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Jean Claude de l’Estrac : «C’est la deuxième vente de Diego»

  • La victoire est douce et amère

Si ce n’est pas une braderie, cela y ressemblerait fort. L’observateur politique qu’est Jean Claude de l’Estrac est catégorique : l’accord politique pour la rétrocession des Chagos à Maurice est douteux. Car, l’île principale reste sous contrôle des Britanniques pour 99 ans. Pour lui, on a vendu une nouvelle fois Diego Garcia, les Anglais profitant de la conjoncture électorale poussant Pravind Jugnauth à faire une reddition qui ne dit pas son nom. Le pays a vendu une 2e fois Diego Garcia. 

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Un accord est tombé jeudi sur la souveraineté des Chagos à Maurice. Est-ce une victoire ou alors ce n’est pas gagné comme on pourrait le croire ?

Il faudra attendre de prendre connaissance du libellé du traité annoncé pour se faire une idée précise de l’accord annoncé. Mais d’ores et déjà, on comprend bien qu’il est ridicule de prétendre que le pays a retrouvé sa pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos alors que les négociateurs mauriciens ont accepté que la Grande-Bretagne continuera à exercer des droits souverains sur la principale île de l’archipel. Ce, pour un siècle et même au-delà. C’est la deuxième vente de Diego !

Au fait, la Grande-Bretagne s’installe plus sûrement et plus durablement encore puisque son bail initial avec les États-Unis devait, théoriquement, se terminer en 2066. La constitutionalité de cette cession fera sûrement débat. Toutefois, l’accord annonce deux avancées : le retour de la souveraineté mauricienne sur les autres îles de l’archipel et le principe d’une aide financière de la Grande-Bretagne. Les Britanniques sont circonspects et évitent de parler d’une location, ce qui aurait été le mot juste si le nouveau propriétaire est Maurice. 

Qui compense, les Britanniques ou les Américains ?

Sur cette question de compensation financière, les Américains poussent en avant les Anglais dans une tentative de limiter les prétentions mauriciennes. Ils ont fait le même coup en 1965. Déjà, à l’époque, l’ancien Premier ministre, sir Seewoosagur Ramgoolam, avait souhaité obtenir des Américains le paiement d’un loyer annuel contre la location à bail de Diego. Les Américains avaient refusé en arguant que ce sont les Anglais qui doivent payer même si, en sous-main, ce sont eux qui ont fait les frais de la compensation qui avait été payée.

Le PM parle de décolonisation complète, une 2e indépendance pour le pays. Est-ce vrai?

Je viens de vous le dire, c’est un leurre. Ni les Chagossiens ni les Mauriciens ne retrouveront Diego Garcia de manière permanente. Les Britanniques assureront la sécurité et l’inviolabilité du territoire de la base ad vitam aeternam. Les  Chagossiens ne seront pas admis à Diego sauf pour de courtes visites de propagande. Nous continuons à leurrer ses pauvres Chagossiens. Toutefois, nous pouvons parler d’une souveraineté partagée puisqu’une partie de l’archipel sera rétrocédée à Maurice. C’était déjà prévu. Les Britanniques avaient excisé toutes les îles de l’archipel par « précaution », disaient-ils. 50 ans après, ils ont bien constaté que, hors Diego, les autres îles ne sont pas militairement utiles. Ils les rétrocèdent à Maurice comme ils ont déjà rétrocédé trois des îles du British Indian Ocean Territory aux Seychelles en 1976.

Vous parliez sur Radio Plus jeudi d’une victoire inachevée. Qu’en est-il au juste?

Si le combat mené visait à retrouver la souveraineté du pays sur l’ensemble du territoire mauricien excisé abusivement par la Grande-Bretagne, le maintien de l’autorité souveraine britannique à Diego Garcia, la principale île de l’archipel, à des conditions aujourd’hui inconnues, mais qui seront forcément contraignantes du fait de l’existence de la base militaire, nous pousse à dire que la victoire est douce-amère.

Il y a eu des négociations qui ont perduré des décennies. Et à la fin, justice est-elle faite envers notre nation colonisée?  Expliquez-nous le pourquoi…

Ce combat a été long, il a duré près d’un demi-siècle initié par les Chagossiens qu’on nommait alors « îlois ». J’ai été moi-même porte-parole d’un Comité de soutien aux îlois qui négociait avec sir Seewoosagur Ramgoolam  à la fin des années 70. Ce combat a eu un large retentissement dans la presse aux États-Unis, en Angleterre et ailleurs. Les divers procès faits au gouvernement britannique devant les tribunaux de Londres par Olivier Bancoult, les victoires obtenues par les gouvernements de Maurice devant des instances internationales n'ont pas cessé de fragiliser la diplomatie britannique qui se gargarise du respect du droit international en d’autres circonstances. Sa position devenait intenable. Londres a donc négocié, mais en préservant l’essentiel des intérêts anglo-américains face à des négociateurs mauriciens prêts à signer pour des raisons qui n’ont strictement rien à voir avec la géopolitique.

Les Anglais ont profité de la conjoncture électorale pour obtenir de Pravind Jugnauth une véritable reddition qui ne dit pas son nom"

Pour beaucoup, c’est un grand ouf, alors que d’autres c’est le génie anglais qui mène la danse, ce pour 99 ans et un bail renouvelable… On est bien parti pour des décennies encore ?
Pour aussi longtemps que les Américains identifieront des menaces militaires réelles ou fictives…

On fête quoi après cet accord résolument politique ? 

Qui est « on » ? À l’exception des citoyens fanatisés, je n’ai pas l’impression que les Mauriciens avertis ont envie de « fêter ». Ils ne sont pas dupes même s’ils ne sont pas toujours au fait des considérations géopolitiques. J’ai lu, par exemple, des références à l’Inde qui indiquent que beaucoup de Mauriciens ne mesurent pas combien l’Inde de Modi est aujourd’hui un proche allié des Américains au point que les navires de guerre indiens mouillent désormais dans le port de Diego Garcia. Leur intérêt commun, c’est la méfiance de la Chine et son « intrusion » militaire dans l’océan Indien. La mention de l’Inde dans le communiqué américain n’est pas anodine.

Aura-t-on un regard ou il sera imposé par les Britanniques ?

On n’en sait rien à ce stade. En principe, un traité est négocié entre les parties. Qui seront-ils le moment venu ? Quand le moment sera-t-il venu ? Tout est flou. On voit bien qu’il y a eu précipitation dans cette affaire et que Maurice, pour des raisons de politiques internes, a peut-être négocié en position de faiblesse. Les Anglais ont profité de la conjoncture électorale pour obtenir de Pravind Jugnauth une véritable reddition qui ne dit pas son nom.

Sur cette question de compensation financière, les Américains poussent en avant les Anglais dans une tentative de limiter les prétentions mauriciennes"

Est-ce que cet accord pourrait jouer en faveur du MSM, de PKJ et de ses alliés durant la campagne électorale qui pointe le bout de son nez ?

Il est certain que l’alliance gouvernementale et Pravind Jugnauth, en particulier, vont tenter de capitaliser sur ce qu’ils présenteront comme une victoire. Mais comme c’est une interprétation très contestable, il n’est pas interdit de penser que l’affaire puisse se retourner contre eux. 

Vous disiez que le MSM est en avance dans les sondages, avant l’accord politique sur les Chagos. L’opposition avance le contraire. Which is which please ?

Je parle d’une impression, et je ne suis pas le seul à l’avoir. Mais je sais aussi que l’opposition, quand elle est sur le terrain, rapporte un tout autre sentiment. Ce qui semble indiquer que la joute pourrait être serrée même si l’Alliance de l’opposition pense le contraire en se basant sur l’accueil que reçoivent ses candidats sur le terrain.

  • salon

     

 

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