À Palma, pendant que la ville dort encore, un jeune homme de 19 ans s’éveille avec le jour pour cultiver ses rêves. Mohesh Narraina a choisi la terre plutôt que les écrans, la sueur plutôt que le confort. Avec sa mère, il incarne une jeunesse mauricienne qui redonne sens et fierté au travail agricole.
Il est 4 heures du matin à Palma, Quatre-Bornes. La nuit est encore tiède, les lampadaires diffusent une lueur dorée sur la route Bassin. Tandis que beaucoup dorment encore, Mohesh Narraina, 19 ans, lace ses bottes, attrape sa bêche, et salue doucement sa mère avant de s’élancer vers le champ familial. « Je ne rate jamais un matin. La terre m’attend », confie-t-il en souriant.
Sur leur arpent de terrain, mère et fils partagent le même souffle, la même passion, la même patience. Ensemble, ils cultivent piments, pommes d’amour et fines herbes au rythme des saisons et des pluies. Leurs mains creusent, plantent, cueillent, trient, avec une rigueur que seul l’amour du travail peut donner.
La terre en héritage
À 40 ans, Banita Narraina connaît la terre comme on connaît un vieux livre qu’on a lu mille fois. Elle y a versé sa sueur pendant plus de 20 ans, sous le soleil brûlant comme sous les pluies diluviennes. « C’est un métier dur, mais c’est ce qui nous fait vivre. Aujourd’hui, c’est une fierté de voir mon fils marcher sur mes pas », dit-elle.
Quand Mohesh a terminé le collège, beaucoup s’attendaient à ce qu’il prenne un autre chemin. Mais lui, au contraire, n’a jamais hésité. « Je voulais rester près de ma mère. Mais par-dessus tout, j'avais envie de faire quelque chose de vrai, quelque chose qui nourrit les gens », explique-t-il.
Leur complicité saute aux yeux. Dans les sillons, leurs gestes sont synchronisés. Banita s’occupe des semis, tandis que son fils s’affaire aux tuyaux d’irrigation. « Il est fort, il comprend vite et il aime ça. Quand je le vois heureux dans le champ, je me dis que j’ai bien fait mon travail de mère », raconte Banita avec fierté.
Une vie rythmée par la terre
Chaque jour, le réveil de Mohesh sonne avant celui du soleil. À 4 heures, il est déjà debout. À 5 heures, il est dans son champ. Le jeune homme, qui ne connaît ni week-ends ni vacances, confie : « Le mercredi et le samedi, je vends mes légumes au marché de Quatre-Bornes. Les autres jours, je suis à la culture. C’est un cycle sans fin, mais j’aime ça ».

Sur son petit camion, les caisses de légumes bien empilées, il prend la route du marché avec la même fierté que d’autres iraient travailler en costume. « Quand les clients goûtent mes piments ou mes tomates et qu’ils reviennent, c’est ma plus belle récompense », relate Mohesh. Ce dernier connait ses légumes sur le bout des doigts et pour cause… Il parle avec ses plantes, observe la couleur de leurs feuilles ainsi que la texture du sol. « La terre, c’est comme une personne. Si tu la respectes, elle te le rend. Si tu la négliges, elle se ferme », indique-t-il.
Dans la famille Narraina, le travail de la terre est bien plus qu’un métier. C’est une philosophie, une façon de vivre, un héritage transmis avec les valeurs de respect, d’effort et de patience. Le père, Vishal Narraina, 47 ans, est lui aussi un homme de la nature. Pêcheur au Morne, il connaît les vagues comme son épouse connaît la terre. « Papa et maman sont des travailleurs courageux. Ils m’ont appris à ne jamais avoir honte de ce qu’on fait, tant qu’on le fait avec le cœur », dit le jeune homme.
Ces valeurs, il les porte fièrement. Il ne compte pas ses heures, il n’attend pas de miracles. Il sait que chaque fruit récolté est le résultat de sa persévérance. « Je n’ai pas besoin d’un bureau climatisé. Le mien, c’est le champ. Mon costume, c’est ma chemise pleine de boue », dit-il en souriant.
Un amour partagé
Parmi les plants de piment, un autre amour a fleuri : celui d’Alisha Ramburn, sa fiancée. À 18 ans, cette jeune femme douce et déterminée a choisi de marcher à ses côtés, les bottes dans la boue et le sourire aux lèvres. Elle raconte : « Au début, je venais juste l’aider. Puis j’ai appris à aimer ce métier. Il y a quelque chose de pur dans le fait de cultiver la terre ».
Le couple forme aujourd’hui une équipe inséparable. Ensemble, ils rêvent d’agrandir leur champ, d’acheter une petite serre, et de produire leurs propres semences. Banita les regarde avec fierté : « Quand je les vois travailler côte à côte, je me dis que la relève est assurée ».
Mohesh et sa mère ne se contentent pas de répéter les gestes d’hier. Depuis un an, ils suivent des cours auprès de la Small Farmers Association, pour perfectionner leurs techniques. « On apprend à mieux gérer l’eau, à reconnaître les maladies des plantes, à utiliser moins de produits chimiques. J’aime apprendre. La terre évolue, nous aussi », explique Mohesh.
Cette volonté de se moderniser lui vaut déjà le respect de plusieurs cultivateurs de la région. « Mohesh est jeune, mais il travaille tel un vieux routier », confie un voisin. Mais surtout, il a la tête sur les épaules. Pour le jeune homme, la formation est la clé d’un avenir durable : « On ne peut plus cultiver comme avant. Il faut penser à la qualité, à la santé des gens, à la planète ».
Libre, fier et enraciné dans la nature
Dans un monde où beaucoup de jeunes rêvent d’emplois de bureau ou de vie citadine, Mohesh assume fièrement son choix : « Être cultivateur, ce n’est pas être pauvre. C’est être libre, être utile. C’est travailler avec la nature, pas contre elle ».
Parfois, il arrive que ses amis soient surpris par son choix de métier. « Certains me disent : pourquoi tu ne fais pas un autre métier ? Je leur réponds : parce que je suis bien ici. Je vois mes plantes grandir, je nourris des familles. Quoi de plus beau ? », indique-t-il. Une simplicité qui séduit Alisha. Elle confie avec tendresse : « Il est heureux dans la terre. Il revient du champ fatigué, mais le cœur léger. Et ça, c’est rare ».
Le mercredi et le samedi, dès l’aube, Mohesh et sa mère chargent leurs légumes dans la camionnette. Direction : le marché de Quatre-Bornes. Sous les tentes colorées, ils disposent soigneusement leurs paniers. Les clients, souvent fidèles, viennent les saluer. « Madame Banita, mo anvi to piment zordi », lance une habituée.
Le contact humain, la convivialité, les sourires… tout cela fait partie du charme de leur métier. « Le marché, c’est comme une grande famille. On partage nos histoires, nos soucis, nos fous rires », indique-t-il. En outre, il y a la fierté de voir ses produits appréciés : « Quand les gens me disent que mes tomates ont du goût, ça me donne la force de continuer ».
Semer l’avenir
Mohesh ne se contente pas de vivre au jour le jour. Il a des rêves, des ambitions, et une vision claire de son futur. « Je veux prouver qu’un jeune peut réussir dans l’agriculture. Ce n’est pas un métier du passé. C’est un métier d’avenir », affirme-t-il.
Avec l’aide de sa mère et le soutien d’Alisha, il veut investir dans des systèmes d’irrigation plus efficaces, expérimenter la culture biologique et, un jour, avoir sa propre marque de légumes frais. « Pourquoi pas ? », dit-il avec un sourire, avant d’ajouter : « Les Mauriciens aiment les bons produits. Et moi, je veux offrir la qualité ».
« Je veux dire à tous les jeunes qu’il n’y a pas de honte à travailler la terre. C’est un métier noble. Si on aime ce qu’on fait, on peut être heureux. Ce n’est pas facile, il faut se lever tôt, affronter la pluie, la chaleur, les moustiques… mais quand on aime, on ne compte pas », explique-t-il. Son message est simple et puissant : « Si nous, les jeunes, nous abandonnons la terre, qui nourrira notre pays demain ? ».
Dans un monde où tout va vite, où la technologie prend souvent le pas sur la nature, l’histoire de Mohesh et de sa mère est une bouffée d’air pur. Elle raconte la persévérance, l’amour filial, la transmission. Elle prouve que la terre, malgré ses caprices, reste une source de dignité et de bonheur. « Quand je plante une graine, c’est comme si je semais un rêve : il met du temps à grandir, mais finit toujours par éclore », conclut Mohesh.
Et tandis que le soleil se lève sur Palma, mère et fils reprennent leur travail, silencieux, concentrés, unis. La rosée scintille sur les feuilles de piment, un oiseau s’envole au loin. Leur monde est simple, mais plein de sens. Un monde où chaque goutte de sueur a la valeur d’un diamant…
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