
Malgré l’info en ligne et les campagnes de prévention, le VIH reste flou pour beaucoup de jeunes. Quatre jeunes femmes engagées témoignent, entre lacunes, fausses croyances et désir de mieux comprendre. Un éclairage essentiel sur ce que la jeunesse retient – ou pas – d’un sujet toujours trop tabou.
Lakshita Bajnathsing : « Il faudrait plus de discussions en classe »

Pour Lakshita Bajnathsing, le constat est sans détour : l’information sur le VIH destinée aux jeunes reste trop superficielle. « On a quelques infos à l’école, mais c’est souvent rapide », confie-t-elle.
Si elle connaît les bases – la transmission par le sang ou les rapports non protégés, l’existence de traitements –, elle reconnaît volontiers que ces notions restent parcellaires. Est-elle au courant des derniers chiffres concernant les nouveaux cas enregistrés ? « Non, je ne connais pas les chiffres de 2024. Je crois qu’il y a encore pas mal de nouveaux cas chez les jeunes », admet-elle. Une remarque qui souligne l’écart entre la réalité épidémiologique et la conscience du risque.
Comme nombre d’adolescents et de jeunes adultes, Lakshita évolue dans un univers numérique où l’information circule à toute vitesse – au risque de se brouiller. Lui est-il déjà arrivé d’entendre des informations sur le VIH et de se demander si c’était vrai ou pas ? « Oui, surtout sur les réseaux. Parfois, les gens disent n’importe quoi », déplore-t-elle.
Face à cette désinformation persistante, elle a développé un réflexe salutaire : « Si je veux vérifier, je vais sur des sites comme celui de PILS, ou je demande à quelqu’un qui s’y connaît, comme une prof. » Une démarche encore trop rare dans son entourage, où les fake news continuent de prospérer.
Et qu’en est-il du regard porté sur les personnes vivant avec le VIH ? Sont-elles traitées comme les autres dans la société mauricienne ? Lakshita ne mâche pas ses mots. « Pas toujours. Il y a encore de la peur et des jugements », affirme-t-elle.
Pour elle, c’est clair : il faut renforcer l’éducation et, surtout, l’humaniser. « On devrait en parler plus dans les écoles et montrer que ce sont des personnes comme les autres. » Elle rappelle également que les avancées médicales permettent aujourd’hui de vivre une vie pleinement normale avec le virus – un fait encore trop ignoré.
Sa prise de parole traduit une lucidité frappante sur les manquements du système éducatif. Oui, l’information existe. Mais trop souvent, elle est transmise de manière décousue, sans temps ni engagement. « Ce serait bien qu’on ait plus de discussions en classe, avec des intervenants. Pas juste un chapitre vite fait en SVT (NdlR, Sciences de la vie et de la terre) », propose-t-elle. Ce qui manque, selon elle : de la continuité, de l’espace pour échanger, pouvoir poser des questions, comprendre sans peur d’être jugé.
En somme, Lakshita Bajnathsing incarne cette jeunesse qui veut comprendre, mais qui reste souvent seule face au flou. Son appel à une éducation plus humaine et plus ancrée dans la réalité résonne comme un levier indispensable pour briser les silences, dissiper les malentendus et bâtir une prévention plus efficace pour demain.
Adithi Dookhy : « Des idées fausses persistent »

À l’heure où l’accès à l’information n’a jamais été aussi vaste, on pourrait croire que les jeunes générations sont mieux armées face au VIH. Et pourtant… Adithi Dookhy, étudiante et citoyenne engagée, constate chaque jour les limites de cette accessibilité. « Les jeunes d’aujourd’hui ont globalement accès à des informations sur le VIH, mais des lacunes importantes persistent dans leurs connaissances », affirme-t-elle.
Un paradoxe flagrant, selon elle : malgré des décennies de mobilisation autour du virus, certaines idées fausses continuent de circuler sans filtre. « Beaucoup pensent encore qu’il existe un vaccin ou que le VIH se transmet par un simple contact », regrette-t-elle. Une confusion alimentée, selon elle, par le manque de clarté dans la manière dont le sujet est abordé — que ce soit à l’école ou dans les médias grand public.
La prolifération des fausses informations, souvent véhiculées par les réseaux sociaux ou des discussions banalisées, contribue à brouiller davantage les repères. À cette désinformation s’ajoute une réalité épidémiologique bien concrète. « À Maurice, l’épidémie reste préoccupante, avec plus de 500 nouveaux cas recensés en 2024 », rappelle-t-elle, chiffres officiels à l’appui. Un signal d’alerte qui, pour Adithi, nécessite un véritable sursaut collectif.
Face à ce constat, elle insiste sur l’importance capitale de s’appuyer sur des sources fiables. « Face à la désinformation, il est essentiel de privilégier des sources officielles comme les organismes de santé publique », souligne-t-elle. Parmi ses repères : les rapports de l’Organisation mondiale de la santé, les données du ministère de la Santé, ou encore les ressources de l’ONG PILS, engagée depuis des années sur le terrain.
Mais au-delà des chiffres et des faits scientifiques, c’est le regard porté sur les personnes vivant avec le VIH qui interpelle la jeune femme. « La stigmatisation constitue un défi majeur », lance-t-elle sans détour. Elle évoque des cas de discriminations dans les soins, à l’école, au travail, ou même au sein des familles. « Beaucoup préfèrent taire leur statut, de peur d’être mis à l’écart », déplore-t-elle.
Pour faire évoluer les choses, Adithi plaide pour une réponse globale et structurée. Oui, l’éducation est essentielle, mais elle doit aller plus loin que de simples interventions sporadiques. Elle milite pour une véritable stratégie intégrée, avec un renforcement de la sensibilisation en milieu scolaire et un accès facilité au dépistage. « Et pourquoi ne pas inclure les témoignages de personnes concernées dans les séances d’information ? Cela permettrait de briser les tabous et de créer de l’empathie », propose-t-elle.
Son analyse est claire : la lutte contre le VIH ne peut se résumer à une campagne de communication. Elle doit s’inscrire dans une transformation en profondeur des mentalités. « Le respect, l’information et la solidarité sont les trois piliers sur lesquels on peut espérer construire une société moins stigmatisante », conclut-elle.
Nawsheen Sakhabuth : « Il faut briser le silence »

« Les jeunes ne sont pas assez informés sur le VIH/Sida. » Pour Nawsheen Sakhabuth, jeune femme engagée dans le domaine social, le constat est sans appel. Et ce, malgré des décennies de campagnes menées à travers le monde et à Maurice. Le sujet reste encore trop souvent tabou, particulièrement à l’école ou dans les familles. « L’éducation sur la maladie en elle-même n’existe pas. On évoque parfois le sujet en classe, mais sans entrer dans les détails essentiels », déplore-t-elle.
Face à cette réalité, elle plaide pour une refonte en profondeur de l’éducation à la santé sexuelle. « Il faudrait mettre en place un programme sur mesure et adapté pour ceux vivant avec le VIH/Sida, mais aussi pour les jeunes en général. Un programme qui tienne compte de la réalité locale, de la culture et du vécu de chacun. » Ce programme, selon elle, devrait inclure des séances d’information régulières, mais également des espaces d’échange. « Il est grand temps de mettre en place un lieu d’écoute, où les jeunes puissent poser leurs questions sans être jugés. »
Autre maillon faible de la chaîne : l’accompagnement psychologique, bien trop souvent négligé. « Trop souvent, les personnes concernées n’ont personne vers qui se tourner. Le soutien psychologique est absent ou insuffisant, alors qu’il est fondamental pour vivre dignement avec le virus », souligne-t-elle. Et cette carence, loin d’être anodine, vient s’ajouter à une stigmatisation toujours bien présente. « À l’école, au travail ou dans les soins, il existe encore beaucoup de peur et de préjugés. »
Pour Nawsheen, il est temps de repenser les stratégies de lutte contre le VIH. Elle s’interroge d’ailleurs sur l’efficacité des campagnes actuelles, qu’elle juge trop ponctuelles ou mal ciblées. « Il faut revoir les méthodes, que ce soit au niveau du ministère de la Santé ou des ONG. On ne peut plus se contenter de distribuer des brochures ou d’organiser des journées thématiques. Il faut aller plus loin. »
Parmi les pistes qu’elle évoque : un encadrement renforcé des jeunes, l’intégration systématique de l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires, mais aussi des actions de terrain plus fortes. « Les campagnes de prévention devraient aborder sans détour les vrais sujets : l’échange de seringues, les rapports non protégés, les réalités des jeunes marginalisés. » Et pour cela, un langage direct et inclusif s’impose, loin des approches moralisatrices encore trop répandues.
Elle insiste aussi sur la place essentielle des ONG, à condition qu’elles soient réellement soutenues. « Certaines structures font un travail remarquable, mais elles manquent souvent de moyens ou de reconnaissance. Il faudrait renforcer les partenariats entre les acteurs institutionnels et les associations de terrain. »
Pour Nawsheen, le changement passe avant tout par une évolution des mentalités. « On ne peut pas prétendre lutter efficacement contre le VIH si la société continue à détourner le regard. Il faut briser le silence, parler ouvertement de la maladie, et créer un environnement de confiance, pour que chacun puisse accéder à l’information, à la prévention et au respect. »
Émilie Soogund : « Sans éducation sexuelle complète, les chiffres continueront d’augmenter »

Pour Émilie Soogund, travailleuse sociale et militante au sein de Nouveaux Démocrates, le constat est clair : la sensibilisation des jeunes sur le VIH reste dramatiquement insuffisante à Maurice. « Tout ce que je sais sur le sujet, je l’ai appris à mon cours de FirstAid, via Internet ou dans le cadre de mon travail social. À l’école, on n’a pas d’éducation sexuelle vraiment complète », confie-t-elle. Une formation trop souvent réduite à des interventions sporadiques, théoriques, qui n’atteignent ni l’efficacité, ni la profondeur nécessaires.
Cette carence, selon elle, laisse la porte grande ouverte à la désinformation. « Beaucoup de jeunes ont encore des idées dépassées. Certains pensent qu’on peut attraper le VIH en partageant un verre, d’autres croient que seules les personnes homosexuelles ou les usagers de drogues sont concernées », déplore-t-elle. Autant de stéréotypes qui entretiennent la stigmatisation, tout en donnant aux autres un dangereux sentiment d’invulnérabilité.
Les chiffres, eux, parlent d’eux-mêmes. « À Maurice, on comptait environ 9 109 personnes officiellement recensées comme vivant avec le VIH à fin septembre 2024, dont 117 enfants », précise-t-elle. Des données qui, pour Émilie, devraient sonner l’alarme. « Ces 117 enfants séropositifs soulignent l’urgence d’enseigner très tôt ce que sont le VIH et sa prévention. »
Si elle salue l’introduction récente des autotests, elle insiste : sans accompagnement éducatif et psycho-logique, ces outils resteront sous-utilisés, voire mal compris. Les idées reçues ont la vie dure, dit-elle, en s’appuyant sur les discours sur les réseaux sociaux ou lors de conversations informelles. « Certains affirment encore qu’il existe un vaccin, ou que le VIH n’est plus un problème aujourd’hui grâce aux médicaments. D’autres pensent qu’on ne risque rien si on a une seule relation. » Pour s’informer, Émilie se tourne vers des sources fiables : les ONG comme PILS ou Lakaz A, les publications du ministère de la Santé ou encore celles de l’OMS.
Que pense-t-elle du regard de la société envers les personnes vivant avec le VIH ? « Non, elles ne sont pas traitées comme les autres. Elles subissent encore trop de stigmatisation », tranche-t-elle. Dans les écoles, sur le lieu de travail, ou même dans les établissements de santé, les discriminations sont bien réelles. Pourtant, des lois existent – la HIV and AIDS Act de 2006 ou encore l’Equal Opportunities Act de 2008 –, mais elles sont mal connues, mal appliquées, ou simplement ignorées.
Pour faire bouger les lignes, Émilie plaide pour une éducation sexuelle complète, inclusive et adaptée dès le plus jeune âge. Mais aussi pour un changement de posture sociétale. « Il faut donner la parole aux personnes concernées, les écouter, les inclure dans les prises de décision. C’est un impératif démocratique. »
Jeune, engagée et politisée, elle porte une vision claire : celle d’une société où l’égalité des droits et la dignité humaine ne s’arrêtent pas à un diagnostic. « Ensemble, faisons tomber les barrières de la stigmatisation et construisons une société plus juste, plus solidaire. »

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