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Enjeux juridiques et sociaux - Viol conjugal : décryptage d’une réforme qui brise un tabou

Me Melany Nagen appelle à intégrer la reconnaissance du viol conjugal dans un cadre législatif plus large, notamment le Domestic Abuse Bill.

Longtemps considéré comme un non-sujet juridique, le viol conjugal sera reconnu comme un crime dans le Code pénal. L’annonce a été faite par l’Attorney General. Selon Me Melany Nagen, il s’agit d’un tournant historique qui rompt avec une conception archaïque du mariage et qui vise à assurer une protection effective des victimes, trop longtemps ignorées par la loi. 

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Le gouvernement franchit un pas décisif en matière de droits humains. Le viol conjugal sera explicitement reconnu comme une infraction dans le Code pénal. L’annonce a été faite par l’Attorney General, Me Gavin Glover, le 13 mai 2025 à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’adoption du Criminal Code (Amendment) Bill. Me Melany Nagen, avocate et chargée de cours à la Middlesex University Mauritius, salue cette réforme historique, y voyant une avancée attendue depuis longtemps. 

Pourquoi le viol conjugal n’était-il pas reconnu comme un crime distinct jusqu’ici ? Me Melany Nagen rappelle que le droit pénal mauricien est en grande partie hérité du Code pénal français du XIXe siècle. « À l’époque, le mariage était perçu comme une union donnant à l’époux un droit quasi automatique aux relations sexuelles. Le consentement de l’épouse était considéré comme acquis de manière permanente dès la célébration du mariage », explique-t-elle. Elle ajoute qu’il était donc juridiquement inconcevable qu’un rapport sexuel entre époux puisse être qualifié de viol. 

Cette conception archaïque a toutefois eu des conséquences. Des décennies durant, les victimes de violences sexuelles au sein d’un couple n’avaient aucune réelle protection légale. « La loi ne reconnaissait pas le droit pour une femme mariée de refuser un acte sexuel. Le consentement donné lors du mariage était interprété comme couvrant tous les rapports ultérieurs, sauf en cas de séparation ou d’abandon du domicile conjugal », détaille Me Melany Nagen. 

Consentement éclairé

Le projet de réforme comblera cette lacune juridique en introduisant une définition du viol fondée sur le consentement libre, éclairé, spécifique et renouvelé. « La réforme affirme un principe fondamental : chaque acte sexuel doit faire l’objet d’un consentement, y compris dans le cadre du mariage », précise l’avocate. Selon elle, ce changement rompt avec l’approche antérieure centrée uniquement sur des critères matériels. Elle ajoute qu’il inscrit le viol conjugal comme infraction autonome. 

La chargée de cours souligne que cette criminalisation explicite était réclamée depuis longtemps par des instances internationales, dont le Comité contre la torture (CAT) et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). « Elles ont à plusieurs reprises exhorté l’État mauricien à aligner sa législation sur ses engagements internationaux. La réforme répond enfin à cette exigence », dit-elle. 

Durcissement des peines

La réforme s’inscrira dans un projet plus large, le Sexual Offences and Hate Crimes Bill, qui vise à regrouper les infractions sexuelles dans un texte unifié. Celui-ci prévoit également l’introduction de circonstances aggravantes pour les infractions motivées par le genre ou l’orientation sexuelle et le durcissement des peines.

Le consentement sexuel n'est pas automatique une fois mariés. Toute personne a le droit de dire non, à tout moment. Le mariage ne donne aucun droit absolu sur le corps de l'autre.» 

Sur la question du consentement dans le mariage, Me Melany Nagen est catégorique : « Le consentement sexuel n’est pas automatique une fois mariés. Toute personne a le droit de dire non, à tout moment. Le mariage ne donne aucun droit absolu sur le corps de l’autre. » 

Elle rappelle que cette position est désormais reconnue dans plusieurs juridictions, et bientôt à Maurice, grâce à la réforme en cours. « Jusqu’à présent, les poursuites judiciaires pour viol conjugal étaient presque inexistantes à Maurice. Le fait que cette infraction ne soit pas clairement définie freinait l’ouverture de procédures », constate-t-elle. Avec cette réforme, poursuit-elle, les victimes auront enfin un fondement juridique clair pour se faire entendre. 

Meilleure coordination 

Afin de renforcer la cohérence de la lutte contre les violences conjugales, Me Melany Nagen appelle à intégrer la reconnaissance du viol conjugal dans un cadre législatif plus large, notamment le Domestic Abuse Bill actuellement en préparation. Elle insiste sur le fait que le viol conjugal est rarement un acte isolé. « Il s’inscrit souvent dans un contexte de violence psychologique, économique ou de contrôle », souligne l’avocate. 

Elle cite l’exemple du Domestic Abuse Act 2021 au Royaume-Uni, qui regroupe diverses formes de violences dans un seul texte. Pour elle, une telle approche faciliterait la coordination entre les services de police, de santé et de justice, tout en affirmant clairement que le viol conjugal est une forme grave de violence domestique. 

Certains peuvent exprimer des inquiétudes quant à une possible instrumentalisation ou utilisation abusive de cette nouvelle disposition, notamment dans les cas de séparations conflictuelles ou de litiges familiaux à des fins personnelles ou vindicatives. Me Nagen concède que ce risque existe. « Il est vrai que toute réforme pénale, surtout lorsqu’elle touche aux rapports conjugaux, peut susciter des craintes d’abus », reconnaît-elle. 

Mais elle estime que ce risque ne doit en aucun cas freiner la réforme. Elle fait ressortir que le droit mauricien est déjà muni de mécanismes solides pour encadrer ce type de dérives. « Le système judiciaire repose sur des principes fondamentaux qui empêchent les abus : la présomption d’innocence, l’obligation d’apporter une preuve au-delà de tout doute raisonnable et la possibilité de poursuivre pour dénonciation calomnieuse ou fausse déclaration. Ces garde-fous existent et fonctionnent », soutient-elle. 

Du coup, poursuit-elle, il serait injustifié de perpétuer un vide juridique par peur d’un danger théorique. Au contraire, la priorité est la protection des droits fondamentaux, en particulier le droit à l’intégrité physique et sexuelle. Ce risque, dit-elle, est bien réel mais marginal, ne peut légitimement servir de frein à l’adoption d’une norme indispensable à la protection des droits fondamentaux – en particulier le droit à l’intégrité physique et sexuelle. 

L’avocate souligne que la réponse appropriée à ce risque réside ailleurs. « Plutôt que de bloquer la réforme, il faut renforcer les capacités des acteurs judiciaires et policiers. Ils doivent être formés pour traiter ces plaintes avec objectivité, rigueur et discernement. » Au cœur de cette réforme, selon elle, se trouve un impératif d’équilibre : assurer la protection effective des victimes tout en respectant les droits procéduraux des accusés. C’est ainsi que se construit une justice équitable et respectueuse des droits humains. 

 

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