Interview

Jessyca Joyekurun: «Être malheureux au travail favorise certains troubles»

Le travail, chantait Henri Salvador, c’est la santé. Aujourd’hui, selon Jessyca Joyekurun, consultante en ressources humaines, à force d’être malheureux au boulot, les employés développent des troubles de santé. Comment décrirez-vous le monde du travail aujourd’hui ? Le point de vue sur le monde du travail, à Maurice comme ailleurs, variera selon la perspective de l’observateur. L’employé d’une petite et moyenne entreprise (PME), par exemple, vit en permanence dans une atmosphère d’instabilité et de polyvalence. Les grandes entreprises ont le luxe de pouvoir diviser le travail. Mais, en revanche, gravir les échelons dans ces entreprises est beaucoup plus difficile et dépend davantage de l’intelligence émotionnelle, de la réputation et de la politique d’entreprise, plutôt que de la compétence académique ou professionnelle. Les jeunes diplômés ont, quant à eux, plus de difficulté à sécuriser leur emploi et même des stages en entreprise. Enfin, les employés de plus de 60 ans gardent leur poste aussi longtemps qu’ils n’ont pas d’exigences en termes de salaires. Cela, même s’ils ne sont plus compétents ou ne répondent plus aux exigences du monde du travail.
Pourquoi accorde-t-on autant d’importance au concept du bonheur au travail aujourd’hui ? Tout simplement parce que la plupart d’entre nous passons plus de temps avec nos collègues qu’avec notre propre famille. Il a été prouvé scientifiquement que vous aurez tendance à travailler plus efficacement, être en paix avec votre travail et disposé à travailler des heures supplémentaires si vous vous sentez apprécié et estimé dans votre lieu de travail. De l’autre côté, de nombreux employés développent ces jours-ci, à force d’être malheureux au travail, certains troubles comme la dépression, le stress et les symptômes psychosomatiques. Leur santé en pâtit et ils deviennent moins performants au travail. Les syndicalistes soutiennent qu’une grande frustration règne dans le monde du travail. Quels en seraient les principaux facteurs ? On remarque souvent que les salaires proposés génèrent un niveau élevé d’insatisfaction par rapport aux heures de travail requises et aux exigences du boulot. D’autre part, les jeunes employés qui sont dans la trentaine, même avec les qualifications et l’expérience nécessaires, sont toujours dans l’impasse en termes de progression dans leur carrière. Promouvoir les managers incompétents peut aussi avoir un impact direct sur le moral des employés et la productivité au travail. On remarque aussi que le manque d’investissement dans la formation du personnel conduit l’employé à penser que la société est davantage intéressée à le faire travailler pour augmenter les profits et ne croit pas dans sa promotion (celle de l’employé).
[blockquote]« Les grandes entreprises ont le luxe de pouvoir diviser le travail. Mais, en revanche, gravir les échelons dans ces entreprises est beaucoup plus difficile et dépend davantage de l’intelligence émotionnelle, de la réputation et de la politique d’entreprise, plutôt que de la compétence académique ou professionnelle. »[/blockquote]
Les employeurs sont-ils assez à l’écoute de leurs employés ? Tout dépend de l’ouverture d’esprit de la direction. Certains stéréotypes existent dans le milieu du travail. Par exemple, un jeune de 20-30 ans pourrait s’entendre dire qu’il est trop jeune pour avoir une opinion et celui de 50-60 qu’il est trop dépassé pour comprendre l’évolution du monde du travail. L’entreprise qui écoute tous ses employés, quel que soit leur âge, a évidemment plus de chances d’avoir une exposition internationale. Surtout si elle donne à l’employé la place qui lui revient compte tenu de la valeur ajoutée qu’il apporte, ses qualités et ses compétences, plutôt que de le voir comme un simple pion sur un échiquier. Aujourd’hui, certains employeurs peuvent ne jamais avoir rencontré un employé. Est-ce normal ? À mesure qu’une organisation grandit en taille et en effectif, il est normal que l’équipe de direction soit de moins en moins en contact avec les employés. Elle a ses priorités et doit répondre auprès du conseil d’administration et des actionnaires. Cependant, les employés doivent se tourner vers eux pour bon nombre de décisions stratégiques et aussi comme modèle concernant le comportement à adopter. Voilà pourquoi socialiser avec les employés lors des exercices de team building et d’autres événements est très important pour le bon fonctionnement de l’entreprise. Il y a un autre concept, qu’on peut découvrir dans l’émission Patron Incognito. Sous prétexte d’un documentaire, le patron se déguise et effectue de courts stages dans l’entreprise qu’il dirige sans que les employés ne connaissent son identité. Le patron justifie sa participation à cette émission par sa volonté de tenter d’améliorer son entreprise en découvrant si les procédés de gestion de qualité et les directives sont suivis, et afin de tenter d’améliorer la productivité. Le directeur des ressources humaines (DRH) est-il souvent pris en sandwich entre l’employeur et l’employé ? À qui va son allégeance ? Le DRH est dans une position sandwich, souvent par rapport à la volonté de la direction d’encourager les employés à exprimer leurs problèmes de façon constructive et à concevoir de meilleures façons d’opérer en entreprise. Maintenant, si l’équipe de direction adopte une attitude du genre « prenez le travail offert ou partez » ou alors « opérez à ma façon ou prenez la porte », le directeur des ressources humaines a tendance à se ranger du côté de la direction. De toute façon, il y a un conflit éthique, car le salaire du DRH est payé par la direction. Il est donc difficile pour lui d’aller à l’encontre des vœux de la direction. Le mépris qu’ont les employés pour les DRH est donc justifié ? Souvent, les employés ont tendance à blâmer les ressources humaines pour toutes les fautes commises par la direction : mauvaise gestion, promotion d’incompétents... Le DRH devient le bouc émissaire. Mais sur un plan holistique et stratégique, il est responsable de ce qui affecte le moral des employés, en particulier les faibles scores dans les enquêtes de satisfaction des employés. Cependant, les managers qui gèrent directement les équipes doivent aussi être tenus pour responsables de la mauvaise gestion du personnel. Très peu de directeurs des ressources humaines peuvent se vanter d’exceller à tous les niveaux dans le milieu de travail à Maurice. On accuse souvent les jeunes employés d’être rebelles, paresseux, irrespectueux. Ces épithètes sont-ils justifiés ? Qualifier ainsi les jeunes employés équivaut à n’entretenir aucun espoir concernant l’avenir de l’emploi à l’île Maurice. Je dirai que les employés qui se comportent comme des rebelles, des ingrats ou qui ne respectent pas la hiérarchie seront ceux qui ont eu très peu de stages durant leurs études et donc qui n’ont pas été vraiment exposés au véritable monde de l’entreprise. Les jeunes employés ont aussi tendance à développer la mentalité « know it all ». C’est-à-dire qu’ils rejeter les connaissances et les opinions des employés ayant des années d’expérience. Ces jeunes doivent absolument être coachés afin qu’ils laissent leur ego à la porte de l’entreprise, qu’ils s’ouvrent davantage et soient mieux disposés à travailler et apprendre.
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