Entre tribunal et code de la mère : un double défi

L’avocate Nushumi Balgobin-Kandhai et l’avouée Ammanah Ragavoodoo partagent leurs défis et stratégies pour équilibrer une carrière juridique exigeante et les responsabilités familiales.

Me Nushumi Balgobin-Kandhai : « Un sacrifice nécessaire »

« La société exerce une pression particulièrement forte sur les mères en nous imposant une double attente : réussir professionnellement tout en étant des mères dévouées. » Cette pression, Nushumi Balgobin-Kandhai, avocate spécialisée en droit pénal comptant 20 ans d’expérience dans le domaine juridique, épouse et mère de deux enfants, Leishika et Lucksh, la connaît bien. 

Cette ardente défenseuse des droits humains, qui n’a pas hésité à s’exprimer ouvertement sur plusieurs réformes juridiques, confie que les défis sont nombreux lorsqu’il s’agit de concilier sa carrière avec ses responsabilités familiales. Ses horaires sont souvent imprévisibles, perturbant son emploi du temps et celui de ses enfants. « Il n’est pas rare que je sois appelée à la dernière minute pour une audience ou qu’une réunion s’étire bien au-delà de ce que j’avais prévu, bouleversant ainsi la journée de mes enfants », explique celle qui a prêté serment le 24 décembre 2004

La pression mentale est également un défi majeur. Représenter des clients en demande de libération provisoire ou arrêtés par les forces de l’ordre peut créer une atmosphère de stress intense. « Le téléphone peut sonner à n’importe quelle heure, ce qui rend difficile la déconnexion », ajoute l’avocate. Cette constante interférence nuit à sa capacité à être pleinement présente pour sa famille, avoue-t-elle.

Pour équilibrer ses longues heures de travail, les audiences imprévues et les besoins de sa famille, Nushumi Balgobin-Kandhai peut compter sur le soutien de son époux, Me Ashwin Kandhai, également avocat. « Mon époux joue un rôle essentiel dans la gestion de mes responsabilités familiales et professionnelles. Nous avons établi une communication ouverte pour nous soutenir mutuellement », précise-t-elle. La flexibilité dans leurs horaires leur permet de réorganiser certaines obligations pour s’assurer que ni les enfants ni les clients ne se sentent négligés.

Cependant, en raison de son double rôle, l’avocate souligne ressentir une pression sociale et professionnelle particulière, affectant son bien-être et ses priorités personnelles. « J’ai grandement négligé ma vie sociale et mes amitiés, car je consacre presque tout mon temps et mon énergie à ma famille et à ma carrière », avoue-t-elle. Cependant, en voyant ses enfants grandir et devenir plus autonomes, elle prend conscience de l’importance de maintenir des liens sociaux pour garder un meilleur équilibre.

Ammanah Ragavoodoo, avouée et maman : un équilibre possible

Être avouée et mère de famille, c’est le défi que relève Me Ammanah Saya Ragavoodoo depuis 26 ans. Mère de deux enfants, Yohann, 21 ans, et Toshna, 19 ans, elle revient sur son parcours et la manière dont elle a réussi à conjuguer vie professionnelle et familiale.

« J’ai fait le bon choix en devenant avouée. Ce métier m’a permis d’être une maman présente et de gérer mon emploi du temps comme je l’entendais. Contrairement au métier d’avocat, je n’ai pas à me rendre en urgence au poste de police ou en prison. Je me concentre uniquement sur les affaires civiles, et comme les travaux des tribunaux se terminent souvent vers les 15 heures, cela me laisse du temps pour ma famille », confie-t-elle.

Mais la vie n’a pas toujours été simple pour Ammanah Ragavoodoo. En mai 2003, elle perd sa mère des suites d’une maladie. Un mois plus tard, son père décède. « La naissance de mon fils en juillet 2003 m’a aidée à surmonter ces épreuves, tout comme celle de ma fille quelques années plus tard. » Son bureau d’avouée, un héritage de son défunt père, est également une source de force.

Bien que son métier permette une certaine flexibilité, être à son compte demande des sacrifices. « Je n’ai pris que deux mois de congé maternité pour l’accouchement de chacun de mes enfants. J’ai dû revenir à temps partiel durant mes congés pour m’occuper de mes dossiers. » Elle raconte également les journées bien remplies lorsque ses enfants étaient en primaire, jonglant entre les horaires pour les déposer à l’école, se rendre aux audiences en Cour, et récupérer les enfants dans l’après-midi. Petite anecdote : alors qu’elle était enceinte de sa fille, sa poche d’eau s’est brusquement rompue alors qu’elle se trouvait à son bureau ! Elle s’est alors rendue immédiatement à la clinique.

Son parcours ne s’arrête pas aux tribunaux. Siégeant auparavant sur divers conseils d’administration, elle a souvent été la seule femme dans ces environnements dominés par des hommes. « Il faut faire entendre sa voix, et parfois les réunions se terminent tard, mais cela fait partie du jeu », affirme-t-elle.

Aujourd’hui, avec ses enfants devenus adultes, elle se consacre davantage à sa carrière et à son bien-être. « Je ne crois pas dans le fait de travailler à des heures tardives mais plus à travailler de manière efficace. Travailler tard ne rend ni plus riche ni plus intelligent », dit l’avouée. Entre le yoga, la marche en forêt ou à la plage, et une routine saine avec des vitamines, elle prône un équilibre de vie. D’où sa décision de ne pas créer de firme juridique et de rester à son compte. 

Me Ammanah Ragavoodoo est titulaire d’un Bachelor of Laws Degree de la London School of Economics and Political Science et d’un LL.M in International Business Law de Paris Pantheon Assas University. Aujourd’hui mère célibataire, elle met l’accent sur le soin de soi, l’autonomie professionnelle et l’épanouissement personnel. Son travail, dit-elle, reste sa passion car elle a pu côtoyer les plus grands du barreau mauricien, des personnalités du pays et a souvent été sollicitée par les moins aisés de la population.