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Jean Claude de l’Estrac : «Face au dépérissement des institutions, tout devient prioritaire et le temps passe vite»

Jean Claude de l’Estrac, journaliste, historien et ancien Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien et observateur, aborde la crise malgache et dresse un parallèle avec Maurice. Un an après l’arrivée au pouvoir de l’alliance du Changement, il souligne qu’un contre-pouvoir semble déjà s’être installé au sein même du gouvernement.

Comment analysez-vous la situation actuelle à Madagascar, marquée par la contestation populaire et la révolte d’une partie de la jeunesse ? Pensez-vous que c’est maintenant un retour à la sérénité et la stabilité?
La situation est très complexe. Elle l’est à plusieurs niveaux : politique et constitutionnel ; social et économique ; peut-être même ethnique. Sur le plan politique, la question encore en suspens à ce stade et celle de savoir si l’agitation des derniers jours a provoqué un coup d’État militaire, ou comme l’affirme le Colonel Randrianirina, le nouvel homme fort, une passation de pouvoir, instituée par la Haute cour constitutionnelle qui en a le pouvoir du fait d’une vacance au sommet de l’État, suite au départ du chef de l’État. Cette version est énergiquement contestée par Andry Rajoelina. Il est conforté par la prise de position de l’Union africaine qui a condamné un « coup d’État militaire ». 

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Quoi qu’il en soit, la situation sociale et économique risque de se dégrader davantage. Le gouvernement malgache dépend, pour une large part de ses dépenses courantes, de l’aide étrangère. Si une suspension de ces aides était décidée par ses partenaires, il faudrait s’attendre à une crise économique majeure et une aggravation de la pauvreté dans un des pays les plus pauvres de la planète. Ce ne sont pas des conditions susceptibles de promouvoir la « sérénité et la stabilité » d’autant plus que certains milieux malgaches donnent une connotation ethnique aux événements. Ceux qui ont pris le pouvoir ne viennent pas du même vivier que ceux qui ont dirigé le pays.

Cette « révolte de la Gen Z » malgache permettra-t-elle des changements profonds sur la Grande île ?
Je ne le crois pas. De toute manière, ce qui se met en place est ce que nous avons déjà connu : un gouvernement de transition dominé par des militaires avec la promesse d’élections à plus ou moins brève échéance. Ce dont Madagascar a besoin dépasse le changement d’hommes. C’est le système qui est gangréné pour deux raisons principales : d’une part une administration hyper centralisée autour de la personne d’un Président qui détient tous les pouvoirs en l’absence de contre-pouvoir ; et comme chacun sait le pouvoir absolu corrompt absolument. Deux réformes me semblent indispensables : une décentralisation de l’administration proche du fédéralisme ; l’institution d’un système parlementaire avec l’élection d’un Premier ministre par le parlement et non plus par la grâce du Président. 

Pensez-vous qu’un mouvement similaire pourrait émerger à Maurice, où une partie de la jeunesse exprime aussi un certain désenchantement ?
Il existe bien des frustrations chez nos jeunes mais leurs revendications n’ont rien à voir avec celle des jeunes Malgaches. Ceux-là étaient dans la rue prêts à tout casser parce qu’ils n’ont rien à perdre. Ce n’est pas la situation de nos jeunes gâtés par l’État-providence et relativement protégés. Nos jeunes réclament un « meilleur » avenir. Les Malgaches recherchent un avenir.

Quelles leçons Maurice pourrait-elle tirer de la crise politique et sociale malgache ?
Nous vivons dans deux planètes différentes. Je ne vois pas la leçon que Maurice devait tirer de la crise malgache. Peut-être l’aversion des peuples pour la corruption. En revanche, je vois ce que l’État malgache pourrait apprendre de Maurice, ce petit pays qui au moment de son indépendance était l’un des pays les plus pauvres de la planète tandis que Madagascar était le centre économique et le foyer culturel de l’Indianocéanie.

Nous sommes à l’aube du premier anniversaire de ce gouvernement. Quel bilan global en tirez-vous ?
Vous voulez le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide ? Je pourrais aisément, dans chaque cas de figure, remplir les colonnes de votre journal. Mais je trouve l’exercice sans intérêt. Ce qui importe c’est de nous assurer que les contre-pouvoirs – contrairement à Madagascar, ils existent chez nous, et ils sont vigoureux – exercent pleinement leur rôle à chaque fois que de besoin. C’est tellement utile qu’au sein même du gouvernement, un contre-pouvoir, sonore s’il vous plait, semble s’être bien installé…

Sur le plan économique, les choses sont-elles bien gérées ?
Vous insistez ! Les réformes économiques, leurs résultats concrets exigent un temps long. Il est trop tôt pour se prononcer. Cela dit, il faut du courage politique pour les entreprendre quand elles ne résument pas à vouloir acheter la paix politique en distribuant un argent qu’on emprunterait et que nos enfants devront payer. De ce point de vue, on devrait saluer la décision du gouvernement d’avoir réformer notre système de pension, une exigence sans cesse repoussée par tous les gouvernements depuis 25 ans. Après on peut regretter la manière. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.

Le fossé entre dirigeants et citoyens continue-t-elle à se creuser ?
Oui, un phénomène mondial. Nous sommes comme dans une fin de cycle politique marquée par l’absence des grands leaders qui savaient mener leurs troupes. Mais peut être aussi que les troupes ce sont plus ce qu’elles étaient. Les politiques vous le diront : fut un temps un électeur interrogeait le politicien pour savoir ce qu’il entend faire pour le pays, aujourd’hui il veut savoir ce que le politicien va faire pour lui…

Quelles réformes institutionnelles ou politiques devraient, selon vous, être prioritaires ?
Face à la déliquescence et le dépérissement des institutions, tout devient prioritaire et le temps passe vite. Mais la principale réforme, celle la plus à même de faire passer le temps à un autre palier, c’est celle de l’instauration de la méritocratie dans toutes les strates de la vie publique :  en politique d’abord, dans l’administration publique, dans le secteur privé. Il n’est pas interdit de rêver.
 

 

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