Interview

Jacques Malié : «Il n’y a pas de système éducatif miracle»

À la veille de la rentrée scolaire, l’ancien recteur du collège Saint-Esprit et pédagogue, Jacques Malié, aborde l’introduction du 9-Year Schooling. Pour lui, le principal atout de ce nouveau système est l’abolition du CPE.

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La rentrée scolaire est cette année marquée par l’introduction du Nine-Year Schooling. Est-ce le système qu’il faut ?
Aucun système n’est parfait et aucun système ne pourra satisfaire tout un chacun. Il n’y a pas de système miracle – encore moins dans le domaine de l’éducation qui est en pertpétuelle évoluion. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe partout quand on introduit des changements.

Quels sont les atouts de ce nouveau système ?
Indéniablement, les principaux atouts demeurent l’élimination du Certificate of Primary Education (CPE), un examen qui a été maintes fois décrié à cause de la compétition à outrance, la pression constante exercée sur les tout jeunes, sans compter l’égo exacerbé des adultes à travers la réussite à cet examen. Il est à penser qu’il y aura moins de stress sur l’élève. Le système verra l’introduction de nouvelles matières autres qu’académiques et comporte beaucoup d’innovations (IT, musique etc.) et l’évaluation des sujets selon un système modulaire.

Et les failles ?
Il y a bien sûr des risques de faiblesse. Tout dépendra du professionnalisme des instituteurs et de leur volonté à vouloir changer, à s’occuper des plus faibles. On parle de rattrapage sans trop savoir comment cela se fera et des support teachers qui seront formés. Au-delà de tout cela, il faut tenir compte des facteurs comme le temps alloué à l’enseignement de toutes ces matières sans en occulter les core subjects et le problème d’espace.

« Il est à penser qu’il y aura moins de stress sur l’élève. Le système verra l’introduction de nouvelles matières autres qu’académiques et comporte beaucoup d’innovations. »

Quid des appréhensions quant à la capacité du ministère à mettre en pratique le Nine-Year Schooling ?
Je ne vois pas la relation. Le ministère a été le principal instigateur du projet. Il lui appartient bien sûr de superviser et de veiller à sa mise en œuvre, mais sa réussite dépend de toutes les parties concernées (stakeholders). Des craintes subsisteront par exemple sur la fiabilité et la validité des évaluations ou sur le soutien à apporter aux plus faibles.

Une approche plus holistique qu’académique, dans le concret qu’est-ce que cela va changer ?
Le nouveau système prône une ouverture vers d’autres matières, d’autres activités en favorisant l’art, la culture, le sport (même si cela est loin d’être suffisant). Dans l’idéal, il est attrayant, mais pour cela, il faudrait un juste équilibre. J’ai bien peur qu’en maintenant les mêmes horaires scolaires, on ne trouve pas le temps ou qu’on néglige certaines matières principales. On souhaiterait tous voir des enfants enfin épanouis.

Avons-nous les ressources nécessaires pour faire de cette réforme un succès ?
Les ressources financières nécessaires sont promises. Mais plus important encore, en matière d’éducation, demeurent les ressources humaines. Nous aimons à dire que Maurice est reconnu pour cela. Il faut que les principaux acteurs dans le domaine de l’éducation, les enseignants, adoptent un nouveau mindset, fassent encore plus appel à leur sens du professionnalisme et du dévouement. Sans parler de la nécessité d’une formation sans cesse renouvelée. Est-ce que nos instituteurs, par exemple, sont préparés pour cette grande réforme ?

Y-a-t-il autre chose à faire concernant les infrastructures dans les établissements scolaires ?
Certainement, nos institutions manquent cruellement d’espace et d’aménités. Il nous faut plus de salles spécialisées, plus d’aires de jeu pour la pratique sportive.  Il nous faut revoir le pupil-teacher ratio, ce qui sous-entend plus de salles de classe. Alors pourrons-nous parler d’attention particulière, de situation où l’élève sera vraiment au centre de nos préoccupations. Mais Rome n’a pas été construit en un jour.

On mise aussi sur la participation et la confiance en soi de l’enfant. Comment faire pour que chaque enfant trouve sa voie et développe ses aptitudes ?
La question a été partiellement répondue avec l’attention particulière à lui accorder, mais nous aimons dire que l’enfant est doté d’intelligences multiples. Il faut donc apprendre à le connaître, à l’accompagner individuellement, à multiplier les rencontres parents-profs.  Les parents doivent jouer leur rôle de premiers éducateurs en se montrant plus concernés et en assurant le suivi à la maison. Encore une fois, le facteur temps et la formation des instituteurs se révèleront déterminants.

Les tentations d’abolition du CPE ne datent pas d’hier et pourtant cette fois, l’introduction de ce nouveau système a été comme un couteau dans le beurre. Comment expliquer cela ?
Je ne crois pas que la partie a été aussi facile que cela.  De plus, elle est loin d’être gagnée. Il faut, cependant,  admettre qu’il y a eu un concours de circonstances favorables. D’abord une volonté politique. Personne pour torpiller le projet de l’intérieur, moins de lobbies… Donc Madame la ministre a eu les coudées franches. Elle a su faire preuve de volonté et de détermination. Et puis, au fil des années, de nombreux parents et autres pédagogues n’ont cessé de décrier le système du CPE comme étant injuste et cruel. Il y a donc eu quasi- unanimité et on s’est dit : « Let’s give the new system a chance. » Il y a eu aussi – même un peu tardivement – un bon exercice de communication du ministère et pas d’objection majeure de la part des partenaires de l’éducation. Ceci dit, il perdure encore un expectative mood.

Il n’y a plus d’examen de fin de cycle… Cependant, les collèges ne sont pas tous du même niveau. Cela ne va-t-il pas générer une compétition ?
C’est là où le bât blesse. Les parents ne sont pas encore suffisamment informés, donc ils ne sont pas encore conscients du mode d’admission dans les institutions secondaires en Grade 7 en 2018. Ajouté à cela, ils ne pourront se tourner vers les collèges classés ‘académies’. Il y a beaucoup de disparités parmi les établissements du cycle secondaire et le risque de mécontentement au sujet de l’allocation des places est bien réel.

Collèges régionaux, académies… Cette formule répond-elle aux attentes de la société mauricienne actuelle ?
Cette formule dans les grandes lignes a déjà été proposée. Dans certains cas des collèges avaient été créés à des fins techniques et professionnelles, par exemple tournés vers l’agriculture, la formation etc., mais à chaque fois nous avons fait marche arrière, privilégiant l’académique. Il nous faut regarder vers l’avenir et penser à une formation préprofessionnelle. De plus, les élèves doivent être informés suffisamment tôt sur les perspectives de carrière. Il faut surtout combattre  certains préjugés qui veulent faire croire que tous doivent avoir des visées universitaires et de préférence à l’étranger. Il y a là un véritable chantier.

Selon certains, l’avenir des collèges privés est menacé. Partagez-vous cet avis ?
Pas nécessairement. Il ne faut jamais oublier le rôle prépondérant joué par les écoles privées dans l’histoire de l’éducation à Maurice et il faut leur donner toutes les chances afin qu’elles continuent à exister.  Ceci dit, l’école doit apprendre à se réinventer, à faire régulièrement son auto-critique afin de se corriger et toujours s’améliorer.  L’humain est trop souvent réfractaire au changement. Il faut, selon moi, s’adapter, mais pas démanteler.

 

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