L’énergie verte et le positionnement de Maurice. Le gouvernement a placé son objectif à 40% de part d’énergie verte d’ici 2030. L’émission au Cœur de l’Info de Radio Plus de ce mercredi 24 juin a mis l’accent sur ce dossier. Jane Lutchmaya et Eshan Dinally ont abordé ce thème et ce qui en ressort c’est que Maurice a le potentiel pour atteindre bien plus que 40%.
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Pas de vision d’ensemble
Khalil Elahee, chargé de cours à l’Université de Maurice et spécialiste en énergie renouvelable explique qu’il faut que le gouvernement ait une vision sur l’objectif à atteindre. Il est d'avis que pour atteindre cet objectif, il faut garantir la sécurité énergétique, l’efficacité énergétique et surtout maîtriser la demande en énergie. Il a expliqué la dangereuse dépendance sur l’énergie fossile. Un simple souci avec un des pays fournisseurs dans le Golfe peut nous mettre en danger.
Khalil Elahee affirme que Maurice possède des ressources locales, comme le Soleil, la biomasse, entre autres. D’ajouter que le coût de la photovoltaïque est aussi bon marché que produire à partir du charbon. Le prix de la photovoltaïque a baissé par presque 90% durant 10 dernières années, affirme Khalil Elahee. De plus, il est d’avis qu’il faut des devises pour acheter du charbon, Maurice débourse entre Rs 30 milliards à Rs 35 milliards pour l’énergie fossile chaque année.
Maurice accumule un retard selon lui. Pendant plus de 20 ans nous sommes tournés autours de 20% de part d’énergie verte. D’ailleurs, en 2007, la outline energy policy avait visé 48% d’énergie verte en 2025. « Si nous voulons faire la transition il faut atteindre un but et placer la barre à 100% de part » estime le spécialiste. D’ajouter que Rodrigues peut aspirer à produire 100% d’énergie renouvelable de par sa nature (petite ile, ensoleillement, entre autres). « Nous avons une vision partagée au niveaux des décideurs et desopérateurs. Ils ne formulent pas de souhaits concordantes ».
Parlant du dossier de Liquefied Natural Gas (LNG), Khalil Elahee estime qu’un projet de cette envergure comporte un gros investissement. Des milliards sont en jeu. Une étude de Rs 100 million est prévu sur la LNG. L’étude devrait être menée par la STC, « cela veut dire qu’il y a des gens qui veulent introduire la LNG à Maurice ». Selon lui, il faut savoir ce que motivent ces projets. Cela comprend des milliards d’investissement. Pour le chargé de cours il y a des risques de corruptions aussi, en amont certains décident sur quel projet un gouvernement doit mettre l’accent. Il affirme que dans ces cas c’est toujours les mêmes agents, mêmes courtiers et contracteurs qui reviennent tout le temps. Pour Khalil Elahee, le LNG est une industrie qui va mal et il n’y a pas de demande
Dans une interview dans le journal Le Dimanche-L’Hebdo du 21 juin, l’observateur Ashok Aubeeluck avait souligné la présence de lobbies qui empêche le développement des énergies de la mer comme les éolienne flottantes et les vagues. Pour Khalil Elahee, il y a un potentiel à Maurice mais pour cela il faut adhérer aux principe des quatre D : Décentraliser, Décarbonner, Démocratiser (produire et consommer) et Digitaliser l’énergie verte. Il est d’avis qu’il faut cesser avec des promoteurs qui contrôlent les choses dans ce secteur depuis des décennies. Il ajoute que le prix de la photovoltaique a baissé depuis que la Chine a commencé à exploiter le secteur.
Il déplore, cependant le fait que le secteur du transport n’évolue pas. Le carburant pour le transport représente un investissement de Rs 10 milliards par année. « Malheureusement le bioéthanol produit à Maurice est exporté…Il ne faut pas être contradictoire dans les politiques on parle de moins de pollution mais étend la durée d’opération des autobus fumigènes ». Pour le chargé de cours, l’urgence climatique est là et il faut que Maurice prend les devants et faire de la transition une stratégie nationale.
Maurice peut atteindre 100% de part d’énergie verte
Yan Hookoomsing, militant écologique et membre du conseil de la National Renewable Energie Agency demande à ce que le gouvernement impose un coal tax sur le charbon et aussi sur l’huile lourde. Il explique que cette taxation doit être incluse dans les nouveaux contrats des producteurs indépendants. La raison est que dans le passé, une charge additionnelle (MID Levy) imposée sur les producteurs avait été amortie par le Central Electricity Board (CEB) et ce sont les contribuables qui avaient casqué car cette charge n’était pas présente dans le contrat des producteurs.
« Il faut cesser avec les IPP (independant power producers)qui utilisent le charbon ». Cette réflexion du militant comporte un danger si le gouvernement y adhère dans l’immédiat. Il pourrait avoir un Blackout. Or, Yan Hookoomsing souligne qu’il faut y aller progressivement et placer des objectifs annuels entre 2020 et 2030. Il cite des exemples sur le continent par exemple le Rwanda qui est un modèle en termes d’énergie verte « alors que Maurice est en retard ».
Yan Hookoomsing affirme que Maurice est une petite Ile et que c’est possible d’atteindre les 100% d’énergie renouvelable s’il y a une volonté. Maurice est à 20% d’énergie renouvelable alors que la moyenne mondiale est de 26 %, explique le militant. Il y a 15 ans nous étions à 26% alors que le monde était à 16% et La Réunion est à 36,5% de part d’énergie renouvelable. Investir dans énergie verte pourrait engendrer un boom économique à travers des investissements. Pour Yan Hookoomsing, il faut un Green Economic Recovery post-COVID qui peut être piloté par un boom de l’énergie verte dans les quatre coins de l’île.
« Maurice a déboursé Rs 37,5 milliards dans l’énergie fossile en 2018. Il faut aller vers l’énergie renouvelable si nous voulons effectuer la transition. Il fallait créer le Gouvernement Green Energy Bond pour investir dans la transition ». Il cite un rapport d’experts de l’Université de Stanford qui souligne que Maurice peut atteindre 100% d’énergie renouvelable d’ici 2050. Le secteur peut, même, engendrer 54 000 emplois d’ici 2050 ans.
Pour ce qui est de la transition, Yan Hookoomsing estime qu’il faut mettre le maximum d’effort sur l’électrification : des voitures et des autobus, en même temps diminuer la demande pour les énergies fossiles. « Annoncer 25 mégawatts (MW) d’énergie solaire n’est pas une mesure, il faut créer un boom économique vert dans chaque coin de Maurice », affirme le militant qui commentait sur une des annonces du budget 2020-2021.
L’intermittence joue les trouble-fête
Chavan Dabeedin, officer in charge du CEB, est catégorique. Maurice ne peut pas se fier à 100% sur les énergies renouvelables pour le moment. « La stratégie du CEB c’est de réduire la dépendance sur les énergies fossiles et d’aller vers des énergies alternatives et renouvelables ». Malgré cette volonté, la technicité de cette énergie fait que c’est difficile de dépendre à 100% de l’énergie verte. Les sources commercialement viables à Maurice sont : la bagasse, le solaire, hydro-électrique et l’éolienne. Or, Maurice a déjà exploité toutes les sources hydro-électriques et la Bagasse. Il reste le solaire et l’éolienne. Ces sources sont économiquement viables mais l’intermittence de leurs fournitures les rend peu fiable à Maurice. La raison c’est l’absence d’ensoleillement constante (comme dans un désert) et de vent constants. Ces intermittences engendrent des problèmes de stabilité sur le réseau. Ce n’est pas pour cela que Maurice a installé 100 MW de photovoltaïque.
Comment augmenter la part d’énergie verte tout en réglant le problème d’intermittence ? Les IPP produisent une quantité stable et constante d’électricité à travers la bagasse été le charbon. Cependant, lorsque le CEB y ajoute les énergies vertes, il faut, quand-même, avoir des contremesures pour rendre la fréquence stable. Chavan Dabeedin explique que la fréquence est de 50 hertz. Pour contrer les variations le CEB a pris quatre mesures pour stabiliser les réseaux :
- Augmenter la capacité des centrales conventionnelles qui roulent à huile lourde – les centrales changent de fréquences pour compenser en augmentant ou diminuant leurs productions.
- L’installation de batteries – elles aident les centrales à corriger les fréquences. Elles stockent l’électricité lorsqu’il y a un surplus et la relâche sur le réseau lorsqu’il y a un manque. Une capacité de 4 MW est disponible et 14 MW additionnels seront installés.
- Le Système de prédictibilité des réseaux. Ce logiciel prédit les variations et aide le CEB à contrôler les centrales à distance.
- En dernier un système de régulateur de fréquences à distance qui contrôle les turbines.
Chavan Dabeedin souligne que grâce à cela, le CEB a pu contrôler et amortir une pointe record de 507,2 MW enregistré en décembre 2019, sans avoir à procéder au délestage. Quant au projet Deep Ocean Water Application (DOWA), il souligne qu’il faut voir si c’est commercialement viable.
Les opérateurs réclament un assouplissement des procédures
Shyam Seetaram, directeur de la ferme solaire Sarako, estime qu’il faut pouvoir raccorder le solaire au réseau et améliorer le système de distribution. Il déplore le manque de terrain pour l’installation des panneaux solaire à Maurice.
D’ajouter que La Réunion a intégré le solaire dans l’agriculture et sur les bâtiments mais qu’à Maurice, les lois déjà existant sont lents. « Il faut techniquement démocratiser l’énergie ».
Shyam Seetaram affirme qu’il faut diversifier la façon de faire et encourager les grandes fermes de 20 MW ou 30 MW. Le plus important, selon lui, c’est d’amender la loi pour utiliser les terrains abandonnés et les transformer en fermes solaires. « Les gens peuvent installer sur leurs maisons pour aider le CEB et aussi revendre tout en étant indépendant…imaginez si pendant le confinement Maurice n’avait pas pu importer du carburant ».
Irfan Fatadin, directeur de la compagnie Reneworld, revendeur et installateur de panneaux solaires explique que l’intérêt grandi pour les énergies vertes. Il affirme qu’ajouter aux incitations fiscales du gouvernement, les panneaux solaires sont plus accessibles car il y a eu une baisse de 35% sur le coût d’une installation en cinq ans. « Le solaire est aussi compétitifs que le fossile ». Pour rappel l’installation est de Rs 200 000pour une maison de 15 000 pieds carrés.
Irfan Fatadin déplore, cependant qu’il y a des retards dans l’exécution des mesures gouvernementales. Des mesures sont reportées, comme par exemple le projet MSDG (Medium Scale Distributed Generation) qui devait commencer il y a deux ou trois ans. Ajouté à cela, les longues procédures administratives qui découragent les gens. Il faut environ un an avant d’obtenir un permis du CEB. « Il faut attendre le CEB pour placer des panneaux sur sa maison. Entre temps les gens peuvent changer d’avis », affirme l’homme d’affaires. Il affirme que pour le moment il n’y a que 3 000 installations sur les toitures des maisons à Maurice alors qu’il y a environ 300 000 maisons potentielles.
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