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Importations pour la fin d’année : la forte demande de devises étrangères engendre une pénurie sur le marché des changes

Selon les observateurs et analystes, malgré les interventions répétées de la BoM, la pénurie de devises persiste.
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Depuis le mois de juin, les importateurs mauriciens se préparent activement pour les achats de fin d’année. Cette période, cruciale pour le commerce, engendre une demande accrue de devises étrangères, nécessaires pour financer les importations massives de biens de consommation. Cependant, la situation a pris une tournure préoccupante : une pénurie de devises étrangères sévit sur le marché, malgré les diverses interventions de la Banque de Maurice.

Les préparatifs pour les fêtes de fin d’année ont débuté plus tôt cette année en raison du retard que prennent les bateaux pour venir à Maurice. Ainsi, les importateurs commencent déjà à passer leurs commandes à l’international pour garantir des stocks suffisants pour la période festive. Que ce soit pour des produits électroniques, des vêtements, des jouets ou encore des denrées alimentaires, la majorité de ces biens sont importés, nécessitant l’achat de devises étrangères pour régler les fournisseurs. La demande pour les monnaies étrangères est particulièrement élevée en cette période de l’année, confie un cambiste. « Les importateurs ne souhaitent pas prendre de risques. Ils préfèrent passer leurs commandes plus tôt pour pouvoir recevoir leurs marchandises d’ici novembre.

Par conséquent, il y a une très forte demande pour certaines devises, notamment le dollar et l’euro », explique notre interlocuteur. Par ailleurs, ce dernier affirme que le fret des conteneurs en provenance de la Chine a récemment connu une baisse. « Ainsi, les importateurs en profitent pour effectuer leurs achats de fin d’année dès maintenant », avance-t-il.

Un analyste financier abonde dans le même sens. Il explique que « d’une part les importateurs cherchent des montants importants pour réaliser les achats de fin d’année, et d’autre part, les particuliers se préparent pour les vacances à l’étranger ». En outre, de nombreuses entreprises qui reçoivent des paiements en euros, tels que les hôtels, les entreprises textiles, et celles du secteur du « global business », ne les convertissent pas en roupies en raison des anticipations d’un affaiblissement supplémentaire de la monnaie locale.

Les importateurs préfèrent passer leurs commandes plus tôt pour pouvoir recevoir leurs marchandises d’ici novembre. Par conséquent, il y a actuellement une très forte demande pour certaines devises, notamment le dollar et l’euro"

Baisse de confiance envers la roupie

Alex
Alexandre Sanchini, 
CEO de Blue Ship Capital.

De son côté, Alexandre Sanchini, CEO de Blue Ship Capital, affirme que depuis quelques mois, il est difficile de se procurer des devises étrangères. « Les banques commerciales ne sont très souvent pas en mesure de fournir aux clients les devises qu’ils demandent, même si cela arrive de temps en temps », dit-il. En effet, il précise que les demandes de devises sont classées par ordre de priorité : raisons de santé, études, importations et enfin les requêtes de particuliers ou d’investisseurs considérées comme moins urgentes. Selon lui, la pénurie actuelle touche surtout les devises fortes, notamment l’euro, le dollar et la livre sterling.


Cedric
Cédric Béguier, Head of Investment Strategy chez AXYS.

Une opinion que partage Cédric Béguier, Head of Investment Strategy chez AXYS. D’après lui, la dichotomie entre la réalité économique et le manque de devises s’explique en grande partie par une perte de confiance envers la roupie. Cela affecte le rôle de la Banque centrale en tant que garante de la stabilité financière. « Il semblerait que la thésaurisation soit une pratique de plus en plus courante parmi les différents acteurs économiques », observe-t-il. « Conscients de l’érosion de la valeur de la roupie à la suite de la forte inflation que nous traversons, les acteurs économiques et les ménages sont contraints à plus de dépenses et, de ce fait, ont moins épargné ou alors, ils cherchent des rendements plus attrayants en devises étrangères », fait-il ressortir.


235 millions de dollars injectés depuis janvier

En dépit des interventions répétées de la BoM, la pénurie de devises persiste. Alexandre Sanchini avance que, depuis le début de 2024, la Banque a injecté 235 millions de dollars (environ Rs 11 milliards) sur le marché des changes. Malgré tout, la situation est toujours la même, et pour Alexandre Sanchini, cela soulève des questions sur la pérennité de ce mécanisme. « Cette mesure soulage le marché temporairement, mais ne résout pas le problème de pénurie de devises », souligne-t-il. Cédric Béguier est du même avis. D’après ce dernier, malgré de nombreuses tentatives de la BoM pour maintenir une certaine disponibilité des devises étrangères sur le marché des changes, la machine paraît grippée. « Pourtant, sur le papier, tout semble s’améliorer : les investissements directs étrangers sont faibles, mais de retour. Les différents secteurs économiques pourvoyeurs de devises connaissent une reprise, à l’image du secteur touristique qui affiche des chiffres proches de ceux d’avant-Covid (en nombre d’arrivées), et enfin, l’inflation est en baisse (en glissement annuel) », indique-t-il.

La BoM interviendra si les conditions l’exigent 

Depuis mars 2020, la Banque de Maurice a vendu 4,3 milliards de dollars sur le marché pour répondre à la demande et limiter la volatilité. Depuis le début 2024, elle a injecté 235 millions USD, dont 230 millions à partir de juillet. Elle intervient chaque semaine depuis le 8 juillet et continuera si les conditions du marché l’exigent. La BoM surveille attentivement le marché et prendra toutes les mesures nécessaires jugées appropriées.

Questions à…

Kugan Parapen, économiste : «le manque de devises étrangères a refroidi de manière importante la volonté des étrangers à investir chez nous»

Kugan

Plusieurs entreprises et particuliers déplorent une grande pénurie de devises étrangères sur le marché actuellement. Quelle est la véritable situation et quelles en sont les causes ?

C’est effectivement le cas. Cette situation date de plusieurs mois et tout le monde qui évolue dans ce marché vous dira que c’est loin d’être normal. Comme toute pénurie, les causes sont forcément liées à l’offre et la demande. D’emblée, on ne peut que constater l’ampleur du déficit commercial qui devrait avoisiner les Rs 200 milliards en 2024, soit autour de 30 % du PIB. Donc, l’économie mauricienne est structurellement déficitaire en matière de devises étrangères. À cela, il faut rajouter la perte de confiance profonde des Mauriciens, incluant les entreprises en la devise locale. Aujourd’hui le phénomène de « hoarding » a pris beaucoup d’ampleur, avec ceux qui détiennent des devises étrangères refusant de les convertir en roupies, sauf en cas de nécessité. En conclusion, la pénurie des devises est un mélange de causes naturelles et artificielles. C’est très inquiétant pour le pays et son économie.  

La pénurie des devises est un mélange de causes naturelles et artificielles. C’est très inquiétant pour le pays et son économie"

Quelles sont les conséquences d’une pénurie de devises sur l’économie locale ?

Elles sont multiples. Premièrement, plusieurs importateurs n’arrivent pas à trouver des devises à temps pour financer leurs importations, engendrant des retards dans la chaîne d’approvisionnement. Pour compenser le manque à gagner, certaines entreprises vont revoir à la hausse les prix proposés et cela aura un effet inflationniste. Deuxièmement, le manque de devises a vu l’émergence d’un marché parallèle. Il faut dire que certaines banques commerciales n’hésitent pas à adopter des pratiques malsaines, telles que le « forward pricing ». Malheureusement, encore une fois, c’est la population qui subira la cherté de ce marché parallèle. Finalement, le manque de devises étrangères a considérablement refroidi la volonté des investisseurs internationaux à investir chez nous. Pour la bonne et simple raison qu’on ne va pas mettre son argent dans une juridiction où on sait d’avance qu’on rencontrera des difficultés à la retirer.

Quelles mesures les autorités financières ou les institutions bancaires peuvent-elles mettre en place pour remédier à cette pénurie de devises ?

Rétablir la confiance des Mauriciens et des investisseurs dans la devise locale est essentiel. Tant qu’il y aura de l’incertitude et un semblant de panique sur les marchés des devises, la situation peinera à revenir à la normale. La Banque de Maurice doit considérer ses options et venir de l’avant avec une approche innovante et convaincante. Il faut persuader le marché que le « hoarding » et la spéculation ne sont pas des stratégies profitables. Au vu de l’état économique dans lequel se retrouve le pays, « easier said than done ». 

 Ce que recommandent les observateurs

Cédric Béguier : « Des mesures fiscales incitatives ou coercitives peuvent être instaurées pour augmenter les flux de devises. Toutefois, ces initiatives risquent de susciter une forte résistance du patronat et pourraient pousser les acteurs les plus vulnérables du secteur privé à se retirer. Les secteurs exportateurs ont besoin du soutien des décideurs politiques actuels et futurs pour se développer. Cela inclut la création de chaînes de valeur et le renforcement des filières agricoles et bovines afin de réduire notre dépendance aux importations et alléger la balance commerciale. Un plan avec des indicateurs clairs et tangibles de souveraineté alimentaire et agricole, couplé à une stratégie de développement durable, constituerait donc un énorme avantage à long terme pour la nation mauricienne ».

Alexandre Sanchini : « À travers ses interventions sur le marché des changes, la BoM pilote aussi le taux de change de la roupie contre les devises étrangères. Il est difficile de connaître son objectif en termes de taux de change. Toutefois, on constate que la roupie ne s’est pas tellement dévaluée contre l’euro au cours des trois dernières années. En revanche, c’est le cas contre le dollar, avec une dévaluation de près de 10 % sur la période. Cependant, de nombreux pays ont récemment fait face à de fortes dévaluations, notamment le Kenya, le Nigeria, le Ghana, le Pakistan, l’Argentine et la Turquie, pour en citer quelques-uns et elles sont catastrophiques. La politique économique est une affaire très délicate de gestion des équilibres. Il faut saluer le travail de la BoM qui parvient à piloter les taux de change de la roupie pour encadrer son évolution, dans le cadre de chocs externes comme la Covid-19 ou dans le contexte de pénurie latente ».

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