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Association de malfaiteurs : quand des gangs prennent la loi entre leurs mains

La rixe sanglante du 3 mai 2024 à Port-Louis, qui a coûté la vie à Goolam Khodabux, 68 ans, en a choqué plus d’un. Cette guerre entre deux gangs soulève des questions cruciales sur les mesures légales et les stratégies de lutte contre l’association de malfaiteurs. Que dit la loi ? Où se situent les lacunes ? Comment remédier au problème ? Éclairage avec Me Ravi Rutnah.

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Qu’est-ce qu’une association de malfaiteurs (le banditisme) ? 

L’article 188 du Code pénal définit le terme « association de malfaiteurs » de la manière suivante : « Toute association de malfaiteurs envers les personnes ou les propriétaires est un crime contre la paix publique. » 

Cet article ne peut toutefois pas être lu de façon isolée. Sa portée est prévue par l’article 189 du Code pénal. Une telle association existe lorsqu’il y a : 

(a) une bande organisée ; 
(b) la correspondance entre cette bande et son ou ses chefs ; et 
(c) une convention ayant pour objet de rendre compte ou de procéder à une distribution ou au partage du produit de leurs actes illicites.

Pourquoi certains individus s’associent-ils à un groupe de malfaiteurs ? 

Une des principales motivations serait liée au manque de sentiment d’appartenance. De nombreux facteurs peuvent exposer un jeune à un risque plus élevé de devenir membre d’un gang. Ceux-ci pourraient inclure : la faible estime de soi ; ainsi que le sentiment de désespoir quant à l’avenir en raison : 
(1) du manque d’opportunités éducatives ; (2) du manque de finances ; 
(3) de temps libre non structuré en dehors des heures de cours ; 
(4) d’une surveillance minimale d’un adulte ; 
(5) d’antécédents familiaux d’implication ou d’affiliation à un gang ; 
(6) d’une enfance ou d’une adolescence dans une zone à forte activité de banditisme ; 
(7) de troubles de la santé mentale, tels que le trouble du déficit de l’attention ou la dépression ou encore des troubles de la santé mentale liés à la consommation d’alcool ou de drogue. La liste est non exhaustive. 

Les recherches ont constamment démontré que les jeunes impliqués dans un gang ont tendance à manquer de liens étroits avec leur famille, leurs amis et leur école. Il est donc facile de voir comment l’attrait de rejoindre l’environnement très uni d’un gang peut attirer les jeunes se trouvant dans ce type de situation. 

Une étude a démontré que les jeunes qui percevaient un traitement équitable de la part des enseignants et des autres adultes à l’école. Elle a révélé aussi que ceux qui ressentaient un sentiment d’appartenance à l’école étaient plus susceptibles d’éviter de rejoindre un gang. Même constat pour ceux qui vivaient dans des quartiers bénéficiant du soutien d’adultes. 

En l’absence de liens sains, les gangs peuvent satisfaire les besoins d’un jeune, et ce de plusieurs manières : 
(1) En leur procurant un sentiment de famille ; 
(2) En leur offrant une communauté et une identité ; 
(3) En leur donnant un statut d’appartenance ; 
(4) En leur assurant la protection et la sécurité ; 
(5) En favorisant la loyauté et le soutien ; 
(6) En leur offrant une acceptation ; 
(7) En leur fournissant un moyen d’exprimer ses émotions ; et 
(8) En encourageant la dépendance. 

Même si l’appartenance à un gang peut apporter certains avantages psychologiques à court terme, les conséquences à long terme peuvent être préjudiciables. Cela peut affecter les individus, leurs familles et les communautés dans leur ensemble.

Quel est son mode opératoire ? 

Le recours à la violence, la corruption et le blanchiment d’argent sont les caractéristiques les plus typiques qui façonnent le mode opératoire des bandes criminelles. L’usage de la violence et de l’intimidation envers les victimes, les membres de groupes au sein d’une même organisation ou les membres d’autres organisations, a été défini comme un ingrédient du comportement mafieux. Cela entraîne la « loi du silence » qui impose aux associés de garder le silence. 

L’usage de l’influence et de la corruption chez les hommes politiques, l’administration publique, le système de justice pénale et les représentants du secteur privé est considéré comme un outil des groupes organisés qui facilite leurs opérations.

Que dit la loi ?  

La loi stipule qu’un tel crime existe par le simple fait de l’organisation d’une bande et de ses chefs ou de ses commandants ou d’un accord ayant pour but de rendre compte d’une répartition des biens produits par leurs actes illicites. 

Toute personne qui fait partie d’une telle bande, et qui fournit sciemment et volontairement à celle-ci des armes, des munitions, des instruments de crime, un logement ou un lieu de retraite ou de réunion, est également coupable d’association de malfaiteurs. La sanction prévue est une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à vingt ans.

Comment est constituée une association de malfaiteurs ? 

L’association est formée comme tout autre groupe ayant un objectif commun. La seule différence est que l’association de malfaiteurs est un groupe d’individus dont le but est de se lancer dans des activités criminelles qui provoquent des ravages et des troubles sociaux. 

Une telle association est constituée généralement par un groupe d’individus qui sont frustrés ou qui croient avoir été abandonnés par le système ou la société. C’est pour cette raison qu’ils prennent la loi entre leurs mains. 

Il existe cependant une autre catégorie d’individus dont le but est de commettre des crimes organisés. L’association est créée dans l’objectif de nuire à la société à travers une série d’activités criminelles.

Quid des dangers pour la société ? 

De nombreuses grandes communautés sont à haut risque d’activité gangstériste. Les gangs génèrent des problèmes négatifs, tels que la peur liée à la perte d’opportunités économiques. Cette situation entraîne la dégradation du statut social de la région et la destruction du tissu familial de la société. 

Les membres de la communauté vivent dans une peur constante que leur vie, ainsi que celle de leur famille et de leurs amis, soit un jour menacées par le vol ou la violence. Les activités des gangs privent les citoyens de la paix et du confort dans leurs activités quotidiennes.

La plupart des gens sont désormais contraints de mener leur vie comme des prisonniers derrière des systèmes de sécurité anti-effraction. Cela entraîne des dépenses supplémentaires pour l’installation de dispositifs de sécurité supplémentaires, de caméras de surveillance, voire le recours à des services de sécurité privée. Les adultes, les personnes âgées ainsi que les enfants sont tous affectés par la peur constante de même que par la violence injustifiée perpétrée par les gangs et leurs membres.

Quelles sont les conséquences du banditisme ? 

La population peut être une victime directe d’extorsion, de viol ou de meurtres, utilisés par les gangs pour renforcer leur domination. Leurs activités perturbent et nuisent à la vie quotidienne des citoyens. Lorsque la guerre entre les gangs ou contre la police devient permanente, le phénomène de victimisation s’intensifie. 

Les membres de gangs peuvent eux-mêmes être victimes d’actes de violence, être tués ou être blessés. Ils peuvent également être capturés par la police. Les familles des membres de gangs tués ou emprisonnés souffrent des conséquences similaires. Même si les membres de gangs ne peuvent espérer de gagner une fortune, leur absence peut signifier le dénuement pour les membres de leur famille.
L’activité des gangs perturbe également le bon fonctionnement de services tels que les soins de santé et l’éducation, entre autres. Cela peut se produire parce que des restrictions de mouvement ont été imposées aux populations ou parce que les employés de ces services ne se sentent plus suffisamment en sécurité dans le voisinage. 

La violence des gangs impacte particulièrement les pays, les régions ou les communautés qui ont déjà été fragilisés par un environnement social et économique difficile. Les activités des gangs provoquent aussi une perturbation encore plus grande des mécanismes d’adaptation qui ont été développés. 

Un exemple flagrant de cette dynamique est l’argent extorqué aux acteurs économiques, qu’ils opèrent dans le secteur informel ou dans les rares entreprises formelles situées dans les quartiers contrôlés par les gangs. Les commerçants n’ont d’autre choix que de supporter ces prélèvements imposés, ce qui les empêche de développer leur entreprise et limite leur capacité à prospérer. 

Quant aux entreprises formelles, elles choisissent de se délocaliser dès qu’elles en ont la possibilité ou cessent purement et simplement leur activité. La perte de ces emplois réduit le nombre d’opportunités disponibles pour les jeunes, les poussant ainsi davantage vers les gangs. Les prisons dans lesquelles sont détenus les membres de différents gangs sont aussi le théâtre de nombreux affrontements entre bandes et d’atrocités infligées aux autres détenus (viol, meurtre et extorsion, entre autres).

Où situent les lacunes ? 

Les jeunes rejoignent souvent des gangs pour combler le vide affectif, le besoin d’attention, de reconnaissance et de protection qui leur manque à la maison. La rupture des liens familiaux traditionnels est également un facteur important. 

De nombreux jeunes grandissent sans avoir de modèle adulte positif à suivre. Beaucoup sont témoins de violence domestique, ainsi que de consommation d’alcool et de drogue au sein de leur foyer. 
Le manque d’implication des parents, ainsi que l’absence de règles et de rituels familiaux, permettent aux membres plus âgés des gangs de devenir des figures d’autorité pour les jeunes adolescents et les enfants. Ayant une faible estime de soi, certains jeunes à la recherche du statut qui leur manque, à cause du chômage ou de l’échec scolaire, rejoignent des gangs. 

De nombreux membres de gangs de rue perpétuent une tradition familiale établie par des frères, des sœurs, des parents, des grands-parents, des oncles, des tantes ou des cousins qu’ils considèrent comme des modèles. De plus, le manque d’opportunités d’emploi, le manque de choix récréatif positif et l’absence de réponses efficaces à la pression des pairs peuvent créer un climat favorisant l’adhésion à un gang. 

De nombreux adolescents et jeunes n’ont aucun intérêt en dehors de l’école. Rejoindre un gang leur permet d’avoir des amis avec qui ils peuvent partager leur temps libre. 

L’attrait financier de l’appartenance à un gang est difficile à contrecarrer. Les membres de gangs partagent les bénéfices du trafic de drogue et d’autres activités illégales. Pour un adolescent, l’argent est synonyme de statut social. 

De nombreuses personnes sont sans emploi, ni source de revenus. Devenir membre d’un gang peut offrir à un adolescent la possibilité de gagner rapidement de grosses sommes d’argent. Car de nombreux gangs sont impliqués dans la vente illégale de drogues et d’armes à feu. 

Pour contraindre les autres à rejoindre leur gang, les membres peuvent recruter en recourant à des tactiques alarmistes. Les gens sont alors forcés à adhérer pour se protéger ainsi que leurs familles du gang local ou de ses rivaux. L’appartenance à un gang peut également être considérée comme un refuge pour un enfant vivant dans une communauté infestée de gangs.

Comment combattre ce phénomène qui prend de l’ampleur ?   

Pour empêcher les individus de rejoindre des gangs, les communautés doivent adopter plusieurs stratégies. D’abord, un équilibre entre les stratégies de prévention, d’intervention et de suppression est important pour le succès de toute communauté. 

Ensuite, les programmes de prévention peuvent cibler les jeunes susceptibles de rejoindre des gangs. Il faut des stratégies pour mettre en œuvre des sanctions afin de dissuader les jeunes de se joindre à des gangs.

Quelles sont les sanctions ?   

À Maurice, toute personne reconnue coupable du délit d’association de malfaiteurs risque une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à vingt ans.

Association de malfaiteurs

 

 

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