
Longtemps célébré comme une innovation révolutionnaire, le plastique est aujourd’hui l’ennemi numéro un de notre environnement. Pourtant, le monde peine toujours à s’entendre sur un traité, comme l’illustre l’échec des négociations à Genève, en août dernier.
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Les plastiques ont été inventés au 19e siècle comme substituts aux matériaux naturels rares et coûteux tels que l’ivoire, l’écaille de tortue ou l’os. En 1862, le chimiste britannique Alexander Parkes présenta la Parkesine, fabriquée à partir de cellulose traitée, lors de l’exposition internationale de Londres. Léger, malléable et coloré, ce premier plastique fabriqué par l’homme ouvrait la voie à une révolution industrielle. Si les premiers plastiques comme la Parkesine et le celluloïd étaient intentionnellement conçus, beaucoup des plastiques modernes (PE, PVC, Téflon) sont apparus par accident.
La production de plastique a explosé pendant la Seconde Guerre mondiale, avec des matériaux comme le nylon et le polyéthylène remplaçant des ressources naturelles rares dans des applications allant des parachutes à l’isolation des radars. Après la guerre, la production de masse bon marché et la polyvalence des plastiques ont favorisé leur intégration dans l’emballage, la construction, l’électronique et les biens de consommation, inaugurant la culture du jetable. Ironiquement, ces mêmes qualités – durabilité, faible coût et résistance à la dégradation – sont aujourd’hui à l’origine de la crise mondiale de pollution plastique.
La production mondiale de plastique a atteint plus de 414 millions de tonnes en 2023, et pourrait atteindre 460 millions en 2025. La moitié de tous les plastiques jamais fabriqués l’a été au cours des 15 dernières années. Chaque année, environ 52 millions de tonnes finissent dans la nature, dont 23 millions dans les systèmes aquatiques et 11 millions dans les océans, soit l’équivalent de plus de cinq sacs-poubelles par mètre de côte dans le monde. À peine 9 % des plastiques produits sont recyclés, tandis que 30 à 35 % sont mal gérés, jetés dans l’environnement ou hors des systèmes officiels, ce qui pourrait porter la pollution à 119 millions de tonnes par an d’ici 2040.
Impacts sur l’océan et le climat
Chaque année, 11 millions de tonnes de déchets plastiques se retrouvent dans les océans, soit plus de 2 000 camions-bennes par jour. Environ 60 à 70 % des déchets marins échoués sur les plages, en poids, sont des plastiques. Les gros objets étouffent la faune et se fragmentent en microplastiques, ingérés par poissons, oiseaux marins et plancton, contaminant la chaîne alimentaire et atteignant l’homme. Les plastiques dégradent les habitats comme les récifs coralliens et les mangroves, modifient les cycles nutritifs et favorisent la propagation d’espèces invasives, rendant les océans écologiquement fragiles.
Les microplastiques compromettent aussi la capacité des micro-organismes marins à absorber le dioxyde de carbone et à produire de l’oxygène. La moitié de l’oxygène terrestre provient de l’océan, principalement produit par le plancton, faisant de celui-ci un puits de carbone vital. En ingérant ces particules, le plancton voit sa croissance et sa reproduction altérées, ce qui accélère la perte d’oxygène océanique.
La production de plastique dépend fortement des combustibles fossiles : 6 à 8 % de la consommation mondiale de pétrole sert à sa fabrication, et cette proportion pourrait atteindre 15 % d’ici 2050. En 2019, la production mondiale de plastiques primaires a généré environ 2,24 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 5,3 % des émissions mondiales totales. D’ici 2050, ces émissions pourraient grimper à 4,75 gigatonnes par an, représentant jusqu’à 20 % du budget carbone restant de la Terre.
La route laborieuse vers un traité mondial sur le plastique
Face à l’inquiétude croissante à l’échelle mondiale concernant les impacts environnementaux et sanitaires des déchets plastiques, en particulier dans les océans, l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (PNUE) à Nairobi a adopté une résolution historique visant à négocier un traité international juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique. Cette résolution a lancé le processus du Comité intergouvernemental de négociation (CIN) en mars 2022, avec pour objectif de finaliser le traité d’ici la fin 2024.
À la suite de cette résolution, le Comité intergouvernemental de négociation (CIN) a été créé pour rédiger le texte. Le processus devait se dérouler en cinq sessions de négociation entre 2022 et 2024. L’avancée du traité sur le plastique s’est articulée ainsi :
En mars 2022, le PNUE a lancé les négociations pour un traité mondial sur le plastique au Kenya.
En novembre 2022, en Uruguay, les négociateurs sont convenus que le traité devait couvrir l’ensemble du cycle de vie des plastiques, de la production à l’élimination.
En mai 2023, en France, les premières divisions majeures ont émergé : certains pays défendaient des règles mondiales contraignantes, tandis que d’autres privilégiaient des plans définis au niveau national.
De retour au Kenya en novembre 2023, le texte du « zéro draft » a été produit, mais les désaccords se sont accentués.
En avril 2024, lors d’une réunion au Canada, certains progrès ont été réalisés sur la gestion des déchets et la conception, mais les différends concernant les limites de production ont persisté.
En décembre 2024, lors de la réunion en Corée du Sud, la dernière session était prévue, mais les résultats s’annonçaient incertains.
Les négociations ont été prolongées jusqu’en 2025 à Genève. Ainsi, bien que l’élan soit resté fort, la forme finale du traité dépendait de la capacité des pays à combler le fossé entre des règles mondiales ambitieuses et des engagements volontaires plus faibles.
À Genève, après près de deux semaines de négociations intensives, du 5 au 14 août 2025, la 6e série de discussions s’est soldée par un échec, aucun accord n’ayant été atteint. Les délégués n’ont pas réussi à combler les profondes divergences sur la question de savoir si le traité devait imposer des limites mondiales à la production de plastique ou se concentrer principalement sur la gestion des déchets et la sécurité chimique.
Les États-Unis, alignés avec des pays producteurs de pétrochimie tels que l’Arabie saoudite et le Koweït, ont résisté à des engagements contraignants pour réduire la production de plastique, préférant des solutions volontaires et en aval. Cette position a bloqué le consensus, malgré le soutien massif de plus de 100 pays réclamant des mesures plus strictes en amont. Cette impasse souligne les limites d’un modèle de négociation basé uniquement sur le consensus.
Le monde reconnaît qu’il existe une crise des déchets plastiques, mais il n’arrive pas à s’entendre sur une solution. L’ONU n’a pas réussi à parvenir à un accord définitif sur la pollution plastique, malgré les efforts considérables déployés aux niveaux national et international, notamment dans l’Union européenne et en Inde.
Que pourrait-il se passer ensuite ? Certains pays envisagent de former une coalition distincte, les « Coalitions de volontaires », pour négocier un traité entre nations partageant les mêmes positions. Un tel groupe pourrait rassembler plus de 90 pays soutenant l’initiative, potentiellement rejoints par de grandes économies comme l’UE et la Californie, créant ainsi une incitation basée sur le marché pour une adoption plus large.
Des discussions sont en cours pour étudier la possibilité de lancer des négociations en dehors du cadre du PNUE. Les options explorées incluent l’intégration de la réglementation sur les plastiques dans des accords existants, comme la Convention de Bâle sur les déchets dangereux, ou la création d’un processus de traité parallèle, à l’image du Traité d’interdiction des mines, fonctionnant en parallèle du système de l’ONU.
La pandémie plastique
Chaque année, le monde produit plus de 400 millions de tonnes de plastique – un chiffre qui a doublé en seulement deux décennies et devrait tripler d’ici 2060 si les tendances actuelles se poursuivent.
Production de plastique (exponentielle) :
- 1950 : 1,5 million de tonnes
- 2018 : 359 millions de tonnes
- 2023 : 414 millions de tonnes
- 2025 : 445 millions de tonnes (prévision : 460 millions)
Pourquoi un traité mondial solide sur les plastiques est crucial pour Maurice
Pour les petits États insulaires comme Maurice (SIDS), le traité sur les plastiques est particulièrement vital, car nous subissons des impacts disproportionnés de la pollution plastique malgré notre faible contribution à la production mondiale. Les plastiques échoués menacent notre tourisme, endommagent des écosystèmes marins fragiles tels que les récifs coralliens et perturbent les pêcheries dont dépendent de nombreuses communautés côtières. La gestion des déchets constitue un défi majeur pour le pays en raison de l’espace limité et des infrastructures insuffisantes, faisant des plastiques à usage unique importés un fardeau permanent.
Un traité mondial solide, en particulier un traité ciblant la production de plastique et garantissant le financement ainsi que le transfert de technologies, aiderait Maurice à réduire les coûts de nettoyage, à protéger sa biodiversité marine et à préserver les moyens de subsistance liés au tourisme et à la pêche.
Maurice génère environ 116 000 tonnes de déchets plastiques par an, dont environ 71 000 tonnes (61 %) finissent en décharge, tandis que 42 000 tonnes (36,5 %) restent non collectées et seulement environ 2,5 % sont recyclées.
Bouteilles en PET : un problème sous-estimé
Chaque année, 130 millions de bouteilles en polyéthylène téréphtalate (PET), soit 2 500 tonnes de plastique, sont mises sur le marché à Maurice. Seules 40 % d’entre elles sont recyclées ; les 60 % restantes finissent dans l’environnement, contribuant à la pollution des sols, des rivières et des océans. Au-delà des bouteilles, la majorité des déchets plastiques provient des emballages à usage unique.
Ces bouteilles, fabriquées à partir de pétrole brut et de gaz naturel, présentent des risques pour la santé humaine et l’environnement tout au long de leur cycle de vie. Elles libèrent des substances chimiques nocives, comme l’antimoine et les phtalates, surtout lorsqu’elles sont exposées à la chaleur ou utilisées de manière prolongée.
Par ailleurs, elles émettent 82 à 100 g de CO2 par unité et jusqu’à 200-300 g CO2e si l’on inclut le transport, l’emballage et l’élimination. La production elle-même représente 70 à 80 % des émissions, le reste provenant de la logistique et du traitement des déchets. Pour 1,3 million de consommateurs, l’empreinte carbone annuelle atteint 13 000 tonnes équivalent CO2.
Au-delà de leur impact climatique, ces bouteilles représentent une menace pour les écosystèmes : en 2020, 34 milliards de bouteilles PET ont été rejetées dans l’environnement marin, provoquant des dommages aux services écosystémiques et la mort d’innombrables animaux. Leur gestion exige des mesures systémiques : réduire la consommation, renforcer la réglementation sur les plastiques à usage unique, encourager le réemploi et responsabiliser les producteurs grâce à la Responsabilité élargie des producteurs (REP).
Un retard persistant
Depuis 1970, les plastiques sont reconnus comme des polluants, mais cette prise de conscience a eu peu d’impact sur les politiques nationales. Le ministère de l’Environnement n’a été créé qu’en 1992, à la suite du Sommet de la Terre de Rio, et ce n’est que 28 ans plus tard que la question a commencé à être traitée sérieusement.
Dans le Budget 2020-21, le gouvernement annonçait la révision et le renforcement du cadre réglementaire pour le contrôle des déchets plastiques : interdiction des sacs plastiques pour les consommateurs, suppression des sacs à roulettes et des sacs de poche de moins de 300 cm², mise en place d’un mécanisme de collecte des bouteilles en PET et interdiction de dix produits plastiques à usage unique. Des eco-boxes de collecte de déchets plastiques devaient également être installées à des points stratégiques pour le recyclage.
Deux règlements clés sont entrés en vigueur en 2020 : le Règlement sur le contrôle des produits plastiques à usage unique et le Règlement sur l’interdiction des sacs plastiques. Une dizaine de produits à usage unique ont été interdits et les sacs plastiques prohibés. Mais les bouteilles en PET et certains emballages ont été exclus, sous la pression de grandes entreprises, une omission majeure alors qu’ils comptent parmi les principaux contributeurs à la pollution plastique à Maurice.
Ces règlements ont été successivement prolongés : entrés en vigueur le 15 janvier 2021, expirés le 15 janvier 2023, prolongés jusqu’en 2025 par l’ancien gouvernement, puis jusqu’en 2026 par le nouveau.
Des lacunes toujours présentes
Le rapport de l’Audit 2025 souligne les failles persistantes : bien que le Département de l’Environnement ait pris des initiatives pour réduire les plastiques à usage unique, les règlements révisés n’étaient toujours pas finalisés. En novembre 2022, 15 amendements pour encourager l’usage de produits biodégradables et 23 amendements concernant l’interdiction des sacs plastiques avaient été proposés. Plus de 22 mois plus tard, seuls 13 amendements sur les plastiques à usage unique avaient été avancés, tandis que 17 amendements sur les sacs plastiques restaient en discussion depuis plus de 17 mois.
Ce n’est qu’en septembre 2024 que l’Université de Maurice a été mandatée pour réviser ces règlements, avec une mission prévue jusqu’en août 2025.
À l’instar des négociations de l’ONU à Genève, Maurice peine à produire des résultats concrets. Malgré des années de réglementations, d’interdictions et d’annonces politiques, les déchets plastiques continuent de submerger les décharges, polluer les lagons et obstruer les rivières. L’écart entre engagements et mise en œuvre reste immense, mettant en lumière l’urgence d’un leadership plus fort, d’une responsabilité accrue et d’un véritable passage de la rhétorique aux actes.
La leçon de Rodrigues
Rodrigues offre un exemple puissant de la manière dont les petites communautés insulaires peuvent montrer la voie en matière de gestion des plastiques grâce à une législation audacieuse, à l’implication communautaire et à des alternatives durables.
En étant la première île de la région à interdire les sacs plastiques à usage unique en 2014, puis en élargissant cette interdiction en 2019 aux contenants alimentaires en polystyrène et aux ustensiles en plastique, Rodrigues a démontré que la volonté politique, même à l’échelle locale, peut entraîner des changements environnementaux significatifs.
L’approche de l’île combine une application stricte de la loi avec des campagnes de sensibilisation, un tourisme durable et le développement d’entreprises vertes – montrant ainsi que la gestion efficace du plastique ne repose pas uniquement sur des interdictions, mais aussi sur des mécanismes de soutien favorisant le changement de comportement et l’éco-innovation.
Rodrigues nous enseigne que lutter efficacement contre la pollution plastique ne repose pas sur des actions isolées, mais sur la création d’une culture de durabilité impliquant autorités, entreprises et communauté dans son ensemble.
par Sunil Dowarkasing, expert environnemental et ex-membre de Greenpeace

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