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Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues : des marchés clandestins opèrent en plein jour malgré la répression

Longue file d’attente, vue du ciel, auprès des marchands de drogues à Karo Kalyptis.

La Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues est célébrée ce mercredi 26 juin 2024. Si d’un côté le gouvernement multiplie les saisies avec l’engagement de plusieurs unités policières conjointement avec les douanes, sur le terrain, une bien triste réalité se joue, la drogue se vendant librement et ravageant plusieurs familles. Ils sont nombreux à clamer haut et fort que cela reste une des principales causes du sentiment d’insécurité qui prévaut au pays...

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D’un côté, l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu) dit mener un combat assidu contre le trafic de drogue sur le terrain. De l’autre, c’est une tout autre réalité qui prévaut. De jour comme de nuit, la drogue se vend comme des petits pains dans plusieurs régions du pays, notamment à Karo Kalyptis, Roche-Bois, ou encore à Cité Ste-Claire, Goodlands. Les toxicomanes eux-mêmes le disent : « Nou gagn nou ladrog 24/7. » 

Lundi et mardi, pratiquement à la veille de la célébration de la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues, une visite dans quelques régions de l’île permet de confirmer que la drogue reste disponible dans des points de vente habituels, et ce en pleine journée. L’absence des unités engagées dans la lutte contre le trafic de drogue est aussi constatée. 

« C’est une réalité. Les trafiquants ont plusieurs longueurs d’avance sur la brigade antidrogue, en termes de moyens et de logistique », reconnaît un limier d’expérience des Casernes centrales. 

Dans les ruelles de Karo Kalyptis, la vente de drogues bat son plein. Les guetteurs pullulent dans le quartier. Leur rôle : donner l’alerte au moindre mouvement suspect. « Pa park loto la sinon pou gagn kout dilo bwi », tonne une femme qui monte la garde auprès du plus gros point de vente de Karo Kalyptis. 

Véritable « Fancy Fair » 

Un peu plus loin, au chemin menant au lieudit « Parc », haut lieu du trafic de drogue de ce faubourg de la capitale, c’est business as usual. Un espace de stationnement a été spécialement aménagé pour accueillir les clients qui affluent en continu, à longueur de journée, pour obtenir leurs doses. Des demi-quarts de gramme de diverses drogues s’écoulent en un éclair. 

« On se croirait à un marché où le ‘demi-kar’ se vend à Rs 400 », scande un dealer, qui tient un sac en plastique contenant des doses enroulées dans du papier aluminium. Sur place, ça court dans tous les sens. Hommes et femmes de tous âges, l’air excité, se précipitent à leur point d’achat. 

Les après-midis, le site se transforme en un véritable « Fancy Fair » avec de longues files d’attente visibles à des kilomètres à la ronde. « Kouma travay fini tanto, sa ler la Karo Kalyptis defonse », témoigne un habitué des lieux. 

Silence, ça s’injecte…

À Karo Kalyptis, le trafic de drogue ne se limite pas à la vente de substances illicites. Les toxicomanes y trouvent une gamme de services qui facilitent leur consommation. En sus de la disponibilité de diverses drogues, y compris des comprimés de psychotrope et des drogues dures, les seringues et des bouchons utilisés pour cuire de l’héroïne sont également en vente.  Des habitués des lieux affirment qu’ils ont aussi la facilité de s’injecter sur place. « Ena dimounn ofer zot lakour a bann konsomater pou pike. Zot bizin pey proprieter lakour la. Zot fini pike lerla zot ale. Koumsa si l’Adsu pe bare an deor, pa pou gagn ladrog ar zot », témoigne l’un d’eux.  Dans le Nord du pays, la région de Cité Ste-Claire demeure l’un des principaux points de vente de drogue. À l’entrée de ce faubourg de Goodlands, l’accès est rigoureusement contrôlé par des hommes de main des caïds. Certains vont jusqu’à obstruer la rue pour vérifier les allées et venues. 

« Zot fer ou aret loto ek bes vit tinte pou gete si bann misie la (les policiers ; NdlR) pa dan loto. Lerla zot les ou mont lao. Bann nouvo figir pa gagn rantre isi », explique une source anonyme.


Ally Lazer : « From bad to worst » 

Au sein de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice, l’infatigable Ally Lazer poursuit sa croisade depuis 43 longues années contre la prolifération de la drogue. Dans une énième déclaration accordée à la presse, il s’est interrogé sur le chiffre fourni par le chef du gouvernement qui affirme que la police a écroué environ 25 000 personnes pour des délits de drogue. « Que l’autorité me dise combien de trafiquants y a-t-il parmi ces 25 000 suspects arrêtés ? Je réclame un face-à-face avec le Premier ministre à ce sujet », a lancé le travailleur social dans sa déclaration à la presse. 

Ally Lazer est catégorique : « Lotorite pa pe kas lerin trafikan ladrog , me li pe kares lerin trafikan. ‘From bad to worst’. » Il martèle que le principal obstacle dans cette lutte reste la corruption : « Nous avons déjà perdu le combat contre le trafic de drogue à cause de la corruption. Pour remporter cette guerre, il faut remporter le combat contre la corruption. »


L’Adsu : « Nous occupons les moindres coins et recoins de Maurice et Rodrigues » 

« À Maurice, comme à Rodrigues, les différentes unités de l’Adsu dominent le terrain », fait ressortir un haut gradé du quartier général de la brigade antidrogue des Casernes centrales. Des éléments du Field Investigation Office ont pour mission de recueillir des informations sur de gros réseaux de drogue comme sur les petits dealers. 

Une fois les renseignements confirmés, les unités s’activent pour mettre hors d’état de nuire ces points de deal et d’autres individus liés, directement ou indirectement, aux trafiquants. Le haut gradé souligne qu’en sus des enquêteurs de l’Adsu, d’autres unités, comme la Police Headquarters Special Striking Team, la Divisional Crime Intelligence Unit ainsi que la Special Intelligence Cell de la Special Supporting Unit, sont engagées dans le démantèlement des réseaux de drogue.

« L’Adsu a des bureaux à travers Maurice et Rodrigues dans chaque district. Elle occupe chaque pouce de terrain, les moindres coins et recoins. Le Commissaire de police a mentionné que c’est le travail de tout policier de combattre le trafic de drogue, pas seulement celui de l’Adsu », dit d’emblée ce haut gradé. 

Il demande à la population de s’engager dans ce combat : « Les trafiquants de drogue prospèrent quand il y a de l’indifférence au sein de la population. L’indifférence est un fertilisant pour les caïds de drogue. Parents, enseignants et institutions religieuses ont pour rôle de prévenir afin que les gens ne tombent pas dans le circuit de la toxicomanie. »


Statistiques v réalité

25 343 suspects arrêtés, selon Pravind Jugnauth 

Le gouvernement, notamment le Premier ministre, met souvent en exergue le nombre de saisies de drogue effectuées ainsi que la valeur marchande des drogues retirées du marché. Pravind Jugnauth a affirmé haut et fort, devant les nouvelles recrues de la police lors de la Passing Out Parade durant la semaine écoulée, que 25 343 suspects ont été arrêtés pour des délits de drogue de 2015 à 2024. Il a ajouté que la valeur marchande totale des stupéfiants saisis s’élève à plus de Rs 16 milliards. 

Or, des travailleurs sociaux et certains enquêteurs de l’Adsu affirment que la réalité sur le terrain est tout autre. Ils estiment que ce sont les arrestations des petits consommateurs, qui tombent aussi dans les filets de la brigade antidrogue, qui font gonfler les statistiques sur les saisies dans certains cas. 
« Bien souvent, l’Adsu fouille de petits consommateurs qui, en sortant de chez le marchand, se font arrêter avec une ou deux doses, alors que le vendeur, lui, continue à écouler son stock », fulmine un limier sous le couvert de l’anonymat. 

Il lève le voile sur une triste réalité : « De nos jours, les trafiquants ont plusieurs longueurs d’avance sur nous. Malheureusement, quand nous allons faire une fouille ou quand nous travaillons sur un renseignement, nos collègues ne doivent pas savoir qui nous surveillons à cause des risques de fuite d’informations. »

 

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