Dix mois après sa nomination comme directeur général de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), Alain Gordon-Gentil dresse son bilan. Financièrement, ça va mieux, mais il reste encore beaucoup à faire. Il annonce aussi plusieurs mesures de restructuration et souligne que la manière de traiter l’information a radicalement changé.
Vous avez été nommé directeur général de la MBC en décembre dernier. Onze mois plus tard, quel constat faites-vous de la situation ?
Pour ce qui est du contenu de nos programmes, de notre traitement de l’information, je pense que tous les Mauriciens l’auront constaté : la télévision qu’ils voient aujourd’hui n’a rien à voir avec celle qui leur a été offerte ces dix dernières années. D’une télévision de propagande imposée à la population par une direction travaillant sous ordre politique, nous sommes parvenus en quelques mois à offrir aux Mauriciens une télévision et une radio qui, je pense, les respecte. Tout n’est pas parfait, mais je suis d’avis que nous avons pris la bonne direction.
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Le rapport d’audit couvrant la période 2023/2024, remis en mai dernier par le directeur de l’audit Dharamraj Paligadu, fait état d’un déficit accumulé de Rs 1,5 milliard. Quelle est la situation aujourd’hui ?
Lorsque la nouvelle équipe a pris la direction en décembre 2024, la situation financière indiquait un déficit cumulé de Rs 1,5 milliard. Depuis, nous avons engagé un plan de redressement radical : rationalisation des dépenses, ajustement des prévisions budgétaires, meilleure maîtrise de la gestion et application du plan stratégique. Aujourd’hui, la situation s’est stabilisée, avec un déficit opérationnel ramené à environ Rs 138 millions, ce qui marque un tournant après plusieurs années d’irresponsabilité qui ont mené à une dérive, pour tout dire, choquante. Mais soyons clairs, nous ne sommes pas sortis d’affaire : la MBC est en pleine phase de transformation. La masse salariale ainsi que le nombre d’employés sont un défi majeur.
Comment comptez-vous les relever ?
C’est dans cette optique que nous avons lancé un audit complet des ressources humaines. L’objectif est de mettre en place une gestion saine et rationnelle. Quand vous êtes dans le management quotidien de la MBC, un incroyable paradoxe vous saute aux yeux. Tous les chefs de département, sans exception, se plaignent de ne pas avoir assez de personnel pour faire tourner dans les meilleures conditions leurs départements. Et ils ont souvent raison. Je le constate moi aussi. Mais, par ailleurs, nous avons plus de 700 employés, ce qui est largement plus que nos besoins. Alors ? Alors la question doit être posée. Qui a embauché qui, et pour faire quoi, et dans quel but ? Il faut savoir qu’à la MBC il existe encore le titre de « Word Processing Operator », un métier disparu depuis plus de 50 ans, à l’époque des typing pools et avant l’invention des ordinateurs personnels. Tous ces recrutements de masse, souvent à la veille des élections, qui les a ordonnés et pourquoi ? Tôt ou tard, il faudra bien le savoir.
Qu’est-il fait pour remettre la MBC dans le vert ?
L’équation est simple (en tout cas sur papier) : il s’agit de réduire les dépenses et d’augmenter les revenus. Le seul poste où les recettes peuvent augmenter est celui du marketing et de la publicité. C’est pour cela que le département de publicité est actuellement en pleine refonte. Pendant plusieurs décennies, si un annonceur voulait faire une campagne sur un support audiovisuel, il n’y avait pas d’autre choix que la MBC. Nous étions le passage obligé. Ce n'est plus le cas. Les revenus publicitaires sont en forte décroissance, en raison de la fragmentation des audiences, de la montée en puissance des plateformes numériques et du déplacement massif des budgets vers les médias sociaux. Il faut donc, pour la MBC, opérer dans un monde radicalement différent, où la concurrence est féroce. Il nous faut prouver chaque jour que la MBC offre un bon rapport qualité-prix aux annonceurs. D’où le grand soin apporté à la nouvelle programmation, notamment. Aujourd’hui, par exemple, les annonceurs veulent être présents dans le prime, avant les infos de 19h30. Ils savent que ce bulletin rassemble une immense partie de la population mauricienne et que son impact n’a pas d’égal dans le paysage médiatique mauricien. Les trois nouvelles radios RM1, RM2 et RM3 sont bien installées et proposent une offre différente. RM1, par exemple, n’a même pas 100 jours d’existence et s’impose comme une radio d’avenir. Les équipes sont motivées et on sent à l’antenne ce mélange de sérieux et de fun.
La masse salariale de la MBC est-elle en adéquation avec ses revenus ?
Je viens de l’évoquer à demi-mots. Non, la masse salariale actuelle de la MBC n’est clairement pas en adéquation avec ses revenus. Le constat est sans équivoque : près de 45 % des dépenses totales concernent les salaires, alors même que les revenus stagnent et que les sources de financement traditionnelles s’essoufflent. Les recettes de la MBC proviennent majoritairement de la redevance (licence fees), fixée à Rs 150 par mois. C’est-à-dire que chaque Mauricien dépense Rs 5 par jour pour 17 chaînes de télévision et 5 chaînes de radio. Qui peut dire que cela est exagéré ? J’ai toujours pensé – j’ai peut-être tort – que ce n’est pas payer Rs 150 qui mettait les Mauriciens en colère, c’était payer Rs 150 pour une télévision qu’ils étaient arrivés à détester et qu’ils ne regardaient plus. Se retrouvant donc à payer pour une télé et une radio qu’ils ne regardaient et n’écoutaient plus, ça les mettait en colère. Notre priorité est d’élever la qualité du produit MBC, de regagner la confiance du public et de démontrer que chaque roupie investie dans le service public audiovisuel en vaut la peine. Un média public fort et indépendant ne peut se construire sans ressources solides et une vision à long terme. Dans ce contexte, le poids de la masse salariale exerce une pression insoutenable sur la trésorerie et compromet la capacité de la MBC à investir dans la modernisation, la production de contenus innovants et la digitalisation. C’est précisément pour cette raison que le plan stratégique prévoit une révision en profondeur du modèle économique, un audit organisationnel complet et une optimisation des ressources humaines afin de rétablir l’équilibre entre la masse salariale, la performance et la soutenabilité financière.
Certains affirment que la MBC est aujourd’hui largement « overstaffed ». Partagez-vous ce point de vue ? Et si oui, des mesures sont-elles envisagées pour remédier à cette situation ?
Oui, il faut être lucide : la MBC est aujourd’hui surdimensionnée. C’est pourquoi nous avons lancé cet audit complet des ressources humaines dans le cadre du plan stratégique. L’objectif n’est pas de stigmatiser, mais de restructurer intelligemment, de redéfinir les effectifs selon les besoins réels et les nouvelles compétences requises par le numérique. Nous voulons bâtir une MBC plus agile, plus performante et capable de servir le public avec les standards d’un média moderne, avec un contenu solide. Il nous faut prévoir de gros investissements dans la technologie : équiper les nouveaux studios de matériel performant, revoir les caméras, les salles de montage, les lumières, le son… Il y a tant à moderniser. Je dois ici rendre hommage à tout le staff technique qui, avec des moyens quelquefois modestes, arrive à relever les défis.
Concrètement, combien de personnes travaillent aujourd’hui à la MBC ? Idéalement, combien en faudrait-il ?
La MBC compte 701 membres du personnel, plein temps et freelances confondus. La corporation a connu une hausse totalement déraisonnable et irresponsable du nombre d’employés durant les dix dernières années. Ce qui plombe les finances, mais aussi impacte les coûts liés à la pension. Combien d’employés faudrait-il dans l’idéal ? J’attends les résultats du Human Resources Audit pour me faire une idée qui soit basée sur les faits.
Le gouvernement en place avait promis de supprimer la redevance de Rs 150. Qu’en pensez-vous ?
Je crois que vous ne serez pas surpris si je vous dis que je n’épouse pas ce point de vue.
Quelles sont aujourd’hui vos priorités à la tête de la MBC ?
J’aurais pu dire : tout est prioritaire. Dans toute entreprise, (encore plus dans une entreprise de médias) tout est intimement lié. Mais quand je suis arrivé, j’ai donné tout mon temps à ce qui est, pour moi, le cœur de toute entreprise de médias : la rédaction et les journalistes qui la composent. Il y a dans cette rédaction un vivier de talents, des talents qui ne demandaient qu’à s’épanouir, après une décennie de terreur et de méthodes de travail de la direction de l’époque, et croyez-moi, le mot n’est pas exagéré, si j’en crois les témoignages.
Avez-vous les mains libres ou est-ce que le PMO exerce toujours un « close watch » sur les affaires de la station de radio-télévision nationale ?
Absolument libre. Totalement libre. C’est une condition sine qua non pour le fonctionnement normal d’un média, quel qu’il soit. Si notre télévision connaît ce regain d’intérêt et de popularité, c’est parce que le téléspectateur mauricien sent bien que ce qu’il voit sur son écran, ce qu’il entend sur sa radio, correspond aux réalités de son pays, et n’est pas de l’information trafiquée. On revient de loin, de très loin, vous savez : il fut un temps où la station de télévision nationale ouvrait son grand journal de 19h30 avec le mariage du fils d’un responsable de la MBC ! De toutes les manières, les trafiqueurs d’information patentés ne sont plus dans la maison. Les journalistes respirent, et nos téléspectateurs aussi. Il faut rendre hommage à la vérité. Si la MBC peut fonctionner comme elle le fait actuellement, c’est parce que le Premier ministre et son gouvernement ont une conception libérale de l’information. Les journalistes et le directeur général travaillent en toute quiétude et exercent leur métier : et on voit les résultats !
On note un changement dans le traitement de l’information à la MBC. Quel est l’objectif ?
D’informer, tout simplement. De la manière la plus factuelle qui soit. De donner la parole à la société. Informer de la manière la plus sobre aussi. La MBC n’est pas et ne sera pas une station bling-bling, avec cette agressivité que certains petits hableurs veulent faire passer pour de l’impertinence et surtout cette prétention qui est la marque de fabrique de beaucoup de télévisions étrangères. La MBC est une station de service public qui doit traiter sérieusement l’information, le documentaire et les émissions grand public. Parfois, quand je doute de ce qu’il faut faire, je n’ai qu’à regarder les émissions de Cyril Hanouna et je me dis : voilà exactement ce que la MBC ne doit pas devenir.
Quelle garantie pouvez-vous donner que la MBC ne retombera pas dans ses mauvaises habitudes du passé ?
La seule garantie que je peux vous donner, c’est que tant que je dirigerai la station, cela n’arrivera pas. Je suis là pour cinq ans. Après, celui qui me succédera fera comme bon lui semblera. Mais je pense que ce goût de la liberté qui règne dans la maison est là pour durer. Quand on a pris le goût de la liberté, c’est la plus puissante des drogues. Il est difficile de s’en passer. Mais cette liberté, nous l’exerçons avec responsabilité aussi. La liberté de parler n’est pas la liberté de dire n’importe quoi.
Quelle place accordez-vous à la production locale ? Il y a une quinzaine d’années, la MBC permettait à des maisons de production locales de proposer des concepts et des émissions clés en main. Cette pratique a cependant été abandonnée. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La MBC, soyons clairs, ne pourra jamais lutter ni avec Canal+, ni avec Netflix, ni avec Prime Video pour ce qui est des films étrangers. Nous n’en avons pas les moyens. Et j’ajouterais, en ce qui me concerne, ni l’envie. Ce qui fera de nous une station unique, où l’on verra ce que l’on ne voit pas ailleurs, c’est justement la production locale. Nous avons mis en place un système pour encourager à fond les réalisateurs mauriciens de fictions et de documentaires. Nous avons prévu de prendre un pourcentage du budget utilisé pour acheter des productions étrangères afin de financer les créateurs de contenus mauriciens. Nous avons de nombreux projets qui vont dans ce sens. Nous les annoncerons bientôt. Les artistes et les talents de la MBC, ainsi que ceux de l’extérieur, sont pour nous des partenaires. Avec eux, nous ferons de la MBC une vitrine de la création mauricienne.
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