans son égoïsme, il sera impossible d'avoir un vrai changement. Il est erroné de penser que seuls les politiciens sont responsables de la dégradation politique que connaît le pays depuis plusieurs décennies, une situation qui semble s'aggraver chaque jour. Le peuple est autant responsable. 

Les politiciens sont en partie responsables, car ils n'ont pas réussi à sensibiliser la population sur les failles d'un système politique dysfonctionnel. Ce système ne parvient pas à résoudre les problèmes de société de manière durable, tout en exacerbant le communalisme, les inégalités, et la marginalisation. Pourtant, le peuple reste passif face à cette situation. Il est souvent dit qu'il faut changer les politiciens, mais il est temps peut-être de se dire qu'il faut changer aussi de peuple…

 

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