La Cour suprême s’est prononcée sur deux cas d’expropriation, liés à la construction de l’autoroute Terre-Rouge–Verdun. Deux professionnels du droit expliquent les implications de cette procédure par laquelle l’État achète de force des terres privées au nom de l’intérêt public.
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Le 14 août 2023, la Cour suprême a annulé la somme accordée par le Board of Assessment (BoA) à Anandlall Fowdar. Ce dernier contestait la compensation offerte pour l’acquisition obligatoire de sa propriété à Petit-Camp, Phœnix, dans le cadre du projet de construction de l’autoroute Terre-Rouge–Verdun. Dans un second cas, Ajay Fowdar a été débouté en appel devant la Cour suprême le 15 août 2023. Il contestait la valeur, soit Rs 1 193 800, attribuée par le BoA pour le même terrain.
Quels sont les critères qui justifient l’expropriation des terres par l’État ? Me Naren Appa Jala, Senior Attorney, nous éclaire sur les critères légaux établis par l’article 8 de la Constitution. Il s’agit de la défense nationale, du bien-être général des citoyens et de l’intérêt public. « L’État doit aussi veiller à ne pas faire subir de souffrance injustifiée au citoyen dont la propriété est acquise, en se fondant sur le concept de justification raisonnable », souligne l’avoué.
Me Vijaya Lakshmi Ruby Saha, avocate spécialisée dans l’urbanisme, partage son point de vue. Elle insiste sur la nécessité de négocier en privé d’abord. « La plupart des propriétaires expropriés ignorent leurs droits et acceptent sans réfléchir l’expropriation. La loi n’est pas assez claire pour qu’ils puissent la saisir avant qu’il ne soit trop tard », déplore-t-elle.
La plupart des propriétaires expropriés ignorent leurs droits et acceptent sans réfléchir l’expropriation»
Quelles sont les étapes du processus d’expropriation gouvernementale, et les recours dont disposent ceux qui y sont confrontés ? Me Naren Appa Jala explique que le processus d’expropriation est régi par le Land Acquisition Act (LAA). Il commence par une mise en demeure du ministre du Logement et des terres au propriétaire, suivie de publications dans les journaux et le Government Gazette pour annoncer l’intention de l’État d’acquérir la propriété.
Me Vijaya Lakshmi Ruby Saha précise que cette mise en demeure correspond à un avis sous l’article 6 du LAA. Il s’agit, selon elle, d’une étape préliminaire, permettant aux parties d’entrer sur le terrain afin d’effectuer des relevés.
« La plupart des gens tendent à ignorer cet avis et ne prennent pas la peine de le lire », souligne l’avocate. Or dit-elle, c’est à ce moment-là que les propriétaires devraient « commencer à se méfier et consulter leurs avocats, surtout s’ils veulent contester toute l’acquisition devant la Cour suprême ».
L’avocate conseille également à ceux qui peuvent financièrement aller en Cour suprême, de consulter un évaluateur afin de connaître la valeur foncière du bien exproprié. Un consultant en aménagement est également nécessaire, selon elle, pour faire des propositions alternatives par rapport à l’alignement de l’expropriation. Mais dit-elle, c’est important de consulter un avocat pour des conseils sur la marche à suivre.
Me Naren Appa Jala rappelle que le propriétaire concerné dispose de 21 jours, à compter de la deuxième publication dans les journaux, pour contester légalement l’acquisition devant la Cour suprême. Le contestataire, dit-il, peut notamment invoquer le non-respect de la Constitution ou encore l’absence d’intérêt public à l’expropriation. Il ajoute que si le propriétaire accepte l’acquisition mais conteste le montant de la compensation proposé, la somme est alors fixée d’un commun accord. À défaut, un BOA se chargera de déterminer le montant. Ce conseil est présidé par un magistrat ou juge, assisté de deux évaluateurs à temps partiel, tous nommés par le ministre du Logement et des terres.
L’État doit aussi veiller à ne pas faire subir de souffrance injustifiée au citoyen dont la propriété est acquise»
Me Vijaya Lakshmi Ruby Saha avance que lorsque l’avis définitif, sous l’article 8 du LAA, arrive, les propriétaires concernés doivent être prêts à contester l’acquisition en vertu de l’article 10 de la loi. Ils ont alors le choix entre déposer un recours devant la Cour suprême s’ils ont les moyens financiers, ou accepter que leur affaire soit renvoyée devant le BOA.
La démarche devant le BOA est longue et complexe, prévient Me Vijaya Lakshmi Ruby Saha. Cela peut prendre, selon elle, deux ans pour aboutir à une décision. « Parfois, le BOA doit recommencer la procédure si l’un de ses membres devient incapable de signer un jugement. En attendant, les propriétaires vieillissent et sont fatigués d’aller au tribunal. Ils souhaitent régler leurs droits avant de mourir et de laisser le sort de leurs biens durement acquis à la prochaine génération et à leurs enfants », relate-t-elle.
Ce que confirme Me Naren Appa Jala. Il soutient que les principaux défis dans les cas d’expropriation sont les coûts des évaluations foncières et la durée du processus devant le BOA. « Les avocats spécialisés en droit de l’expropriation se réfèrent aux principes d’évaluation reconnus par la jurisprudence mauricienne et du Conseil privé du Roi pour aborder ces questions », fait-il ressortir.
Me Vijaya Lakshmi Ruby Saha estime que l’expropriation devrait être effectuée dans l’intérêt public global, par exemple pour sécuriser des axes de communication importants pour le développement économique du pays. « Le paiement des indemnités doit être équitable et refléter la vraie valeur marchande du terrain », argumente-t-elle. Elle plaide pour que les meilleures comparaisons qui reflètent la vraie valeur de la propriété soient utilisées à la date d’acquisition des terres.
« Une autre source de conflit est que les évaluateurs gouvernementaux, qui font de leur mieux pour protéger les finances publiques, ont tendance à minimiser les atteintes nuisibles, qui sont un facteur majeur pour l’indemnisation et prévu par la loi », dit-elle.
Elle pointe également le montant dépensé en frais légaux et professionnels que les propriétaires sont autorisés à demander en vertu de l’article 19(1) (e) du LAA. « Contrairement aux autorités gouvernementales, les propriétaires n’ont pas d’avocats ou d’experts internes attachés à leurs services. Ils doivent les rémunérer sur une base ad hoc pour défendre leur cas devant le BoA, et cela ne vient pas à bon marché. »
Me Naren Appa Jala et Me Vijaya Lakshmi Ruby Saha appellent donc tous deux à la prudence.
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