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Droit de vote à 16 ans : entre proposition électoraliste et réels enjeux

Jack Bizlall, syndicaliste et travailleur social. Faizal Jeerooburkhan, observateur politique et membre du groupe de réflexion Think Mauritius. Patrick Belcourt, leader d'En Avant Moris.
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Faut-il abaisser le droit de vote à 16 ans ? Une proposition réitérée par Paul Bérenger il y a quelques jours. Quels en sont la pertinence et les enjeux ? Et par où commencer ? Tour d’horizon.

La proposition n’est pas nouvelle. Le leader du MMM, Paul Bérenger, l’a remise sur le tapis le samedi 27 août, lors du congrès de la Jeunesse militante à l’hôtel Hennessy Park, à Ébène. Il souhaite que l’âge de vote soit abaissé à 16 ans. Ce qui permettrait, dit-il, de consolider la solidarité entre les générations et de donner l’opportunité aux jeunes de jouer pleinement leur rôle. Mesure électoraliste pour certains, démarche pertinente pour d’autres, la proposition a le mérite d’ouvrir le débat.

Le syndicaliste et travailleur social Jack Bizlall a un avis tranché sur la question. Il ne mâche pas ses mots à l’encontre de Paul Bérenger. « Ses motivations sont électoralistes et n’ont rien à voir avec la démarche objective de transformer notre société en une République parlementaire avec le pouvoir référendaire et de veto retourné à la population mauricienne, rodriguaise, chagossienne et agaléenne », affirme-t-il. 

Un avis que partage Faizal Jeerooburkhan, observateur politique et membre du groupe de réflexion Think Mauritius. Selon lui, la motivation derrière une telle proposition est « de capitaliser sur le vote des jeunes qui sont, pour la plupart, très remontés contre le pouvoir actuel. Pour ensuite, possiblement, renforcer l’engagement des plus jeunes dans la vie démocratique du pays ».

Il fait ainsi remarquer qu’un tel changement « modifiera le rapport de force entre le pouvoir et l’opposition : il jouera en faveur de ce dernier ». Mais pas seulement, estime Faizal Jeerooburkhan. « Cela fera aussi l’affaire des jeunes partis extra-parlementaires plus proches de ces jeunes. » 

Patrick Belcourt, leader d’En Avant Moris, s’attarde, de son côté, sur le terme « opportunité » employé par le leader du MMM. Surtout dans un contexte où les générations actuelle et à venir auront une lourde dette publique à éponger. « Ceux de ma génération devront, comme il dit, ‘jouer pleinement notre rôle’. Mais oser dire qu’il s’agit d’une ‘opportunité’, c’est faire de l’ironie ! »

Pourquoi ce serait pertinent

La pertinence de l’abaissement du droit de vote à 16 ans se situe à plusieurs niveaux, estime Faizal Jeerooburkhan. Il cite en premier lieu la valorisation de la jeunesse mauricienne. « Ce droit de vote pourrait servir à les responsabiliser pour qu’ils s’intéressent davantage à la politique et qu’ils participent plus activement dans les affaires du pays. »

Autre avantage : « Cela peut favoriser le développement de l’esprit critique, ce que le système éducatif peine à faire. Sans compter que cela pourrait pallier le taux d’abstention qu’on observe régulièrement chez les jeunes de 18 à 24 ans qui ont, eux, le droit de vote. »

Sur le plan politique, il y voit des enjeux sur les moyen et long termes. « Les jeunes en ont marre de la politique traditionnelle qui fait reculer le pays. Leur engagement, bien encadré, pourrait aider à assainir et moderniser le paysage politique actuel. » De plus, cela encouragerait les partis politiques à prendre au sérieux les intérêts des jeunes dans leurs programmes électoraux. 

Les jeunes en ont marre de la politique traditionnelle qui fait reculer le pays. Leur engagement, bien encadré, pourrait aider à assainir et moderniser le paysage politique actuel »

Selon Patrick Belcourt, le droit de vote à 16 ans est particulièrement pertinent sur le plan de l’endettement économique. « Ma génération est déjà condamnée à payer la dette du pays. Celle de nos enfants aussi parce que le niveau de la dette est colossal. Vous croyez que j’aurais du mal à convaincre les jeunes à ne pas voter comme papa et maman ? Qu’il faut s’éloigner de ce modèle, ils le savent déjà ! Voter comme maman et papa, c’est la ruine assurée ! » lance le leader d’En Avant Moris.

Jack Bizlal est, lui, d’avis qu’« un enfant a des droits sur une Constitution républicaine autant qu’un adulte ». Car dit-il, la République se construit sur la liberté de la personne humaine et couvre l’ensemble d’une société. « Le droit de vote a évolué depuis le 17e siècle – le vote universel est accepté aujourd’hui. De mon temps, c’était 21 ans. Depuis 1975, c’est 18 ans. »

Il s’exprime en faveur du droit de vote à 16 ans pour des raisons de maturité politique des jeunes. « Ce droit est déjà accordé en Argentine, à Cuba, au Brésil, entre autres. Dans certains pays, un jeune de 16 ans peut voter s’il travaille, comme en Slovénie. Dans notre pays, le droit de vote à 
16 ans donnerait aux jeunes une perspective d’engagement politique pour un changement majeur à être apporté à notre société sur le plan social, économique, culturel, écologique. Et, surtout, pour avoir une autre perspective de ce que la société de demain exige. »

Par où commencer ? 

Accorder aux jeunes le droit de vote à 16 ans doit s’accompagner de « changements majeurs dans le programme scolaire à tous les niveaux », avance Faizal Jeerooburkhan. L’introduction de l’éducation civique permettrait d’informer et de sensibiliser les jeunes à l’importance et l’histoire de la politique. Contribuant ainsi « à rehausser leur niveau de maturité en termes de responsabilité, d’indépendance, d’autonomie et d’esprit critique entre autres ».

Cette formation est des plus importantes, insiste l’observateur politique. « Sans cela, les jeunes pourraient devenir les proies faciles des parents et d’autres personnes malintentionnées ou même des discours politiques démagogiques et communautaires, surtout sur les réseaux sociaux, pendant les élections », met-il en garde. 

Faizal Jeerooburkhan souligne ainsi la nécessité d’une pédagogie active sous forme de discussions, de débats, de projets pratiques sur le terrain, entre autres. « Faut-il encore que les enseignants soient bien formés. » 

Chez En Avant Moris, Patrick Belcourt assure que des sessions de formation destinées aux membres sont déjà dispensées. « Comprendre nos responsabilités en tant que citoyens engagés en politique nous paraît essentiel. »

Le syndicaliste Jack Bizlall, quant à lui, insiste sur deux aspects fondamentaux pour le droit de vote à 16 ans. « Il faut passer à la Deuxième République par un débat populaire de préparation et il faut se débarrasser des régimes autocratiques et dynastiques. Le débat sur l’âge de vote à 
16 ans doit s’ajouter à plusieurs changements qu’il faudra apporter à notre Constitution. »

Questions à…Ibrahim Koodoruth, sociologue : «Cela permettra d’émanciper la jeunesse mauricienne» 

ibrahimLa jeunesse mauricienne est-elle en mesure d’endosser la responsabilité du vote à 16 ans ?
Dans la société dans laquelle nous évoluons, la jeunesse mauricienne a la maturité politique pour voter à 16 ans. Cependant, nous ne leur avons pas donné la chance dans la prise de décisions ou de développer une certaine indépendance en ce sens. Selon la loi du travail à Maurice, un jeune de 16 ans peut occuper un emploi, donc pourquoi ne pourrait-il pas avoir le droit de vote ? 

Aujourd’hui, on peut témoigner de la maturité des jeunes, notamment à travers leurs discussions sur les sujets d’actualité sur les réseaux sociaux. Le blocage vient notamment de la mentalité conservatrice de certains Mauriciens qui présument qu’un jeune de 16 ans n’a pas de discernement. Plusieurs pays ont adopté l’abaissement de l’âge de vote à 16 ans et le bilan est positif. 

Nous devons être avant-gardistes et donner les moyens aux jeunes en analysant les modèles existants dans les autres pays afin de mettre en place des structures appropriées. Il faut bien commencer la discussion quelque part.   

Mais est-ce une priorité au vu des fléaux sociaux qui gangrènent la jeunesse et la société mauricienne ?
Aujourd’hui, nous sommes une société hypocrite rythmée par la philosophie de « pick and choose ». Dès que nous voyons un cas de violence chez les jeunes, nous l’attribuons à une hausse de la délinquance juvénile. Alors que les statistiques démontrent une augmentation de la violence chez tous les groupes d’âge.   

Nous devons nous poser la question : pourquoi les jeunes réagissent-ils de cette façon ? Avons-nous prévu des structures pour qu’ils puissent canaliser leur énergie autrement ? Sont-ils satisfaits de leurs conditions de vie ? 
Au lieu d’avoir un comportement accusateur envers eux, nous devons comprendre la psychologie derrière afin d’y remédier.

Selon vous, les jeunes s’intéressent-ils à la politique ? Et comment le droit de vote à 16 ans changerait-il les choses ?
Les jeunes sont aujourd’hui très connectés et informés grâce aux réseaux sociaux. Ils sont beaucoup plus interactifs. C’est un drame de ne pas avoir démocratisé la prise de décisions au niveau de toutes les tranches d’âge de notre société.   

Le droit de vote à 16 ans permettra de rectifier le tir, en émancipant la jeunesse mauricienne. De facto, il y aura plus d’engagement au niveau de la société civile, car les personnes en âge de voter seront déjà sensibilisées dès le plus jeune âge sur la gestion des affaires du pays. 

Ainsi, les jeunes seront en mesure de faire entendre leur voix et de défendre leurs valeurs et leurs intérêts, qui sont sans doute drastiquement différents de ceux de la génération précédente.  

Ce qu’en pensent les jeunes : «Notre génération peut contribuer au développement du pays»

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Noushika Dewlaul, Kelvina Romudu et Hansina Pursaramudu

Noushika Dewlaul a 15 ans. Et pour la Mahébourgeoise, le droit de vote à 16 ans coule de source. « En tant que citoyens respectueux des mêmes lois que les adultes, nous devrions être en mesure de nous exprimer sur ces lois qui affectent notre vie », martèle-t-elle.

La collégienne rappelle que « le vote est une responsabilité essentielle du citoyen et les citoyens votent pour que les dirigeants représentent leurs idées et leurs intérêts ». Elle se dit ainsi en faveur que l’âge minimum pour voter soit reconsidéré « afin de donner un certain pouvoir de décision aux jeunes pour choisir leurs propres dirigeants ». Elle n’en démord pas : « Notre génération peut contribuer à un développement considérable du pays. »
Même son de cloche du côté de Kelvina Romudu, 16 ans. « En s’impliquant en politique, la génération future pourra participer aux débats sur des questions sociales. Cela nous donnerait une plateforme pour faire entendre notre voix. Ce sera l’occasion pour nous d’être pris au sérieux et d’avoir une influence sur le renforcement de notre démocratie », argue l’habitante de Balisson. 

Hansina Pursaramudu, également âgée de 16 ans, ne dira pas le contraire. 

« Nous vivons dans une société où nous sommes au courant des affaires politiques et c’est une question de droits des étudiants. Peut-être que si nous avions la possibilité de voter, nous aurions eu notre mot à dire dans les décisions qui nous concernent. Les dirigeants seraient obligés de réfléchir à deux fois. Cela permettrait aux jeunes d’être des acteurs du changement dans le pays », souligne l’habitante de Mare-Tabac. 

N’empêche, ces jeunes sont aussi conscients des problèmes qui pourraient se poser. « Un certain nombre de jeunes ne sont pas aussi impliqués dans la politique. De plus, le manque d’informations pourrait les amener à être victimes d’un discours politique démagogique et simpliste », concède Kelvina Romudu. Hansina Pursaramudu de renchérir qu’en raison d’un manque de maturité et de discernement, « certains jeunes pourraient être soumis à la corruption politique ». 

Les pays où voter à 16 ans est possible

Une dizaine de pays autour du globe accordent le droit de vote à 16 ans. Parmi, on compte le Brésil, l’Équateur, l’Autriche, Cuba, Guernesey, l’île de Man, l’île de Jersey, Malte, le Nicaragua, l’Écosse, la Slovénie et l’Argentine. 

En Europe 

L’Autriche et Malte sont les premiers pays européens à avoir abaissé le droit de vote à 16 ans. Et ce, pour toutes les élections.

Dans certains pays, le droit de vote à 16 ans est applicable sous certaines conditions. À l’instar de l’Estonie où les autochtones âgés de 16 ou 17 ans sont autorisés à voter uniquement sur une échelle locale.

Tandis qu’en Allemagne, c’est une pratique courante dans les États fédérés lors des élections locales. Toutefois, cette condition n’est pas appliquée dans toutes les régions et pas pour toutes les élections.

En écosse, voter à 16 ans n’est possible que pour les élections locales et l’élection du Parlement. Quant à la Slovénie, le droit de vote est ouvert à 16 ans, à condition d’occuper un emploi. 

 

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