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Ashok Beeharry, président du Media Trust : «La presse doit pouvoir s’autoréguler»

Ashok Beeharry, nouveau président du Media Trust et journaliste de carrière au sein de la Mauritius Broadcasting Corporation, plaide pour une instance autorégulatrice opérée par la presse avec le soutien administratif et logistique des autorités. Il souhaite aussi une révision à la hausse du budget du Media Trust, qui est de Rs 2,5 millions par an, pour contribuer davantage à la professionnalisation nécessaire des médias.

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Vous avez été nommé président du Media Trust début février. Sous quel signe placez-vous votre mandat ? 
Consolider les acquis pour mieux avancer en essayant de sortir des sentiers battus à travers des idées neuves, et cela dans le consensus. C’est donc sous le signe de la continuité, mais avec une approche innovante, autant que peut se faire, eu égard aux nouvelles exigences dans un contexte ultradynamique où la presse connaît depuis plusieurs années déjà des mutations profondes, pour ne pas dire une véritable transformation. 

Si les rudiments et les fondamentaux du métier restent les mêmes, ce que j’appelle les aspects « parajournalistiques » ou « métajournalistiques », au sens littéral et non savant ou philosophique, c’est-à-dire la manière et l’ensemble des méthodes de la pratique journalistique, continuent à évoluer de manière fulgurante. Ceci impacte considérablement l’exercice de la fonction professionnelle. 

Il importe donc de pouvoir aider à mieux outiller et guider nos journalistes. La profession s’est considérablement rajeunie ces derniers temps, alors que la convergence des technologies intervient directement dans le quotidien. Nous voulons aider à rétablir ou à réinstaurer le prestige mais aussi la rigueur d’autrefois quand le journalisme, à Maurice comme ailleurs, était perçu comme un véritable sacerdoce. 

Quelles sont vos priorités ? 
Nos priorités découlent de notre cahier des charges statutaire, en l’occurrence l’article 4 de la Media Trust Act de 1994 qui s’articule autour de la formation des journalistes et autres professionnels des médias. Il s’agit tout simplement du renforcement des capacités et du développement des compétences de base et avancées, tous azimuts. 

Pour cela, il nous faut des moyens, des moyens importants ! Donc, la priorité des priorités pour le Board du Media Trust, qui vient d’être reconstitué, est d’identifier, de trouver, voire de négocier le financement pour pouvoir réaliser nos objectifs et ambitions. 

Actuellement le budget que le gouvernement alloue au Media Trust est de Rs 2,5 millions, dont 60 % à 70 % vont aux salaires, frais administratifs et autres factures. Nous bénéficions aussi d’un soutien financier de l’ambassade de France à travers l’Institut français de Maurice. Nous comptons beaucoup sur des partenaires : ministères et autorités publiques, organisations non gouvernementales, missions diplomatiques et autres organisations de différents secteurs pour des programmes, projets et activités de formation. 

Il nous faut donc dénicher, excuser ce vocable, des ressources financières, mais aussi humaines et technologiques, qui nous permettraient de formuler une stratégie avec un plan d’action exécutable sur deux ans au moins. Nous avons déjà mis sur pied un sous-comité du Board pour travailler sur des pistes et propositions. 

Nous aimerions recueillir l’apport des directions et rédactions en chef de la presse dans son ensemble. Nous souhaitons donc rencontrer rapidement leurs représentants, mais aussi les groupes ou associations de journalistes/photographes/vidéographes/ journalistes reporters d’images…. Nous voulons être à l’écoute de la profession de manière à être à même de répondre aux besoins et attentes. 

Est-ce qu’il est temps de procéder à une refonte du Media Trust en amendant la loi pour lui donner davantage de pouvoirs ? Si oui, de quels pouvoirs devrait-il être doté ? 
Le Media Trust doit-il se doter de plus de pouvoirs ? La question reste posée… Personnellement, je crois sincèrement que ce ne sont pas des pouvoirs additionnels qui faciliteront davantage notre mission première. En revanche, la législation, qui date d’une vingtaine d’années, doit impérativement être dépoussiérée pour mieux refléter le remodelage du paysage médiatique, éliminer les tracasseries administratives, élargir la marge opérationnelle et faciliter la mise en œuvre de nos projets. 

Dans cette optique devenue impérieuse, il faut ainsi revoir la composition du Board pour que les différents médias qui composent la presse aujourd’hui soit adéquatement représentés, en sus des membres ex officio. Je ne parle pas des titres car les membres qui y sont issus ne les représentent pas au sein du Board. Ils représentent la profession, comme les rédacteurs en chef, les journalistes, les reporters, etc. 

Une représentation adéquate signifie le service public radio et télé, les radios et autres opérateurs privés, la presse écrite, les plateformes numériques, la presse spécialisée etc. Une bonne représentation des médias sera un pas important dans la bonne direction pour une meilleure adhésion aux visées et au fonctionnement du Media Trust. Nous allons instituer un second sous-comité du Board pour travailler des propositions qui seront présentées au Bureau du Premier ministre sous la tutelle administrative duquel nous fonctionnons. 

Ainsi, le jeune pourrait se dire que, faute d’autres débouchés, je me mets à l’essai alors que des patrons de presse sont tentés de saisir l’opportunité de cobayes à la portée des rédactions appauvries ces dernières années ! Voici où le bât blesse !»

Certains commencent à parler du besoin d’une Media Commission. Que pensez-vous de la création d’une instance de régulation pour la presse, plus particulièrement la presse écrite ? 
On parle du besoin ou de l’importance d’un Press Council ou d’une Media Commission depuis des lustres à Maurice. Il n’y a jamais eu de consensus parmi les journalistes à Maurice et je crois que la situation n’a guère évolué ! Cette question, à mon avis, ne relève pas directement du champ de compétences du Media Trust ou peut-être juste à la frontière. 

Certains pensent que les articles 4(e), 6 et 10 de la Media Trust Act peuvent conduire le Media Trust à s’y pencher. Une tentative a d’ailleurs été faite dans le passé, mais elle s’est soldée par un échec, faute d’entente. Personnellement, j’ai pendant longtemps eu des réserves sur la nécessité d’une telle instance au vu de son efficacité dans d’autres pays. 

Mais depuis quelques années, ma réflexion a évolué. Je pense désormais que la presse doit pouvoir s’autoréguler. Nous, les journalistes, ne sommes pas au-dessus de tout. Nous exerçons un métier noble et passionnant, si crucial pour la société, mais nous avons aussi des comptes à rendre à nos publics ! 

Donc, aujourd’hui je dis oui à une instance autorégulatrice opérée par la presse avec le soutien administratif et logistique des autorités, dans une démarche avantageuse qui tend à faire primer l’éthique, les principes, les normes et les valeurs communs aux journalistes, quelles que soient les lignes éditoriales. Mais cette initiative doit, comme le souhaitent beaucoup dont des aînés, être opérée par les journalistes eux-mêmes. Le Media Trust est disposé à fournir l’assistance requise dans le strict cadre de ses objectifs règlementaires. 

Devant les nouveaux challenges des médias, quelle est l’importance d’avoir des journalistes pleinement formés ? 
Il n’y a absolument pas d’autre voie… La formation pratique et pointue, qui répond aux réalités, selon les besoins actuels, au-delà de l’apprentissage académique ou universitaire, est devenue plus que jamais un élément indispensable pour les journalistes d’aujourd’hui pour plusieurs raisons évidentes. 

Je l’ai dit plus tôt. Il y a le phénomène de rajeunissement sur fond d’évolution radicale alors que les fondamentaux ne changent pas, pour salutaire qu’elle soit, qui exige un encadrement et un accompagnement bien pensés et effectifs. Il y a peut-être un manque de vocation de nos jours. On peut croire que le journalisme est un laboratoire, que le journaliste est « expérimentable ». 

Ainsi, le jeune pourrait se dire que, faute d’autres débouchés, je me mets à l’essai alors que des patrons de presse sont tentés de saisir l’opportunité de cobayes à la portée des rédactions appauvries ces dernières années ! Voici où le bât blesse ! Il est capital de professionnaliser le métier, d’abord au niveau du recrutement, puis par des investissements sous différentes formes dans la formation. 

Seuls des programmes de formations soutenus et systématiques peuvent favoriser le développement d’une bonne maîtrise de l’écriture, des techniques et de la déontologie, ainsi que développer et affiner les qualités journalistiques. Le journalisme est à la fois un art et une science. Il faut pouvoir être créatif tout en respectant les règles. Et cela s’apprend tout au long du chemin… 

« Le cadre légal n’est pas protecteur pour les journalistes », constate Reporters Sans Frontières dans son rapport de 2023. Certaines lois héritées de l’ère coloniale, comme l’Official Secrets Act, sont toujours en vigueur, et des fonctionnaires qui fourniraient des informations sensibles à des journalistes sont passibles de sanctions. N’est-il pas grand temps d’amender la loi pour accorder davantage de liberté à la presse ? 
Je vous réponds en ma qualité de journaliste sans autre considération. Soyons honnêtes ; la liberté de la presse fait partie de la tradition démocratique du pays. Nous avons une presse vibrante à Maurice, au-delà des pressions politiques, socioculturelles et économiques que subissent tous les médias sans distinction. 

Les politiques ont leur agenda dans l’opposition comme au pouvoir. Les relations conflictuelles, sans tomber dans la confrontation, entre la presse et les politiques et autres acteurs socioéconomiques sont de ce fait naturelles, je dirais. Il y a sans doute des possibilités pour ne pas dire le devoir d’améliorer le cadre dans lequel les journalistes opèrent et faciliter davantage leur travail. 

Sur la base de mon expérience, je suis personnellement en faveur d’une Freedom of Information Act ou d’une Right to Information Act. Cela faciliterait, dans une large mesure, le travail du journaliste. Les autorités ont exprimé de fortes réserves, mais je pense qu’on peut trouver une issue dans le dialogue… 

Il importe aussi qu’on le dise : nous, les journalistes, devons assumer pleinement nos responsabilités et user de notre liberté de manière responsable. C’est, comme on dit en anglais, un « balancing act » : savoir naviguer, chercher l’équilibre entre liberté et responsabilité. 

La meilleure protection qui peut être accordée à un journaliste dans une société démocratique ne peut que provenir de lui-même. La solidarité professionnelle ne doit pas oblitérer la notion de responsabilité, d’answerability vis-à-vis des différents publics. C’est ainsi – en remplissant nos devoirs professionnellement – que nous contribuerons à sauvegarder nos droits et la dignité de la profession.

 

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