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Hausse de la marge des profits justifiée ou pas ? : les chiffres derrière le business du carburant

Les gérants des stations-service volent-ils l’argent des consommateurs ou sont-ils des commerçants qui peinent à joindre les deux bouts ? L’enquête du Défi Plus révèle que, pour 35 stations-service, le profit moyen est de Rs 2 millions et qu’il existe un fossé avec le chiffre d’affaires. Si certains s’en sortent très bien, d’autres se trouvent dans des situations délicates. 

« Les gérants des stations-service veulent faire de l’argent sur la tête des consommateurs  ». 
« Les gérants des stations-service ont du mal à joindre les deux bouts. » Ce sont les deux discours qui prévalent ces dernières semaines depuis que la Petrol Retailers Association (PRA) a brandi la menace de grève si leur marge n’était pas augmentée. Le premier discours est tenu par les associations de protection des consommateurs et certains au niveau du bâtiment du Trésor qui affirment que le business des carburants est juteux. L’autre discours est tenu par les gérants. Qui des deux ment ?

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Sur chaque litre d’essence, une station-service empoche Re 1,9. Pour le diesel, la somme est de Re 1,86. Est-ce suffisant pour en faire des hommes fortunés ? L’enquête du Défi Plus apporte une réponse nuancée à cette question. Si certains s’en sortent plutôt bien, d’autres ne brassent pas forcément de gros profits annuels. Pour les 35 stations-service dont nous avons examiné les comptes, la moyenne de profits est de Rs 2,2 millions. Cette moyenne comprend des pertes allant jusqu’à Rs 1,7 million et des profits de Rs 30 millions pour d’autres.

C’est la National Transport Authority (NTA) qui délivre les permis d’opération pour les stations-service depuis les années 70. La liste officielle compte 362 permis, dont une bonne partie ne sont plus utilisés, les détenteurs ayant fait faillite. Parmi le reste, Le Défi Plus a pu retracer les comptes de 35 compagnies qui gèrent une station-service.

Les moyennes pour ces 35 détenteurs de permis donnent Rs 86,6 millions de chiffres d’affaires et des coûts de vente de Rs 82,4 millions. La moyenne de profits bruts est de Rs 8,4 millions. La différence avec les profits nets est toutefois importante : Rs 2 millions. Il semble que les stations-service qui opèrent également des superettes sur les lieux ont de meilleures chances de réaliser un chiffre d’affaires positif.

Cette différences s’explique principalement par des coûts administratifs élevés. L’exemple le plus parlant est celui de La Preneuse Star Service Station, qui gère une station-service Engen. 

La compagnie affiche des profits bruts de Rs 7,8 millions pour des profits nets de Rs 32 148. Un fossé qui s’explique surtout par le coût administratif de Rs 6,9 millions.

Rs 50 millions pour construire une station-service

Comment procède-t-on pour devenir gérant d’une station-service ? D’abord, il faut être propriétaire d’un terrain ou, à défaut, obtenir un bail du gouvernement sur un lopin convenable. Il faut ensuite approcher une compagnie pétrolière pour signer un accord. Les frais pour la construction de la station sont assurés par la compagnie pétrolière. Il faut compter Rs 50 millions en moyenne pour une station. 

C’est après coup que la National Transport Authority (NTA) entre en jeu : c’est la compagnie pétrolière qui fait la demande pour un permis d’opération auprès de cette instance. Toutefois, avant d’en arriver là, plusieurs facteurs entrent en jeu. Un haut responsable d’une compagnie pétrolière explique qu’une compagnie reçoit en moyenne dix demandes par mois. La plupart sont rejetées : « Il y a beaucoup de demandes farfelues. Nous en rejetons beaucoup automatiquement. Par exemple, il y a des gens proches de la retraite qui cherchent une occupation pour 'bat bate'. » Ceux-là reçoivent un non catégorique. 

Puis viennent les détails importants de l’emplacement. « Souvent, des gens viennent nous voir avec des terrains à Bassin-Blanc ou à Grand-Bassin en disant qu’il n’y a pas de stations dans la région, explique notre source. « D’accord, mais ce sont des endroits où il y a une demande uniquement 20 jours pas an ! » La superficie du terrain, la façade, le volume potentiel de carburant vendu, la fréquentation de la route… Autant d’éléments qui sont pris en considération. « Il faut aussi savoir si le terrain se trouve dans un virage et s’il y a des risques d’accidents, ajoute notre source.  Le gérant prend moins de risque. Si c’est un fiasco, ce sont nos Rs 50 millions qui partent en fumée. »

L’autre fait notable, c’est qu’il n’y a pas de contrat standard entre les compagnies pétrolières et les gérants des stations-service. « C’est du one-to-one et il y a autant d’accords différents qu’il y a de stations-service. » Dans certains cas, le gérant peut même décider de construire les infrastructures à ses frais et recevoir une somme pour la location de la compagnie pétrolière. D’autres peuvent être amenés à contribuer à la location du terrain s’il ne leur appartient pas. Il convient alors pour les aspirant-gérants de savoir négocier.

 

Suttyhudeo Tengur, président de l’Apec : « Difficile de croire que les stations-service travaillent à perte »

Commentant les griefs de la Petrol Retailers Association (PRA), Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (Apec), soutient que leur demande n’est pas justifiée. Selon lui, les dépenses dont ils font état n’existent pas. « Leur marge de Re 1,90 par litre d’essence est énorme si on la prend dans sa globalité », estime-t-il. Le président de l'Apec « ne croit pas qu’il faut changer leur marge de profit aussi longtemps qu’ils ne mettent pas leur demande par écrit à travers un mémorandum. Il est difficile de croire que les stations-service travaillent à perte ».

Venoo Ramasamy, porte-parole de la Plateforme pou baisse prix l’essence ek diesel (PPBPED), se prononce contre l’augmentation du prix du carburant. Il insiste sur la taxation de 127 % sur l’essence et 7 7% sur le diesel comme argument. En 2008, ces taxes étaient de 29 et 31 % respectivement. 

Comment la NTA a mis hors-jeu les compagnies pétrolières

C’est en 1973 que la National Transport Authority (NTA) obtient les pleins pouvoirs du gouvernement pour assurer la distribution de permis autorisant une personne à opérer une station-service. Cela suite à un amendement apporté à la Road Development Act par l’ancien ministre, Abdool Razack Mohamed. Cet amendement s’est révélé un véritable soulagement pour les propriétaires de stations-service, qui se plaignaient d’être à la merci des compagnies pétrolières qu’ils accusaient de faire la pluie et le beau temps. Pour mieux comprendre l’influence des compagnies pétrolières, il faut remonter aux années 50. Il y avait à l’époque très peu de véhicules.

Le pétrole était importé à Maurice en petite quantité et était commercialisé dans les petites boutiques du coin. Ce n’est que quelques années plus tard, soit après une augmentation de la demande pour les produits pétroliers, que les compagnies pétrolières ont augmenté leurs importations et ont entrepris elles-mêmes la construction des stations-service. La gestion de ces stations-service était toutefois confiée à des commerçants sous des conditions très strictes. Le calcul de la marge de profit était par exemple uniquement déterminé par ces compagnies pétrolières. Et la pression qu’elles exerçaient devenait de plus en plus importante vers les années 60. Elle pouvaient aussi se permettre de résilier le contrat des opérateurs sans la moindre explication. C’est après avoir fait part de leur situation aux autorités que le gouvernement avait ainsi décidé d’apporter des changements à la loi.

Les chiffres derrière le business du carburant (SS - service station)    
Nom Chiffre d’affaires Coût des ventes Profit brut Profit net
La Preneuse Star SS (ENGEN) 183 078 134 175 297 313 7 780 821 32 148
Le Grillon Service Station Ltd 31 258 101 30 621 881 636 220 (295 404)
Pushkar Co. Ltd 68 423 508 66 161 883 2 261 625 295 681
Dawaking & Sons Ltd 21 086 262 20 126 432 959 830 (87 457)
The Beechand Company Ltd 34 352 734 0 34 352 734 30 146 525
Market Investors Ltd 128 875 510 122 071 263 6 804 247 (106 152)
Auteas Ltée 49 142 240 45 578 939 3 563 301 (250 982)
La Balise Filling Station 101 356 244 97 040 488 4 315 756 (1 788 443)
D.A.R. Trading Ltd 59 059 240 56 178 905 2 880 335 1 431 696
R+ Xtra Miles Ltd 6 181 489 6 044 344 137 145 (391 268)
Traveller’s Pride Filling Station 111 597 294 107 935 430 3 661 864 356 121
Sand Petrol Company Ltd 44 370 496 42 809 656 1 560 840 133 432
Petite Rivière Petrol SS Ltd 49 177 214 46 971 027 2 206 187 988 975
KRM de l'Est Ltee 58 108 423 57 162 338 946 085 35 338
Eastern Mix Ltd 15 910 551 121 583 225 37 522 326 5 901 966
Dodo touring co ltd 62 303 532 58 941 114 3 362 418 654 761
Royal Impex Ltd 48 485 494 47 463 230 1 022 264 47 707
Lancaster Co Ltd 210 734 697 203 172 185 7 562 512 (1 080 861)
Cluny Petrol Station Ltd 59 989 566 58 314 956 1 674 610 76 568
Easterlies Ltd 48 808 405 14 883 432 33 924 973 4 409 017
Finanza Auto Spare Parts Co Ltd 39 734 103 37 892 642 1 841 461 79 371
Krm De L'est Ltee 58 108 423 57 162 338 946 085 35 338
Sand Petrol Co Ltd 44 370 496 42 809 656 1 560 840 133 432
Petrodis Ltd 50 116 835 47 985 155 2 131 680 343 227
Dolores Co Ltd 164 783 301 157 134 936 7 648 365 (1 723 773)
Orion Star Ltd 1 977 335 0 1 977 335 97 969
Labourdonnais SS Ltd 95 524 551 91 559 135 3 965 416 1 616 701
Le Hochet Filling Station Co Ltd 43 974 559 42 141 891 1 832 668 186 920
Barin Co Ltd 255 605 850 244 174 897 11 430 953 3 167 928
Dolphin Coast Marina Estate Ltd 432 398 329 357 442 582 74 955 747 23 512 877
Petroeast Ltd 41 353 677 39 739 638 1 614 039 235 354
Himax Properties Ltd 154 422 311 147 709 071 6 713 240 1 553 264
Kewalparsad & Co Ltd 5 024 937 0 5 024 937 1 705 097
V.a.d Retailers Co Ltd 166 229 451 158 379 914 7 849 537 712 265
Moyenne 86 644 802,71 82 426 173,41 8 430 246,94 2 122 509,94

Rencontre « positive » entre le PM et la Petrol Retailers Association 

« Une rencontre très positive ». C’est en ces termes que Bhim Sunassee, président de la Petrol Retailers Association, qualifie la réunion qu’il a eue avec le Premier ministre Pravind Jugnauth vendredi au Prime Minister’s Office. Une réunion durant laquelle il a eu l’occasion d’expliquer les raisons pourquoi lesquelles des stations–service réclament une hausse de 56 sous sur leur marge de profit. « Le Premier ministre nous a dit qu’il consultera le ministre du Commerce pour avoir plus de détails sur le memorandum que nous lui avons envoyé.

Il nous fera savoir sa décision par la suite », indique Bhim Sunassee.  S’agissant de la grève des pompistes, qui était, prévue ce dimanche 11 novembre, elle n’aura finalement pas lieu. « Nous avons décidé de ne pas aller de l’avant avec la grève depuis mardi 6 novembre, car les autorités avaient établi une ligne de communication avec nous », fait ressortir Bhim Sunassee. 


Les gérants expliquent leurs comptes

Subash Hurpaul, gérant de la station-service d’Indian Oil à Souillac et aussi secrétaire de la PRA, explique le fossé entre le chiffre d’affaires et les profits. Il confie que son chiffre d’affaires annuel est de Rs 70 millions, sauf qu’il lui faut soustraire de cette somme le coût du carburant, qui a subi une hausse d’environ 300 % sur les 12 dernières années. « Lorsque j’ai commencé à opérer en 2006, je payais entre Rs 300 000 et Rs 400 000 pour un convoi de pétrole de 20 000 litres. Douze ans plus tard, il me faut débourser près de Rs 1 million », raconte-t-il. Sur la somme qui reste après avoir payé pour le carburant, il n’empoche que 3,8 % de profits bruts à cause de la marge imposée. 

Vinod Hurry est dans le métier depuis 40 ans et gère la station-service Shell d’Abercrombie. Il explique que les salaires des employés représentent à eux seuls 40 à 45% de ses dépenses. Et c’est sans compter son propre salaire. « Cela me coûte entre Rs 140 000 et Rs 150 000 par mois, explique le gérant, avec les pertes par l’évaporation, c’est une de mes plus grosses dépenses. » Le gérant estime la facture d’électricité mensuelle entre Rs 18 000 et Rs 20 000 et celle pour l’eau courante à Rs 3 000. 

Pour les ventes, il estime sa moyenne mensuelle à 180 000 litres de carburant, dont 60 % pour l’essence. « En ville, c’est généralement ce ratio pour les stations-service, ajoute notre interlocuteur.  En région rurale, on vend généralement plus de diesel à cause du plus grand nombre de véhicules qui roulent au diesel. » 

Toutefois, Vinod Hurry met un autre détail en lumière : les compagnies pétrolières réclament également d’autres frais des gérants. « Nous souffrons d’une érosion de nos marges de profit par les compagnies pétrolières », explique-t-il. Les compagnies réclament un sou par litre de carburant vendu pour l’entretien. « La structure du prix imposé prend déjà en considération les frais d’entretien des compagnies, explique-t-il, Il s’agit d’une double réclamation ». Dans certains cas, la compagnie demande même au gérant de contribuer au loyer pour le terrain s’il est à bail. 

Un haut responsable d’une compagnie pétrolière, qui a requis l’anonymat, justifie ces réclamations. « L’entretien coûte bien plus qu’un sou par litre. C’est une contribution symbolique qui vise surtout à responsabiliser les gérants. Si une station-service vend 300 000 litres, cela représente uniquement Rs 3 000. Ce n’est pas cela qui va payer l’entretien. » 

Selon cette source, il s’agit d’une « incentive » pour garder les infrastructures en état en vue d’un remboursement de cette contribution. 
Toutefois, notre interlocuteur relève également d’autres contributions que les compagnies pétrolières réclament aux gérants. « S’il y a des campagnes de promotion, les compagnies vont demander une contribution sympolique, révèle-t-il.  Certains demandent des contributions sporadiques, d’autres des sommes continues. Pour une nouvelle station-service, dans certains cas, on peut demander de contribuer à la location du terrain. »

Ce haut responsable d’une compagnie pétrolière a toutefois une opinion nuancée sur ce que réclament les gérants : « C’est un travail dur et les frais augmentent d’année en année. Il y a une justification pour chercher à gagner plus. Mais de là à dire qu’ils ne gagnent pas du tout d’argent, c’est farfelu . »

Selon lui, le fait qu’il y ait très peu de gérants prêts à vendre leur station-service et beaucoup de demandes pour de nouvelles stations en serait la preuve. « Il y a des éléments de vérité et des exagérations. Dans certains cas où les profits sont faibles, il faut aussi savoir quel salaire le gérant se paye à lui-même », conclut-il. 

Subash Hurpaul confirme qu’il y a bien un engouement. Il explique qu’il y a eu un peu plus de 30 nouvelles stations-service qui se sont installées à travers le pays sur les 10 dernières années pour un nombre total estimé à environ 150. 

Le secrétaire de la PRA fait remarquer qu’IndianOil, le dernier venu, compte aujourd’hui 23 stations à travers le pays. « Avec pour conséquence un rétrécissement de la part du marché », ajoute-t-il.  Lorsqu’on avait démarré ici, on vendait entre 7 000 et 8 000 litres quotidiennement et, aujourd’hui, le maximum de litres vendus par jour est de 5 000. »

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