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Arrivée des travailleurs engagés : hommage aux premières ouvrières immigrées indiennes

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Alors que nous commémorons le 190e anniversaire de l’arrivée des travailleurs sous contrat à Maurice, ce samedi 2 novembre, les contributions des immigrantes à l’histoire mauricienne restent souvent oubliées et négligées. Pourtant, ces femmes ont joué un rôle crucial dans la construction de l’île Maurice. Nous vous proposons un zoom sur certaines d’entre elles et un retour sur la Grande Expérience, avec Satyendra Peerthum, historien, chercheur et écrivain d’origine mauricien et guyanais.

Satyendra Peerthum, historien, chercheur et écrivain.
Satyendra Peerthum, historien, chercheur et écrivain.

Selon l’historien Satyendra Peerthum, près d'un tiers, soit environ 144 663 immigrants indiens, représentant 32 % tous ceux ayant émigré vers Maurice entre 1826 et 1910, étaient des femmes, principalement de jeunes femmes et des filles âgées de 6 à 60 ans.

Entre 1826 et 1834

Entre 1826 et 1834, quelques Indiennes sont arrivées à Maurice pour travailler principalement comme domestiques, couturières, cuisinières, et « ayas », ou nourrices à domicile. Parmi elles se trouvait l’immigrante Josepha, une travailleuse indienne chrétienne de 15 ans, engagée par le capitaine Langlois à Pondichéry. Elle est venue travailler comme domestique pour la famille Bolger sous un contrat de deux ans.

L'immigrante Mauracheea avait 20 ans lorsqu'elle est arrivée à Maurice en 1838.
L'immigrante Mauracheea avait 20 ans lorsqu'elle est arrivée à Maurice en 1838.

« Josepha et sept autres domestiques masculins ont voyagé vers Maurice à bord du Jeune Lauren et ont débarqué à Port-Louis en octobre 1829. Elle était engagée ‘sous contrat’, dont les termes lui ont été lus. Son contrat de deux ans était renouvelable. M. Bolger a versé une caution de dix livres sterling pour garantir ses services », raconte Satyendra Peerthum.

Entre 1834 et 1842

Entre 1834 et 1842, lorsque le système d'engagisme était contrôlé et financé essentiellement par des planteurs et des marchands franco-mauriciens et britanniques, environ 1 014 femmes et jeunes filles sont arrivées principalement en tant qu'engagées en provenance des présidences du Bengale, de Madras et de Bombay. Les immigrantes représentaient 3,9 % du nombre total d'immigrants sous contrat.

Bhoyrubee est arrivée à Maurice en 1851 avec son époux, ses deux enfants, sa sœur et son père.
Bhoyrubee est arrivée à Maurice en 1851 avec son époux, ses deux enfants, sa sœur et son père.

Satyendra Peerthum explique qu’en juin 1838, l'immigrante Peearee, une Hindoue d'origine bengalie du village de Baheeheea près de Calcutta, est arrivée à Maurice avec son enfant, dix travailleuses indiennes engagées et dix enfants indiens. Elle a reçu le numéro d'immigrante 10 702. Peearee et les autres travailleuses ont été employés comme ouvriers sur le domaine sucrier de M. de Bissy à Plaisance. Sept ans plus tard, le 15 juillet 1845, son enfant et elle sont retournés à Calcutta, comme la plupart des autres immigrantes et de leurs enfants. « Cependant, en 1849, elle est revenue à Maurice pour travailler comme domestique sous contrat pour M. de Bissy sur le domaine sucrier Mon Repos, dans le district de Plaines Wilhems. Elle est décédée dans le même district le 12 décembre 1883, à l'âge de 90 ans », dit-il.

Les immigrantes Quiton et Taillame, deux travailleuses hindoues sous contrat, sont arrivées à Maurice en décembre 1838 en provenance de Pondichéry. Peu après, en juin 1840, M. et Mme Plantin ont soumis une requête au gouverneur Sir Lionel Smith pour obtenir le transfert de la période restante du contrat de leurs deux domestiques à Mme Édouard Marquet.

Josepha est l’une des premières femmes engagées enregistrées à l'île Maurice.
Josepha est l’une des premières femmes engagées enregistrées à l'île Maurice.

Cette démarche a été effectuée par l'intermédiaire du Secrétaire colonial et du Département de la police. Le transfert a finalement été approuvé, bien que John Finiss, commissaire de police, ait exprimé certaines préoccupations. Cependant, entre 1839 et 1842, des dizaines de demandes similaires ont été acceptées pour des travailleuses sous contrat ainsi que pour des centaines de travailleurs masculins engagés.

Rimoney, celle qui amassa une petite fortune

L'immigrante Rimoney a été photographiée à l'âge de 58 ans à l'Aapravasi Ghat, ou le dépôt d'Immigration, en 1871.
L'immigrante Rimoney a été photographiée à l'âge de 58 ans à l'Aapravasi Ghat, ou le dépôt d'Immigration, en 1871.

En janvier 1843, le navire Emerald Isle arriva à Maurice depuis Calcutta avec à son bord 213 hommes, 19 femmes et un enfant. La première immigrante sous contrat officiellement enregistrée dans le cadre du nouveau système d'engagement contrôlé par l'État fut Rimoney.

« Il est intéressant de noter que, durant cette même année, 4 307 immigrantes furent enregistrées au Dépôt d'Immigration, représentant 14 % du nombre total d'immigrants indiens introduits dans la colonie », souligne l’historien.

L’immigrante Rimoney avait 30 ans lorsqu’elle arriva à Maurice. Veuve musulmane originaire du village de Dakah, dans le nord du Bihar, elle avait émigré avec ses parents, Juggodess et Begum Fakim, à Calcutta, où elle travailla, se maria et vécut pendant plusieurs années. Après la mort de son mari, elle vint à Maurice avec sa fille de 12 ans, Cootry. Rimoney se vit attribuer le numéro 215 et fut enregistrée en tant que commerçante.

Comme Rimoney savait lire et écrire, elle fut employée en tant que gardienne de magasin dans le bureau de l’exploitation sucrière de M. Langlois et de M. Lavoqeur, propriétaires de la plantation de Triolet, située dans le district de Pamplemousses. À la fin des années 1850, Rimoney quitta son poste à Triolet, acheta une petite maison en bois et s'installa dans le village de Pamplemousses avec sa fille Cootry. À partir des années 1860, elle acquit des terres et devint cultivatrice de légumes.

Le registre du navire Emerald Isle indiquant l'arrivée de l'immigrante Rimoney en 1843 (MGIIIA/PE Series / Avec l’autorisation de Mme L. Madhar-Suleiman).
Le registre du navire Emerald Isle indiquant l'arrivée de l'immigrante Rimoney en 1843 (MGIIIA/PE Series / Avec l’autorisation de Mme L. Madhar-Suleiman).

Retour sur « La Grande Expérience »

Après l’abolition de l’esclavage, le gouvernement britannique a lancé ce qu’il a appelé « The Great Experience », un programme visant à recruter une main-d'œuvre engagée pour remplacer les esclaves. Le dimanche 2 novembre 1834, après une traversée de sept semaines, le navire Atlas accoste au port de Trou Fanfaron, transportant 36 ouvriers indiens.

Les immigrants indiens pendant l’année 1870.
Les immigrants indiens pendant l’année 1870.

« Comme c'était un dimanche, la douane était fermée, et les 36 ouvriers indiens sont donc restés à bord ce jour-là. Le 3 novembre, G.C. Arbuthnot a demandé la permission au gouverneur William Nicolay de ramener ses ouvriers à terre. Après avoir complété les démarches administratives, les 36 ouvriers indiens ont finalement débarqué le 4 novembre », raconte Satyendra Peerthum. Ils sont ensuite conduits à « Belle Alliance », le domaine sucrier de 502 acres d'Arbuthnot, situé près du village de Barlow à Rivière-du-Rempart, connu aujourd’hui comme Phooliyaar, où ils commencent à travailler. 

Selon Satyendra Peerthum, les coolies d'Arbuthnot n'étaient pas les premiers ouvriers indiens sous contrat à poser le pied sur le sol mauricien.  « On rapporte qu'en 1825, Adrien d'Epinay avait importé des ouvriers indiens pour travailler dans son domaine sucrier de Haute-Rive à Rivière-du-Rempart. Ils travaillaient apparemment côte à côte avec des esclaves africains dans les champs de canne à sucre. Cependant, en dehors des sources secondaires, il existe peu de documents historiques de cette période pour vérifier l’authenticité de cette toute première expérience avec le travail indien sous contrat. Mais des recherches aux archives de Maurice et au Mahatma Gandhi Institute révèlent que, de janvier 1826 à août 1834, les planteurs mauriciens et britanniques avaient déjà importé plus de 2 250 engagés indiens et chinois », indique l'historien.

La vie sur la propriété sucrière à la fin des années 1800.
La vie sur la propriété sucrière à la fin des années 1800.

Entre 1834 et 1839, 25 468 Indiens ont fait partie de la première vague d'immigration indienne. Parmi eux, environ 23 281 étaient des hommes, tandis que seulement 727 étaient des femmes et 175 des enfants.

« Selon le professeur J.C. Jha, près de 15 000 immigrants provenaient de Calcutta et Bombay, et plus de 9 000 de Madras et de l'Andhra Pradesh. Plus de la moitié des premiers immigrants indiens appartenaient à des tribus rurales telles que les Oraons, les Mundas, les Bhumijes et les Santals », précise Satyendra Peerthum.

D’autres vagues d’immigration de grande ampleur arriveront par la suite en provenance de Bombay, Calcutta ainsi que de Madras, et ce, jusqu’en 1910.

Les 36 premiers travailleurs engagés

Saroop Sirdar, Sabaram Mate, Bhoodhoo, Champah, Bhundhoo, Choonearam, Juttoo, Chota Bhoodhoo, Bachoo, Aryoon, Rammohan, Sookram, Dhicram, Ghonssee, Bhooosan, Chota Chooneelall, Bigna, Auklah, Lungen, Callachend, Bholah, Tisera Bhoodhoo, Sibchure, Chota Bhundhoo, Deenram, Budhrem, Mugtoo, Jhareeah, Choylun, Choolango, Bhagyarath, Chungaram, Chola Muggroo, Chota Dhicram, Dookhun et Bhomore.

Saroop Sirdar : le recruteur des travailleurs

Saroop SirdarSaroop Sirdar, un Indien originaire du Bihar, était le recruteur des travailleurs. Il a accompagné et agi en tant que médiateur pour l’équipe de 35 engagés, avec l'aide de son coéquipier Sabaram. Dans les années 1850, Saroop Sirdar a acquis un petit lopin de terre et n'est pas retourné en Inde après l'expiration de son contrat de cinq ans.

Bhoyrubee : la persévérante

Bhoyrubee, une Indienne originaire du Bengale et un des ancêtres de Satyendra Peerthum, faisait partie de La Grande Expérience. Elle est arrivée à Maurice en 1851 avec son époux, ses deux enfants, sa sœur et son père. Tragiquement, après une épidémie de malaria qui a frappé l'île entre 1865 et 1868, elle a perdu son époux et ses enfants. Malgré ces épreuves, elle ne s'est pas laissée décourager. Elle a acheté un terrain et épousé un certain Monsieur Nundlall, avec qui elle a eu cinq enfants.

En chiffres

462 800 C’est le nombre total de travailleurs engagés qui ont débarqué à l’île Maurice. Parmi eux, 452 800 étaient des Indiens, tandis que 16 659 provenaient de Madagascar, des Comores, de Chine, ainsi que d'Afrique, avec quelques Omanais et Yéménites, sans oublier des Indo-Réunionnais.
Parmi ces immigrants, 300 000 ont appris à aimer l’île Maurice, l'ont façonnée et ont choisi d’y fonder leurs familles, s’y établissant durablement.
On estime que 15 000 travailleurs ont effectué des allers-retours entre Maurice et l'Inde. Parmi 162 800 sont retournés dans leur pays d'origine à l'expiration de leur contrat, entre 12 000 et 15 000 étaient des Indo-Mauriciens, c'est-à-dire nés à Maurice.

Pour la petite histoire : L’Aapravasi Ghat

Un dépôt, communément appelé Coolie Ghat, fut construit à Trou Fanfaron en 1849. Ce lieu servait de point de débarquement pour les travailleurs engagés indiens arrivant sur l'île. Après son inscription au registre des monuments nationaux le 11 avril 1987, le dépôt d’immigration fut renommé Aapravasi Ghat, ou « lieu d’arrivée des immigrants », en novembre 1989. Les immigrants y restaient environ deux à trois jours pour compléter les formalités administratives avant de commencer leur travail dans les plantations sucrières. L'Aapravasi Ghat a été classé au patrimoine mondial de l'UNESCO le 16 juillet 2006.

travailleurs engagés

 

 

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