
Quand Faiza Najjar s'est enfuie de Gaza pour le Canada l'an dernier, la mère de famille a dû laisser derrière elle quatre de ses dix enfants.
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Impuissante, elle a vu à distance la situation se détériorer dans le territoire palestinien en raison de l'épuisement des stocks alimentaires.
Après plusieurs mois d'efforts pour les sortir de là, la Canado-Palestinienne a pu retrouver en juillet ses quatre filles, toutes âgées d'une vingtaine d'années, et leurs sept petits-enfants, un soulagement cependant vite terni par les moqueries dont elle a fait l'objet.
Des images en ligne de ces retrouvailles à l'aéroport de Toronto ont vite tourné en situation humiliante pour elle. Des comptes pro-Israéliens ont raillé son apparence physique, l'exploitant pour nier la malnutrition de masse observée dans la bande de Gaza.
"En tant que mère, cela m'a vraiment dévastée", confie à l'AFP Faiza Najjar, qui vit depuis un peu plus d'un an en banlieue de Toronto.
Une vidéo virale, ayant été vue plus de 300.000 fois sur différentes plateformes, est à l'origine de commentaires d'internautes qui suggèrent, à tort, que cette femme de 50 ans vient tout juste de quitter Gaza.
"Vous avez vu de quoi a l'air cette femme?", a demandé l'un d'eux, suggérant qu'elle n'était pas sous-alimentée.
L'ONU estime que plus de deux millions de Palestiniens sont menacés d'une "famine généralisée" dans ce territoire dévasté, où Israël est montré du doigt pour contrôler sévèrement l'entrée de l'aide humanitaire. Des images d'enfants palestiniens malades et émaciés ont suscité l'indignation internationale.
L'Etat hébreu nie être à l'origine d'une famine et se disait, fin juillet, non responsable de la pénurie chronique de nourriture.
Les commentaires virtuels auxquels Faiza Najjar et sa famille ont été confrontés s'inscrivent dans une tendance plus large.
Des animateurs de Channel 14, une chaîne de télévision de droite parfois décrite comme étant la version israélienne de Fox News, ont ridiculisé des mères "obèses", accusées de voler la nourriture de leurs enfants.
N'ayant jamais prétendu avoir souffert de la faim à Gaza, Faiza Najjar se dit effondrée de faire partie de cette campagne de désinformation.
"Certaines personnes ont encore l'audace de se moquer d'elles, alors qu'elles ont souffert, tout perdu et frôlé la mort", soupire-t-elle, découragée, en évoquant ses filles. Celles-ci et leurs enfants "couchaient dans des tentes, affamés, sous le bruit des bombes".
Détourner l'attention
Ses petits-enfants ont aussi été pris pour cible sur internet, pour leur corps d'apparence en bonne santé.
Selon Faiza Najjar, sa famille a reçu des soins médicaux et a été nourrie avant de s'envoler pour le Canada.
Pour Mert Can Bayar, un chercheur à l'Université de Washington, les publications ciblant Faiza Najjar ne sont "qu'un élément parmi tant d'autres" qui contribuent à former ce discours en ligne trompeur.
Le mois dernier, la maire de Toronto a retiré d'Instagram une vidéo la montrant en train d'accueillir en sol canadien des Palestiniens en raison des commentaires injurieux formulés contre leur famille.
Encore une fois, l'apparence physique des gens était utilisée pour réfuter les allégations de malnutrition et de famine dans la bande de Gaza.
Plus tôt ce mois-ci, Grok, le robot conversationnel intégré à X, a provoqué une vague de réactions similaires lorsqu'il s'est trompé en affirmant qu'une photo récente de l'AFP, montrant une fillette qui souffre de malnutrition à Gaza, datait de 2018 et avait été prise au Yémen.
Cela rappelle les fausses allégations apparues quelques semaines après le début de la guerre selon lesquelles des Palestiniens auraient mis en scène leurs blessures, fait remarquer Valerie Wirtschafter, chercheuse à la Brookings Institution.
Ce phénomène "détourne l'attention des véritables dommages humanitaires", explique-t-elle.
Quand sa famille était séparée, Faiza Najjar vivait dans la hantise d'apprendre un jour la mort de ses filles.
Même si elles sont aujourd'hui au Canada, ses beaux-fils demeurent eux coincés dans la bande de Gaza, où 227 personnes, dont 103 enfants, sont mortes de la faim selon le ministère de la Santé, sous contrôle du Hamas.
"Je veux juste que le monde sache que la crise est bien réelle", martèle Faiza Najjar. "Le nier serait mortel".
© Agence France-Presse

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