Société

Enfants abandonnés: vaincre la fatalité de l’échec scolaire

Maurice compte environ 556 enfants placés dans des foyers d’accueil. À ce jour, très peu d’entre eux parviennent à compléter leur scolarité secondaire. « J’ai continué à m’appliquer dans mes études, malgré les difficultés. Je n’ai pas baissé les bras », dit d’emblée Rosellio Bontende, 20 ans. Timide, mais démontrant une maturité déconcertante pour un jeune homme de son âge, il est le premier résident de la Fondation pour l’enfance Terre-de-Paix à s’être inscrit au tertiaire. Rosellio Bontende a été placé en foyer d’accueil à 12 ans. Ses parents avaient un problème d’alcoolisme. Plus tard, il rejoint Terre-de-Paix. « Au début, c’était très difficile de me retrouver dans un foyer d’accueil. Avec le temps et l’aide de ceux autour de moi, j’ai pu avancer », explique-Rosellio Bontende. Il a fait une partie de sa scolarité au collège Marcel-Cabon avant d’être admis à l’Ébène State Secondary School (SSS). Après avoir obtenu son Higher School Certificate (HSC), il a voulu poursuivre ses études. Il a alors envisagé des études en Graphic Design à l’Institut Charles-Telfair. « Je veux être Graphic Designer. C’est mon rêve, depuis que je suis en Form III. Plus tard, quand j’aurai un bon travail, j’aiderai mes parents ». Il n’y a pas longtemps, Le Dimanche/L’Hebdo faisait état du parcours, similaire au sien, de Carina Jerie, la première diplômée de SOS Village. Les récits de Rosellio ou de Carina lèvent le voile sur un phénomène social dont on ne parle pas beaucoup. La réussite scolaire dans les foyers d’accueil est rare, très rare même. Parmi les raisons avancées par le psychologue Vijay Ramanjooloo, figurent le lien entre le sentiment d’abandon et l’échec scolaire. Il est nécessaire de surmonter le sentiment d’abandon pour pouvoir avancer.

« Soutiens indispensables »

Selon le psychologue, il y a différentes façons pour un enfant de sentir qu’il a été abandonné par ses parents. Il y a ceux dont les parents partent, ceux dont les parents refusent de les entretenir et ceux qui sont négligés par leurs parents. Vijay Ramanjooloo explique que les parents sont des soutiens indispensables. Un enfant qui n’a ni papa ni maman a un handicap psychologique. Les choses sont moins simples, moins faciles pour lui. « Les parents sont des modèles, des cadres de référence. L’éducation que nous recevons la première année de notre vie vient des parents. La valeur narcissique que nous avons de nous-mêmes dépend de la qualité relationnelle que nous avons avec nos parents. Les enfants qui sont abandonnés abordent la vie avec un sentiment de dévalorisation. Pire, ils vivent avec un sentiment de culpabilité. Ils se disent que si leurs parents sont partis, c’est parce qu’ils sont des fardeaux », explique le psychologue Vijay Ramanjoloo soutient également que les enfants placés en foyer d’accueil manquent de confiance en eux. De ce fait, ils accumulent les échecs. Ils sont aussi persuadés qu’ils sont le problème. « Quand je travaille avec ces enfants-là, je leur dis que dans ‘abandon’, il y a le mot ‘don’. Et qu’ils sont précieux. Il est crucial pour eux de surmonter ce traumatisme pour qu’ils puissent passer à autre chose. »

Sentiment de rejet

 
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"5203","attributes":{"class":"media-image wp-image-9055","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"440","alt":"Vijay Ramanjooloo"}}]] Vijay Ramanjooloo

<
Publicité
/div> Pour Vijay Ramanjooloo, l’abandon d’un enfant par ses parents biologiques ne signifie pas que c’est la fin pour lui. Le plus important, reste l’environnement substitutif, que ce soit la famille d’accueil, le foyer d’accueil. « Pour un enfant abandonné, le sentiment de rejet prend une dimension extraordinaire. C’est l’environnement qui vient après qui va l’aider à surmonter cela. Si l’environnement substitutif le néglige, cela sera très mauvais pour l’enfant ». Est-ce qu’un enfant peut s’adapter à un autre environnement ? À cette question, le psychologue répond que l’être humain a une capacité de résilience qui lui permet de continuer à avancer. Il peut se développer, malgré les difficultés de la vie, les évènements déstabilisants et les traumatismes. Vijay Ramanjooloo explique aussi qu’il est difficile pour cet enfant d’exceller à l’école parce que les séquelles de son traumatisme touchent à son intellect. « Un enfant maltraité ou négligé par ses parents continue à les aimer malgré tout. Il est pris entre l’amour et la haine. La victime s’identifie à son bourreau et pense qu’il est coupable. Très peu d’enfants placés dans les ‘Shelters’ réussissent à l’école, car le passé nuit à leur intellect ». Alain Muneean, directeur de Terre-de-Paix, confirme que très peu de résidents de foyers d’accueil parviennent à faire des études supérieures dans une université. « Ceux qui y parviennent sont des cas exceptionnels. Les enfants qui vivent la séparation d’avec leur famille biologique prennent un peu de retard en ce qui concerne la scolarité. Ce traumatisme d’ordre émotionnel influe négativement sur leur acquisition du savoir tel qu’il est donné dans le système éducatif actuel. On ne peut pas dire qu’ils n’ont pas la capacité d’apprendre. La façon dont on leur inculque des choses importe ». Alain Muneean ajoute qu’un enfant qui ne vit pas dans son cocon familial vit un traumatisme profond. En revanche, selon lui, ces cas ne sont pas des fatalités. Il faut trouver la bonne méthode. « Il est vrai que statistiquement parlant, très peu de résidents parviennent à atteindre le niveau universitaire. Chez nous, c’est la première fois qu’un enfant va à l’université. Pour l’aider à surmonter son traumatisme, il faut lui donner un environnement avec les outils nécessaires. À Terre-de-Paix, nous mettons beaucoup d’accent sur les thérapies. L’art-thérapie, qui comprend chants, mimes, dessins, occupe un grand espace chez nous. Le système éducatif pyramidal n’est pas approprié pour un enfant traumatisé. Les exigences académiques lui feront plus de mal ».  
   

Rita Venkatasawmy: « C’est traumatisant de vivre sans ses parents »

[padding-p-1 custom_class=""][/padding-p-1]  
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"5204","attributes":{"class":"media-image wp-image-9056","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"440","alt":"Rita Venkatasawmy"}}]] Rita Venkatasawmy

La directrice du Centre d’Éducation et de Développement pour les Enfants Mauriciens (Cedem) soutient que ne pas vivre avec ses parents est la barrière principale à l’épanouissement de l’enfant. Mais chaque effort fourni est un grand pas en avant. « Si on donne les moyens à ces enfants et si on les motive, ils réussiront. Je suis consciente des foyers ne sont pas les meilleurs endroits pour que ces enfants réussissent leur vie. Mais souvent, il n’y a pas d’alternative. Cela ne veut pas dire que tout est perdu. Chez nous, en ce moment, nous avons une petite poignée d’enfants qui ont participé aux examens du Certificate of Primary Education et une fille au School Certificate. Même s’ils ne réussissent pas, c’est quand même une grande étape qu’ils ont franchie », assure Rita venkatasawmy.   [row custom_class=""][/row]  
 

La scolarisation d’un enfant en foyer

Les foyers d’accueil disposent de deux options. Ils peuvent inscrire l’enfant à un établissement scolaire normal ou lui offrir des cours au foyer. Dans la majorité des cas, ce sont les autorités qui décident si l’enfant doit poursuivre sa scolarité dans une école normale ou s’il doit intégrer l’école du foyer. L’école du foyer propose un système éducatif particulier qui comprend des activités et des thérapies. Le curriculum est adapté aux enfants en difficulté.


 

Faizal Jeerooburkhan, pédagogue: « Le système éducatif normal ne convient pas à l’enfant abandonné »

[padding-p-1 custom_class=""][/padding-p-1]
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"5205","attributes":{"class":"media-image wp-image-9057","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"440","alt":"Faizal Jeerooburkhan"}}]] Faizal Jeerooburkhan, pédagogue

Est-il vrai qu’un enfant abandonné ne s’adapte pas au système éducatif normal ? C’est absolument vrai. Cet enfant fait face à un problème émotionnel très grave. Il faut le placer dans un environnement où il y a de l’amour. Il doit avant tout se sentir protégé et le système éducatif normal ne convient pas à ses besoins émotionnels. Il lui faut un encadrement spécialisé, étant fragile. Il est difficile pour ces enfants de suivre une scolarité normale. Ils ne peuvent pas prendre part aux examens. Cela leur fera du mal. Dans le système actuel, ils n’ont aucune chance de s’en sortir. Tout est donc perdu pour ces enfants sur le plan éducatif ? Tout n’est pas perdu. Il suffit qu’ils aient le personnel adapté. Parfois, ce sont des enfants très intelligents, mais ils n’arrivent pas à compléter leur scolarité par manque d’encadrement. On peut dire que c’est perdu si l’enfant souffre de troubles psychologiques. Mais s’il est sain d’esprit, il peut finir sa scolarité avec brio et réussir sa vie. Quel est le système éducatif le plus adapté pour ces enfants ? Ce ne sont pas des enfants qui peuvent travailler avec des enseignants. Il leur faut des professionnels comme des psychologues, des thérapeutes. De ce fait, ils ne peuvent pas suivre un curriculum normal. Ils doivent apprendre à lire et à écrire à travers des activités. Par exemple, s’ils doivent s’occuper d’un petit jardin, grâce aux activités agricoles, ils devront utiliser une règle pour prendre les mesures. C’est ainsi qu’ils apprendront les nombres, la géométrie, etc. À travers de telles activités, ils apprendront à parler et à communiquer.
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !