Interview

Jean-Claude de L’Estrac : «… il n’est plus possible pour Maurice de récupérer sa souveraineté sur Diego Garcia»

Jean-Claude de L’Estrac

« Légitimité » est un terme qui revient depuis le 25 février dernier. D’une part Pravind Jugnauth peut légitimement être candidat pour occuper le poste de Premier ministre (ayant eu gain de cause devant le Comité judiciaire du Conseil privé et d’autre part, la quête de Maurice en ce qui concerne l’archipel des Chagos est légitime selon la Cour Internationale de Justice. Jean Claude de l’Estrac, ancien secrétaire général de la Commission de l’océan Indien, ancien ministre des Affaires étrangères et l’auteur d’un essai sur les chagos, nous éclaire.

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Après que la Cour internationale de justice a émis un avis consultatif, où nous situons-nous ? Sommes-nous loin d’une récupération de l’Archipel des Chagos ?
Hélas, toujours aussi loin. Et ce n’est pas une surprise. Ceux qui connaissent le dossier – ce n’est pas le cas de tous ceux qui pérorent ces jours-ci - savent que les Britanniques et les Américains ne lâcheront pas Diego Garcia, aujourd’hui une des plus importantes bases aéronavales américaines. J’ai peine à constater qu’on fait encore croire aux Chagossiens qu’ils rentreront à la maison bientôt.

Quelle est la marche à suivre pour Maurice ?
Celle de la diplomatie, de la négociation. Instruit par les nombreuses prises de position des Britanniques depuis 50 ans, j’ai acquis la conviction qu’il n’est plus possible pour Maurice de récupérer sa souveraineté sur Diego Garcia. Vous verrez d’ailleurs que même la Cour internationale de Justice (CIJ)évite d’utiliser le mot « souveraineté », elle parle de «décolonisation ». Évidemment, les deux concepts sont liés mais la nuance mérite d’être soulignée.

C’est la raison pour laquelle je plaide pour une realpolitik qui pourrait peut-être nous permettre de récupérer les autres îles faisant partie du British Indian Ocean Territory. Elles ne sont d’aucune utilité militaire aux Américains, Péros Banhos est à 100 kilomètres de Diego Garcia. Puisque le gouvernement a déjà annoncé qu’il ne mettait pas en cause la présence de la base américaine à Diego Garcia, il faut qu’il comprenne que cela implique que les Chagossiens ne seront pas autorisés à retourner dans l’île. Les Britanniques ont étudié la question sur le plan juridique, ils ne veulent absolument pas de Chagossiens résidant à Diego qui pourraient, en vertu de la Charte des Nations Unies, faire valoir leur droit à l’autodétermination. C’est cela le point fondamental. Pour les autres îles, une petite chance existe.

La partie mauricienne a-t-elle le calibre pour engager des négociations ?
Ce n’est pas une question de calibre. Le climat actuel des relations anglo-mauriciennes est très tendu. Mais en même temps, Londres voudra peut-être donner le sentiment qu’elle cherche à trouver une voie de sortie. Une diplomatie intelligente consisterait à lui tendre une perche : demander l’ouverture de négociations sur un retour de souveraineté mauricienne sur les autres îles du BIOT (British Indian Ocean Territory) avec une réaffirmation de non-contestation de la base. Dans un contexte différent, la Grande-Bretagne a bien rétrocédé trois îles seychelloises qui avaient au départ fait partie du BIOT.

Quels arguments et atouts Maurice possède-t-il pour négocier avec les Britanniques ?
Je ne vois que la continuation d’une agitation diplomatique qui met à mal l’image du gouvernement britannique à un moment difficile pour lui au plan politique et diplomatique. On peut s’attendre à ce que son opposition travailliste menée par un Jeremy Corbyn, sensible à la cause chagossienne, lui mène la vie dure.

À partir de maintenant, c’est le MSM qui a le plus d’options.»

Si la Grande-Bretagne fait fi de l’avis consultatif, quelles en seront les conséquences et que pourra faire Maurice ?
Comme on pouvait s’y attendre, la Grande-Bretagne a déjà réagi en soulignant qu’il ne s’agit que d’un avis qui ne possède aucune force contraignante. Par le passé, elle a même fait valoir qu’elle n’a pas voté cette résolution 1514(XV) des Nations unies qui interdit le démembrement d’un territoire colonial avant son accession à l’indépendance. Ce n’est pas la première fois qu’elle est condamnée en vertu de cette résolution de l’Assemblée générale qui en est venue à être considérée comme faisant partie de la Charte. La première condamnation de l’Assemblée générale des Nations unies date de décembre 1966

Pensez-vous que Maurice aura le soutien de la communauté internationale, surtout de la part de certains alliés de la Grande-Bretagne, suite à l’avis consultatif ?
Pour faire quoi ? Il est probable que fort de cet avis de la CIJ, Maurice continuera à obtenir le soutien diplomatique de nos alliés traditionnels, à l’Union africaine, au Mouvement des Non-alignés. Soutien stérile ; a la demande de Maurice, 101 États du Mouvement des Non alignés avaient réclamé le respect de la souveraineté de Maurice sur l’Archipel en mars… 1983 ! Vous voyez bien d’où vient mon réalisme.

Sur le plan local, maintenant blanchi, Pravind Jugnauth est-il un aspirant légitime au poste de Premier ministre ?
Mais il est Premier ministre et, personnellement, j’ai toujours considéré qu’il est un Premier ministre légitime pour la bonne raison qu’il «command a majority » à l’Assemblée nationale. Mais la fin de ses déboires juridiques le recrédibilise en quelque sorte, il peut aborder la suite un peu plus sereinement, il devient infiniment plus fréquentable aux yeux des alliés potentiels.

Prenant en compte les casseroles que traîne son gouvernement, possède-t-il un bilan suffisant pour se présenter aux élections en 2020 ? et pourquoi ?
J’ai rarement vu un gouvernement gagner une élection sur son bilan. Celui de Pravind Jugnauth, à ce stade, est tout à fait honorable. Mais cette année 2019, sur le plan économique, est l’année de tous les dangers : la fin du monde sucrier, l’essoufflement du textile, les angoisses hôtelières, le ralentissement de la croissance mondiale. Si à cela le pouvoir continue à produire un scandale par semaine, il aura effectivement à se battre à mort.

Désormais, le MSM attirera davantage d’alliés potentiels. Voyez-vous un remake de 2000 ?
Peut-être que nous devrions prendre nos dirigeants politiques au mot ; ils disent tous vouloir se présenter à l’électorat sans béquilles. Je crois que nous devrions faire semblant de les croire…

Si le MSM veut gagner les élections qui doit-il choisir comme partenaire ?
Vous insistez ! À partir de maintenant, c’est le MSM qui a le plus d’options.

Est-ce « vendable » une alliance MSM-ML et un groupe de dissidents d’un autre grand parti ?
De qui parlez-vous ? S’il s’agit du Mouvement patriotique d’Alan Ganoo, oui, c’est faisable. L’apport du MP, c’est le top-up électoral qui offre la garantie de trois ou quatre sièges supplémentaires aux grands partis qui vont s’entredéchirer.

Est-ce que Pravind Jugnauth peut vendre, à l’électorat, une alliance PTr-MSM-ML ou une nouvelle alliance MSM-ML-PMSD ?
MSM-Travailliste j’exclus totalement. Ramgoolam n’a qu’une ambition, se venger des Jugnauth. Les Jugnauth n’ont qu’un objectif, se débarrasser de Ramgoolam pour de bon.

Pensez-vous que le ML fera partie de la prochaine équation ?
Cela dépend de ce que fera Bérenger.

 

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