
En dépit de l’existence de traitements efficaces, la hausse des nouveaux cas de VIH en 2024 révèle un problème persistant de discrimination dans le système de santé. Sharon, parajuriste chez Pils, témoigne des préjugés qui découragent les personnes séropositives de suivre leurs traitements.
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Cela fait vingt ans que Sharon vit avec le VIH. Deux décennies à conjuguer résilience personnelle et combat de terrain, aujourd’hui en tant que parajuriste chez l’ONG Pils. Mais son constat est sans appel : malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation, les vieilles peurs ont la vie dure. La discrimination et la stigmatisation persistent, ravageant les esprits autant que le virus lui-même. Et ce, alors même que les chiffres officiels indiquent une recrudescence inquiétante des cas : 549 nouvelles infections ont été recensées en 2024, en hausse par rapport à 2023.
« Je suis horrifiée de constater que le nombre de cas de VIH/Sida augmente », lâche-t-elle, visiblement bouleversée. Pour cette travailleuse de terrain, la situation est d’autant plus incompréhensible qu’elle est au cœur des actions de sensibilisation. « Il n’y a pas que Pils, plusieurs ONG ont mené des campagnes… Alors je me demande : où vont ces informations qu’on diffuse ? » s’interroge-t-elle. Selon elle, l’indifférence semble s’être installée, notamment chez les plus jeunes. « Ils sont insouciants vis-à-vis de la maladie. Et ça fait peur. »
Au fil des années, Sharon a accompagné des centaines de patients dans les centres de santé. Elle est le témoin direct de comportements choquants et discriminatoires à l’égard des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). « Certains médecins et infirmiers enfilent plusieurs gants avant de toucher un patient. C’est flagrant : ils manquent d’information sur les modes de transmission. »
Un simple regard peut détruire quelqu’un. L’envie de se battre s’éteint»
Plus grave encore : des patients sont systématiquement relégués au dernier lit de la salle, isolés, invisibilisés. « Ceux qui peuvent marcher ont un peu de chance. Mais ceux qui restent alités… On ne les baigne pas, on ne change pas leurs couches. Comme si les toucher suffisait à les contaminer. » Elle ne s’explique pas comment, après autant de campagnes de sensibilisation sur le VIH et ses modes de transmission, il y a encore une méconnaissance sur la maladie.
Ces scènes, Sharon les vit encore trop souvent. Et malgré les signalements, rien ne change. « On dénonce ces traitements à l’administration, on nous promet d’agir… mais c’est toujours pareil. À croire qu’ils ont les oreilles bouchées. » Pire, confie-t-elle, une fois les représentants d’ONG repartis, certains membres du personnel reprennent leurs mauvaises habitudes. « C’est aberrant. »
Reprendre tout à zéro
Alors pour elle, il faut reprendre tout à zéro. Revoir la formation des médecins, infirmiers, aides-soignants, dès la base. « Il faut leur inculquer ce qu’est vraiment le VIH, et surtout, comment il se transmet. Il n’y a que trois modes de transmission : de la mère à l’enfant pendant la grossesse, lors d’un rapport sexuel avec une personne infectée, ou par le partage de seringues souillées. » Rien d’autre. Et pourtant, cette réalité semble encore mal comprise, même dans les milieux médicaux.
Une femme enceinte vivant avec le VIH peut, si elle suit bien son traitement, ne pas transmettre le virus à son enfant. Et aujourd’hui, grâce aux traitements, une personne séropositive peut devenir indétectable, donc non transmissible. « Malgré ces avancées, l’insouciance persiste », regrette Sharon.
Elle parle d’un cercle vicieux : les patients qui veulent suivre leur traitement se heurtent à une discrimination et une stigmatisation tellement violentes qu’elles les découragent. « Dès qu’ils annoncent leur statut, c’est à la courte paille qu’on choisit qui va les ausculter, qui va leur faire une injection ou un pansement. » Et cette violence, souvent muette, va jusqu’au regard. « Un simple regard peut détruire quelqu’un. L’envie de se battre s’éteint. »
Certains médecins et infirmiers enfilent plusieurs gants avant de toucher un patient. C’est flagrant : ils manquent d’information sur les modes de transmission»
Le poids du secret est un fardeau que beaucoup portent seuls. Rares sont ceux qui osent parler de leur statut, même à leur entourage. « Ils craignent le rejet, les jugements. Certains n’osent même pas se faire dépister. Ils ont peur d’être vus dans les caravanes de dépistage, du qu’en-dira-t-on. » C’est d’ailleurs pourquoi Sharon pense que le nombre de cas est plus élevé que les statistiques officielles.
Et Sharon en est convaincue : « Le VIH ne tue pas. Ce sont la stigmatisation et la discrimination qui tuent à petit feu ceux qui sont infectés, car ils ne veulent pas entrer dans le programme de traitement. » Pour elle, il est inadmissible qu’en 2024, des personnes meurent encore du sida alors que les traitements permettent de vivre normalement, et sans risque de transmission.
Pour casser le cercle de la peur et de l’ignorance, Sharon plaide pour une toute nouvelle approche. « Il faut relancer les campagnes de sensibilisation, notamment sur les réseaux sociaux. Et repenser le langage utilisé. » À ses yeux, la prévention doit commencer dès le plus jeune âge, dès le pré-primaire, avec un discours adapté. « Il faut aussi toucher les parents. Un parent informé, c’est toute une famille éduquée. Le VIH ne devrait plus être un sujet tabou. » Elle en appelle aux autorités pour faciliter l’accès aux établissements scolaires afin de mener ce travail d’information pour que les jeunes puissent se protéger.
Si Sharon est aussi déterminée, c’est parce qu’elle a elle-même traversé l’enfer. Licenciée d’une entreprise privée à cause de sa séropositivité, elle a connu une période de turbulences avant de se relever : « J’ai choisi de vivre malgré tout ma vie. »
Appui légal ou médical
Aujourd’hui Outreach worker chez Pils, elle accompagne les patients à l’hôpital, les aide à se réengager dans le soin, assure leur suivi et les oriente vers des centres spécialisés si nécessaire. En tant que parajuriste, elle va aussi à la rencontre des populations clés : usagers de drogues injectables, travailleuses du sexe… Elle écoute, soutient, informe et apporte un appui légal ou médical lorsque c’est nécessaire.
Son action s’étend également à la prévention auprès des personnes séronégatives, certaines étant placées sur un programme de prophylaxie pré-exposition (PrEP), tandis que celles déjà infectées sont mises sous traitement.
Sharon est cette voix lucide, celle qui dit les choses sans détour. Elle est surtout celle qui continue à croire, malgré tout, qu’un changement est encore possible.

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